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19/06/2020 | FRANCE | N°424967

France | France, Conseil d'État, 10ème chambre, 19 juin 2020, 424967


Vu les procédures suivantes :

Par deux requêtes distinctes, Mme D... B... et M. et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 juillet 2006 par lequel le maire de Grasse a accordé à la société civile immobilière Lou Joy un permis de construire ainsi que la décision implicite par laquelle le maire de Grasse a refusé de faire droit à leurs demandes de retrait de ce permis de construire.

Par deux jugements n°s 1503202 et 1503205 du 20 août 2018, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision im

plicite du maire de Grasse refusant de retirer le permis de construire délivr...

Vu les procédures suivantes :

Par deux requêtes distinctes, Mme D... B... et M. et Mme C... A... ont demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 18 juillet 2006 par lequel le maire de Grasse a accordé à la société civile immobilière Lou Joy un permis de construire ainsi que la décision implicite par laquelle le maire de Grasse a refusé de faire droit à leurs demandes de retrait de ce permis de construire.

Par deux jugements n°s 1503202 et 1503205 du 20 août 2018, le tribunal administratif de Nice a annulé la décision implicite du maire de Grasse refusant de retirer le permis de construire délivré le 18 juillet 2006 et a rejeté le surplus de leurs conclusions.

1° Sous le n° 424967, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 19 octobre 2018, 21 janvier 2019 et 9 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI Fourseasons Group, venue aux droits de la SCI Lou Joy, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1503202 du 20 août 2018 ;

2°) de mettre à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 424969, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique enregistrés les 19 octobre 2018, 21 janvier 2019 et 9 juin 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI Fourseasons Group, venue aux droits de la SCI Lou Joy, demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler le jugement n° 1503205 du 20 août 2018 ;

2°) de mettre à la charge de M. et Mme A... la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code l'urbanisme ;

- le code de justice administrative et l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 modifiée ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Réda Wadjinny-Green, auditeur,

- les conclusions de M. Alexandre Lallet, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Gaschignard, avocat de la Société Fourseasons Group, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de Mme B... et à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M. A... et de Mme A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Les deux pourvois de la SCI Fourseasons Group présentent à juger les mêmes questions. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la compétence du Conseil d'État :

2. L'article R. 811-1-1 du code de justice administrative dispose que : " Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d'habitation ou contre les permis d'aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d'une des communes mentionnées à l'article 232 du code général des impôts et son décret d'application ". Il résulte des dispositions du décret du 10 mai 2013 relatif au champ d'application de la taxe annuelle sur les logements vacants instituée par l'article 232 du code général des impôts que les dispositions précitées de l'article R. 811-1-1 du code de justice administrative sont applicables à la commune de Grasse.

3. Ces dispositions, qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l'offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d'opérations de construction de logements ayant bénéficié d'un droit à construire, doivent être regardées comme concernant non seulement les recours dirigés contre des autorisations de construire, de démolir ou d'aménager, mais également, lorsque ces autorisations ont été accordées, les recours dirigés contre les refus opposés aux demandes tendant à leur retrait. Il en résulte que les jugements attaqués, statuant sur les refus implicites opposés par le maire de Grasse aux demandes de retrait de l'arrêté du 18 juillet 2006 par lequel il a accordé à la SCI Lou Joy un permis de construire, ont été rendus en dernier ressort. Il s'ensuit que les requêtes de la SCI Fourseasons Group tendant à l'annulation de ces jugements ont le caractère de pourvois en cassation et relèvent ainsi de la compétence du Conseil d'Etat.

Sur les pourvois :

4. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la SCI Lou Joy a déposé en 2006 une demande de permis de construire portant sur l'extension d'une maison dite " principale " sur un terrain dont elle était propriétaire. Cette demande mentionnait l'existence sur le même terrain d'une autre maison dite " familiale " et d'une piscine, toutes deux construites irrégulièrement entre 2000 et 2003. Par un arrêté du 18 juillet 2006, le maire de Grasse a délivré le permis autorisant des travaux d'extension de la maison dite " principale ". En 2015, M. et Mme A... et Mme B..., voisins du pétitionnaire, ont demandé au maire de Grasse de retirer ce permis. Ils ont saisi le tribunal administratif de Nice d'un recours contre la décision implicite de rejet opposée à leur demande, qui a été annulée par deux jugements du 2 août 2018. La société Fourseasons Group, venue aux droits de la SCI Lou Joy se pourvoit en cassation contre ces jugements.

5. D'une part, un permis de construire ne peut faire l'objet d'un retrait, une fois devenu définitif, qu'au vu d'éléments, dont l'administration a connaissance postérieurement à la délivrance du permis, établissant l'existence d'une fraude à la date où il a été délivré. La caractérisation de la fraude résulte de ce que le pétitionnaire a procédé de manière intentionnelle à des manoeuvres de nature à tromper l'administration sur la réalité du projet dans le but d'échapper à l'application d'une règle d'urbanisme.

6. D'autre part, lorsqu'une construction a fait l'objet de transformations sans les autorisations d'urbanisme requises, il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l'édifice réalisée sans autorisation. En revanche, une telle exigence ne trouve pas à s'appliquer dans le cas où les travaux effectués sans autorisation concernent d'autres éléments bâtis sur le terrain d'assiette du projet si le permis demandé ne porte pas sur ces éléments distincts du projet, sauf si ces derniers forment avec la construction faisant l'objet de la demande d'extension, en raison de liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique.

7. En premier lieu, il ressort des énonciations des jugements attaqués que la maison familiale et la piscine présentées dans la demande de permis comme " existantes ", alors qu'elles avaient été antérieurement construites sans autorisation, étaient distinctes de la maison principale sur laquelle portait la demande de permis et ne faisaient l'objet d'aucune demande d'extension dans le cadre de cette demande. Il s'ensuit qu'en jugeant, pour en déduire qu'il s'était livré à une manoeuvre frauduleuse, que le pétitionnaire ne pouvait mentionner l'existence de la maison familiale et de la piscine sans demander leur régularisation, le tribunal administratif de Nice a entaché son jugement d'erreur de droit.

8. En second lieu, les époux A... et Mme B... soutiennent en défense qu'il y a lieu de substituer au motif retenu par le tribunal administratif de Nice le motif tiré de l'autorité absolue de la chose jugée qui s'attache à l'arrêt du 25 mars 2019 par lequel la cour d'appel d'Aix-en-Provence a confirmé le jugement du tribunal correctionnel de Grasse du 29 juin 2017 et retenu que le permis en litige avait été obtenu par fraude. Toutefois, l'autorité de la chose jugée appartenant aux décisions des juges répressifs devenues définitives qui s'impose aux juridictions administratives s'attache à la constatation matérielle des faits mentionnés dans le jugement et qui sont le support nécessaire du dispositif. La même autorité ne saurait, en revanche, s'attacher à la qualification juridique de ces mêmes faits opérée par le juge pénal. Il s'ensuit que les défendeurs ne sont pas fondés à demander que soient substitués aux motifs retenus par les premiers juges ceux adoptés par la cour d'appel d'Aix-en-Provence.

9. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens des pourvois, la société Fourseasons Group est fondée à demander l'annulation des jugements qu'elle attaque.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. et Mme A... et de Mme B... la somme de 3 000 euros qu'ils verseront solidairement à la société Fourseasons Group au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Fourseasons Group qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les articles 1er, 2 et 4 des jugements du 20 août 2018 du tribunal administratif de Nice sont annulés.

Article 2 : L'affaire est renvoyée dans cette mesure au tribunal administratif de Nice.

Article 3 : M. et Mme A... et Mme B... verseront solidairement la somme de 3 000 euros à la société Fourseasons Group au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions présentées par M. et Mme A... et Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Fourseasons Group, à M. et Mme C... A... et à Mme D... B....

Copie en sera adressée à la commune de Grasse.


Synthèse
Formation : 10ème chambre
Numéro d'arrêt : 424967
Date de la décision : 19/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 jui. 2020, n° 424967
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Réda Wadjinny-Green
Rapporteur public ?: M. Alexandre Lallet
Avocat(s) : SCP GASCHIGNARD ; SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:424967.20200619
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