La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/07/2020 | FRANCE | N°441656

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 20 juillet 2020, 441656


Vu la procédure suivante :

L'association Itinéraire Bis a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler la décision du 8 juin 2020 du maire-adjoint de Toulouse refusant de faire droit à sa demande du 2 juin 2020 tendant à installer deux mange-debout devant son établissement situé 22 rue de Périole à Toulouse et d'enjoindre à la commune de Toulouse de lui délivrer une autorisation d'installation d'une terrasse, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard.

Par une ordonnance n° 2002659 du 24 juin 2020, le juge des référés d...

Vu la procédure suivante :

L'association Itinéraire Bis a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler la décision du 8 juin 2020 du maire-adjoint de Toulouse refusant de faire droit à sa demande du 2 juin 2020 tendant à installer deux mange-debout devant son établissement situé 22 rue de Périole à Toulouse et d'enjoindre à la commune de Toulouse de lui délivrer une autorisation d'installation d'une terrasse, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 2002659 du 24 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 7 juillet 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Itinéraire Bis demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du 8 juin 2020 de la commune de Toulouse refusant de faire droit à sa demande d'installer une terrasse devant son café-restaurant ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 8 juin 2020 de la commune de Toulouse refusant de faire droit à sa demande d'installer une terrasse devant son café-restaurant ;

4°) en tout état de cause, d'enjoindre à l'administration de lui délivrer une autorisation de procéder à l'installation d'une terrasse dans le respect des normes sanitaires et de circulation ou, plus spécifiquement, de procéder à l'installation de deux ou quatre tables ou mange-debout, pour une période allant jusqu'au 30 septembre 2020, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter du lendemain de l'ordonnance à intervenir ;

5°) de mettre à la charge de la commune de Toulouse la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'ordonnance attaquée est entachée d'inexactitude des faits en ce qu'elle retient, pour juger que la condition d'urgence n'est pas remplie, que l'association aurait dégagé un chiffre d'affaires mensuel moyen de 25 000 euros de mars à mai 2020, selon une attestation de son expert-comptable du 19 juin 2020, alors que cette attestation concernait la période de mars à mai 2019 ;

- la condition d'urgence est remplie au vu de la situation économique dramatique de l'association, qui risque de disparaître dans les semaines à venir, si des moyens ne sont pas mis en oeuvre sans délai pour rattraper le retard cumulé lors des deux mois et demi de fermeture liés à la crise sanitaire ;

- son activité de restauration représentant la quasi-totalité de ses ressources, elle doit être accrue en urgence, notamment grâce à l'installation d'une terrasse composée de quatre mange-debout ;

- la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre et à la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi qu'au principe d'égalité et à la liberté d'expression ;

- l'interdiction qui lui est faite d'installer une terrasse n'est pas justifiée dès lors qu'elle remplit la condition prévue par l'arrêté municipal du 29 mai 2020 tenant à ce que l'activité principale de l'établissement soit la restauration et/ou la vente de boissons à consommer sur place ;

- l'article 4 du règlement municipal du 21 décembre 2018 organisant l'installation de terrasses sur le domaine public est manifestement illégal en ce qu'il impose le respect d'une condition restrictive de délivrance d'un Kbis ou d'un extrait d'immatriculation au Répertoire des métiers justifiant une activité de vente pour consommer sur place, en contradiction avec son article 1er qui prévoit que le règlement s'applique aux établissements dont l'activité principale est la restauration et/ou la vente de boissons à consommer sur place et titulaires d'une licence, ce qui conduit à priver les associations du droit d'installer une terrasse ;

- la décision contestée crée une discrimination à raison de la forme sociale, qui n'est ni justifiée ni proportionnée ;

- la décision attaquée est inspirée par un motif discriminatoire tiré de l'appartenance politique de l'association, dont deux des membres sont des adversaires politiques du maire de Toulouse, ce que confirme les refus d'installation de terrasses opposés à d'autres établissements liés aux partis de gauche.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2020, la commune de Toulouse conclut au rejet de la requête et à ce que mise à la charge de l'association Itinéraire Bis la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les conclusions visant à l'annulation de la décision du 8 juin 2020 ne sont pas recevables en ce qu'elles visent au prononcé d'une mesure définitive, que les conclusions d'injonction sont irrecevables en ce qu'elles visent à enjoindre à la commune de Toulouse de délivrer à titre provisoire une autorisation d'installation de terrasse pour quatre mange-debout au lieu de deux, que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'en tout état de cause, il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

La requête a été communiquée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales qui n'a pas produit d'observations.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, l'association Itinéraire Bis et, d'autre part, la commune de Toulouse et la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales ;

Ont été entendus lors de l'audience publique du 17 juillet 2020, à 14 heures 30 :

- Me Galy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocate de l'association Itinéraire Bis ;

- le représentant de l'association Itinéraire Bis ;

- Me Froger, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la commune de Toulouse ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a prononcé la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;

- l'arrêté du 21 décembre 2018 du maire de Toulouse fixant les règles d'occupation du domaine public de la ville de Toulouse pour des activités commerciales sédentaires ;

- l'arrêté du 29 mai 2020 du maire de Toulouse modifiant de manière exceptionnelle et temporaire l'arrêté du 21 décembre 2018 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. L'article L. 511-1 du code de justice administrative dispose que : " Le juge des référés statue par des mesures qui présentent un caractère provisoire. Il n'est pas saisi du principal et se prononce dans les meilleurs délais ". Aux termes de l'article L. 521-2 du même code : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, résultant de l'action ou de la carence de cette personne publique, de prescrire les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte, dès lors qu'existe une situation d'urgence caractérisée justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde à très bref délai et qu'il est possible de prendre utilement de telles mesures. Celles-ci doivent, en principe, présenter un caractère provisoire, sauf lorsque aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte.

2. La liberté d'entreprendre et la liberté du commerce et de l'industrie, de même que la liberté d'expression, présentent le caractère de libertés fondamentales au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. En revanche, si certaines discriminations peuvent, eu égard aux motifs qui les inspirent ou aux effets qu'elles produisent sur l'exercice d'une telle liberté, constituer des atteintes à une liberté fondamentale, la méconnaissance du principe d'égalité ne révèle pas, par elle-même, une atteinte de cette nature.

3. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 21 décembre 2018 du maire de Toulouse fixant les règles d'occupation du domaine public de la ville de Toulouse pour des activités commerciales sédentaires, " Le présent arrêté précise les conditions d'octroi d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public à l'usage de terrasse liée à un établissement dont l'activité principale est la restauration (consommation d'aliments préparés), et/ou la vente de boissons à consommer sur place et titulaire d'une licence ". Aux termes de l'article 2 de cet arrêté, " a) Toute occupation de la voie publique, en vue d'une exploitation commerciale, doit faire l'objet d'une demande d'autorisation écrite préalable, auprès du Maire, et donne lieu à une autorisation précaire et révocable délivrée par l'autorité municipale et au paiement d'une redevance fixée selon les tarifs en vigueur (...) ". Aux termes de l'article 4 du même arrêté : " Seuls les établissements répondant aux conditions ci-après citées pourront prétendre au bénéfice d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public. / a) L'exploitant devra présenter un Kbis ou un extrait d'immatriculation au Répertoire des Métiers justifiant une activité de vente pour consommer sur place. / b) Chaque commerçant devra en outre fournir : / le formulaire de demande dûment complété et signé (...) ". Les articles 5, 7, 8 et 9 de cet arrêté fixent les règles concernant la situation des terrasses, la largeur du cheminement piéton, la surface des terrasses et les " platelages " (planchers de charpente).

4. Par arrêté du 29 mai 2020, le maire de Toulouse a prévu, dans le contexte de la crise sanitaire, que des extensions exceptionnelles de terrasses sur le domaine public pourraient être autorisées, " à la reprise des activités commerciales de consommation sur place sur le domaine public par les restaurants et bars ", par dérogation " aux dispositions des articles 5, 7, 8 et 9 du règlement en date du 21 décembre 2018 fixant les règles d'occupation du domaine public de la Ville de Toulouse ".

5. Par décision du 8 juin 2020, l'adjoint au maire de Toulouse en charge des occupations du domaine public a rejeté la demande du 2 juin 2020 par laquelle l'association Itinéraire Bis sollicitait l'autorisation d'installer deux tables hautes ou " mange-debout " devant son établissement situé 22 rue de Périole à Toulouse, au motif que les règles d'occupation du domaine public pour l'aménagement de terrasses imposaient que l'activité principale de l'établissement soit la restauration ou la vente de boissons à consommer sur place et qu'il soit titulaire d'une licence. L'association a saisi, le 19 juin 2020, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une demande tendant notamment à ce qu'il annule cette décision du 8 juin 2020. Elle fait appel de l'ordonnance du 24 juin 2020 par laquelle le juge des référés a rejeté sa demande, au motif qu'elle ne justifiait pas d'une situation d'urgence à quarante-huit heures au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, et demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'annuler la décision du 8 juin 2020 ou, à défaut, de suspendre son exécution, et d'enjoindre à l'administration de lui délivrer une autorisation d'installation d'une terrasse, dans le respect des normes sanitaires et de circulation, jusqu'au 30 septembre 2020, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard à compter du lendemain de l'ordonnance à intervenir.

6. La décision contestée a été prise en application des dispositions combinées de l'arrêté du 21 décembre 2018 du maire de Toulouse, fixant les règles d'occupation du domaine public de la ville de Toulouse pour des activités commerciales sédentaires, et de l'arrêté du 29 mai 2020 autorisant des dérogations temporaires à cet arrêté réglementaire, citées au points 3 et 4 ci-dessus. Si le motif énoncé dans la décision du 8 juin 2020, relatif à l'activité principale de l'établissement et à la détention d'une licence, ne peut justifier le rejet de la demande de l'association Itinéraire Bis, qui établit avoir une activité principale de restauration et de vente de boissons à consommer sur place et être titulaire d'une licence de 4ème catégorie, il résulte de l'instruction que l'association ne peut, en tout état de cause, pas satisfaire à la condition fixée à l'article 4 de l'arrêté du 21 décembre 2018, auquel l'arrêté du 29 mai 2020 ne déroge pas, selon laquelle le demandeur doit " présenter un Kbis ou un extrait d'immatriculation au Répertoire des Métiers justifiant une activité de vente pour consommer sur place ".

7. L'association requérante soutient, il est vrai, que l'article 4 de l'arrêté municipal du 21 décembre 2018 est manifestement illégal en ce que la condition qu'il fixe revient à réserver la délivrance d'autorisations temporaires du domaine public aux personnes inscrites au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers, c'est-à-dire à des personnes physiques ou morales exerçant une activité commerciale ou artisanale, ce qui conduit à priver les associations ayant une activité de restauration du droit d'installer une terrasse devant leur établissement. Toutefois, en exigeant la présentation d'un extrait Kbis ou d'un extrait d'immatriculation au répertoire des métiers, le maire de Toulouse a entendu obtenir un document attestant de l'existence juridique de l'entreprise sollicitant une autorisation d'occupation du domaine public. Il résulte de l'instruction, et notamment des explications fournies lors de l'audience publique, qu'en posant une telle condition, qui n'a pas été inspirée par la volonté de discriminer les associations régies par la loi du 1er juillet 1901, le maire de Toulouse n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté d'entreprendre ou à la liberté du commerce et de l'industrie.

8. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et sans qu'il soit besoin d'apprécier l'existence d'une situation d'urgence justifiant le prononcé de mesures de sauvegarde, l'association Itinéraire Bis n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par l'ordonnance qu'elle attaque, le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la commune de Toulouse, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'association Itinéraire Bis une somme à verser à ce titre à la commune de Toulouse.

O R D O N N E :

------------------

Article 1er : La requête de l'association Itinéraire Bis est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Toulouse au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Itinéraire Bis et à la commune de Toulouse.

Copie en sera adressée à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 441656
Date de la décision : 20/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 20 jui. 2020, n° 441656
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GALY ; SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 30/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:441656.20200720
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award