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18/03/2020 | FRANCE | N°422055

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 18 mars 2020, 422055


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 juillet 2018 et 7 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 16 mars 2018 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre deux bordereaux de confirmation d'achat en vrac ayant vocation à être annexés à l'accord interprofessionnel triennal 2017-2020 conclu dans le cadre du CIVB ainsi que la décision de rejet née du sile

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 6 juillet 2018 et 7 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 16 mars 2018 par laquelle le ministre de l'agriculture et de l'alimentation a refusé d'étendre deux bordereaux de confirmation d'achat en vrac ayant vocation à être annexés à l'accord interprofessionnel triennal 2017-2020 conclu dans le cadre du CIVB ainsi que la décision de rejet née du silence gardé par le ministre de l'agriculture et de l'alimentation sur sa demande de recours gracieux du 18 avril 2018 ;

2°) d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de procéder à l'extension des deux bordereaux de confirmation d'achat en vrac ayant vocation à être annexés à l'accord interprofessionnel triennal 2017-2020 ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de réexaminer sa demande d'extension des deux bordereaux de confirmation d'achat en vrac ayant vocation à être annexés à l'accord interprofessionnel triennal 2017-2020 dans un délai d'un mois à compter de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 ;

- le code civil ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Janicot, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 6 mars 2020, présentée par le ministre de l'économie et des finances ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB) a adopté le 24 avril 2017 un accord national interprofessionnel triennal portant sur les campagnes allant de 2017 à 2020. Cet accord a été partiellement étendu à compter du 30 juillet 2017, par un avis d'extension tacite du 19 septembre 2017. Par courrier du 17 janvier 2018, le CIVB a demandé au ministre de l'agriculture et de l'alimentation l'extension, afin d'en faire des contrats-types obligatoires annexés à l'accord interprofessionnel du 24 avril 2017, de deux " bordereaux de confirmation d'achat en vrac avec retiraison en vrac et retiraison en bouteilles ". Le CIVB demande l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du ministre de l'agriculture et de l'alimentation du 16 mars 2018 refusant d'étendre ces " bordereaux " ainsi que de la décision implicite du ministre rejetant son recours gracieux du 18 avril 2018.

2. Aux termes, d'une part, de l'article 164 du règlement (UE) n°1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles : " Dans le cas où une organisation de producteurs reconnue, une association d'organisations de producteurs reconnue ou une organisation interprofessionnelle reconnue opérant dans une ou plusieurs circonscriptions économiques déterminées d'un État membre est considérée comme représentative de la production ou du commerce ou de la transformation d'un produit donné, l'État membre concerné peut, à la demande de cette organisation, rendre obligatoires, pour une durée limitée, certains accords, certaines décisions ou certaines pratiques concertées arrêtés dans le cadre de cette organisation pour d'autres opérateurs, individuels ou non, opérant dans la ou les circonscriptions économiques en question et non membres de cette organisation ou association ". Aux termes du 6 de l'article 168 du même règlement : " Tous les éléments des contrats de livraison des produits agricoles conclus par des producteurs, des collecteurs, des transformateurs ou des distributeurs, y compris les éléments visés au paragraphe 4, point c), sont librement négociés entre les parties ".

3. Aux termes, d'autre part, de l'article L. 632-2-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les organisations interprofessionnelles (...) peuvent définir, dans le cadre d'accords interprofessionnels, des contrats types, dont elles peuvent demander l'extension à l'autorité administrative, intégrant des modèles de rédaction (...) ". Aux termes de l'article L. 632-3 du même code : " Les accords conclus dans le cadre d'une organisation interprofessionnelle reconnue peuvent être étendus, pour une durée déterminée, en tout ou partie, par l'autorité administrative compétente dès lors qu'ils prévoient des actions communes ou visant un intérêt commun conformes à l'intérêt général et compatibles avec la législation de l'Union européenne ".

4. Aux termes, enfin, de l'article 2367 du code civil : " La propriété d'un bien peut être retenue en garantie par l'effet d'une clause de réserve de propriété qui suspend l'effet translatif d'un contrat jusqu'au complet paiement de l'obligation qui en constitue la contrepartie. / La propriété ainsi réservée est l'accessoire de la créance dont elle garantit le paiement ". Aux termes de l'article 2368 du même code : " La réserve de propriété est convenue par écrit ". Il résulte de ces dispositions, d'une part, que la clause de réserve de propriété doit être stipulée par écrit par le vendeur et adressée à l'acheteur, d'autre part, qu'elle est opposable à l'acheteur dès lors que celui-ci l'a acceptée en connaissance de cause, que ce soit de façon expresse ou tacite.

5. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la clause de réserve de propriété figurant sur les deux " bordereaux de confirmation d'achat " dont l'extension est demandée par le CIVB est stipulée par écrit, et de manière suffisamment visible de la part de l'acheteur, dès lors qu'elle est présentée en caractères gras et de la même taille que l'intitulé des dix autres articles que comprennent ces contrats-types, et figure comme ceux-ci sur la page principale du " bordereau ", au bas de laquelle se situe l'espace réservé à la signature des parties. D'autre part, ces clauses, qui énoncent clairement les effets du régime de réserve de propriété tel que prévu par le code civil, prévoient de manière suffisamment explicite la possibilité pour les signataires du contrat de refuser de se placer sous ce régime, en les invitant, dans ce cas, à cocher une case spécialement dédiée à cet effet. Dans ces conditions, les deux bordereaux dont il est demandé l'extension permettent à leurs signataires de consentir en toute connaissance de cause à la mise en oeuvre du régime de réserve de propriété prévue à défaut d'opposition de leur part, dans le respect des dispositions citées au point 4 de l'article 2367 du code civil. Par suite, le CIVB est fondé à soutenir que le ministre a commis une erreur de droit en fondant son refus sur le motif tiré de ce que la formulation et la présentation des deux clauses de réserve de propriété figurant dans les deux " bordereaux de confirmation d'achat " pouvaient conduire les cocontractants à se placer sous le régime de la réserve de propriété sans l'avoir réellement consenti et méconnaissaient de ce fait les exigences de l'article 2367 du code civil.

6. Il résulte de tout ce qui précède que le CIVB est fondé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de la requête, à demander l'annulation des décisions qu'il attaque.

7. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. / La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision ".

8. L'exécution de la présente décision implique nécessairement, eu égard à ses motifs, le réexamen de la demande du CIVB tendant à l'extension en tant qu'annexe à l'accord interprofessionnel du 24 avril 2017 des deux " bordereaux de confirmation d'achat en vrac avec retiraison en vrac et retiraison en bouteilles ". Il y a lieu pour le Conseil d'Etat d'enjoindre au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser au CIVB au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du 16 mars 2018 du ministre de l'agriculture et de l'alimentation ainsi que la décision de rejet née du silence gardé par le ministre sur le recours gracieux formé par le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux le 18 avril 2018 sont annulées.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'agriculture et de l'alimentation de réexaminer la demande du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux dans un délai de deux mois.

Article 3 : L'Etat versera la somme de 3 000 euros au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée au Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au ministre de l'économie et des finances.


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
Proposition de citation: CE, 18 mar. 2020, n° 422055
Inédit au recueil Lebon
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Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Janicot
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann

Origine de la décision
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Date de la décision : 18/03/2020
Date de l'import : 06/05/2020

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 422055
Numéro NOR : CETATEXT000041735770 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;conseil.etat;arret;2020-03-18;422055 ?
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