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21/02/2020 | FRANCE | N°438696

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 février 2020, 438696


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15, 17 et 18 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de saisir le Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et des articles 105 et suivants du règlement de procédure de la Cour, d'une question préjudicielle en

appréciation de validité et de trois questions préjudicielles en interprétat...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un nouveau mémoire et un mémoire en réplique, enregistrés les 15, 17 et 18 février 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) de saisir le Cour de justice de l'Union européenne, en application de l'article 267 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et des articles 105 et suivants du règlement de procédure de la Cour, d'une question préjudicielle en appréciation de validité et de trois questions préjudicielles en interprétation, relatives à la citoyenneté européenne des ressortissants britanniques ;

2°) de suspendre les effets de la circulaire du ministre de l'intérieur du 23 janvier 2020 relative aux conséquences de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sur le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants britanniques en France aux élections municipales et européennes, dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;

3°) de suspendre sa démission d'office et d'enjoindre au ministre de l'intérieur de s'opposer à toute démission d'office, de sorte qu'il puisse siéger au sein du conseil municipal de Bussière-Badil jusqu'aux résultats définitifs des élections municipales de mars 2020 ;

4°) de suspendre son inéligibilité et d'enjoindre à l'Etat de le réinscrire sur la liste électorale complémentaire de sa commune de résidence ;

5°) d'enjoindre à l'Etat de cesser sans délai de s'opposer à sa déclaration de candidature pour les élections municipales de mars 2020 et de lui permettre de s'enregistrer après le 27 février 2020 en cas d'intervention d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne après cette date ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie, dès lors qu'il n'a plus le droit de siéger au sein du conseil municipal de la commune de Bussière-Badil depuis le 1er février 2020, qu'il ne peut pas faire acte de candidature avant le 27 février prochain, date butoir de dépôt des candidatures pour les élections municipales de mars 2020, et qu'il est privé du droit de voter à ces élections ;

- ses conclusions relatives à sa démission d'office ont un objet, compte tenu de la situation de compétence liée du préfet résultant des articles L. 236 et L. 230 du code électoral ;

- la circulaire litigieuse présente un caractère impératif ;

- la circulaire et les mesures qui en découlent portent une atteinte grave à son droit de siéger au sein du conseil municipal jusqu'à la fin de son mandat et de voter et de se porter candidat aux élections municipales des 15 et 22 mars 2020, au principe d'égalité devant le droit de vote et d'éligibilité, au principe de libre administration des collectivités territoriales et au principe de démocratie ;

- ces atteintes sont manifestement illégales, dès lors, d'une part, que l'article 127 de l'accord de retrait ne s'applique pas en dehors du territoire du Royaume-Uni et que son article 12 interdit les discriminations fondées sur la nationalité et que, d'autre part, la suppression de la citoyenneté européenne méconnaît les principes d'espérance légitime et de sécurité juridique, l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3 de son protocole additionnel, l'article 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les articles 18, 20 et 22 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et les articles L. 11, L. 230 et L. 236 du code électoral, les articles L. 16, L. 230 et L. 236 de ce code étant eux-mêmes contraires aux principes et stipulations précédemment mentionnés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2020, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que les conclusions de la requête visant à obtenir la suspension de la démission d'office du requérant et à ce qu'il soit enjoint à l'Etat de s'opposer à toute démission d'office sont sans objet, que la circulaire litigieuse ne fait pas grief, que la condition d'urgence n'est pas remplie, qu'il n'est pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et qu'il n'est pas nécessaire de saisir le Cour de justice de l'Union européenne de questions préjudicielles.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son protocole additionnel ;

- le traité sur l'Union européenne ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique ;

- le code électoral ;

- le code de justice administrative.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B..., d'autre part, le ministre de l'intérieur et la commune de Bussière-Badil ;

Vu l'audience publique du 19 février 2020 à 11 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- la représentante de M. B... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur, qui ont soulevé l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions de la requête relatives à l'inscription du requérant sur la liste électorale complémentaire ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 19 février 2020 à 17 heures puis reporté cette clôture au 20 février à 18 heures.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale (...) ".

2. M. B..., ressortissant britannique, réside dans la commune de Bussière-Badil où il a été élu conseiller municipal en 2014. Par une circulaire du 23 janvier 2020, le ministre de l'intérieur a invité les préfets à faire connaître aux maires les conséquences qu'il conviendrait de tirer de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne sur le droit de vote et d'éligibilité des ressortissants britanniques en France aux élections municipales et européennes. Le 24 janvier 2020, le maire de Bussière-Badil a informé M. B... de l'impossibilité pour lui, en sa qualité de ressortissant britannique, de se présenter aux élections municipales de mars 2020.

Sur les conclusions de M. B... tendant à la suspension des effets de la circulaire du ministre de l'intérieur du 23 janvier 2020 :

3. Le dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution dispose que : " Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ". Aux termes de l'article 88-3 de la Constitution : " Sous réserve de réciprocité et selon les modalités prévues par le Traité sur l'Union européenne signé le 7 février 1992, le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales peut être accordé aux seuls citoyens de l'Union résidant en France. Ces citoyens ne peuvent exercer les fonctions de maire ou d'adjoint ni participer à la désignation des électeurs sénatoriaux et à l'élection des sénateurs (...) ".

4. En premier lieu, aux termes de l'article 20 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Il est institué une citoyenneté de l'Union. Est citoyen de l'Union toute personne ayant la nationalité d'un État membre. La citoyenneté de l'Union s'ajoute à la citoyenneté nationale et ne la remplace pas. / 2. Les citoyens de l'Union jouissent des droits et sont soumis aux devoirs prévus par les traités. Ils ont, entre autres : / (...) / b) le droit de vote et d'éligibilité aux élections au Parlement européen ainsi qu'aux élections municipales dans l'État membre où ils résident, dans les mêmes conditions que les ressortissants de cet État (...) ". Toutefois, aux termes du 1 de l'article 127 de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique, publié au Journal officiel de l'Union européenne du 31 janvier 2020 et entré en vigueur le 1er février 2020 : " Sauf disposition contraire du présent accord, le droit de l'Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition. / Toutefois, les dispositions suivantes des traités et des actes adoptés par les institutions, organes et organismes de l'Union ne sont pas applicables au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition : / (...) / b) (...) l'Article 20, paragraphe 2, point b), l'Article 22 (...) du TFUE, les Articles 39 et 40 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les actes adoptés sur la base de ces dispositions ". Il résulte clairement de ces stipulations, auxquelles ne s'opposent pas celles de l'article 12 de l'accord relatives à l'interdiction de discriminations en raison de la nationalité, que dès l'entrée en vigueur de l'accord, les stipulations de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatives au droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales dans l'Etat membre de résidence ne sont plus applicables aux ressortissants du Royaume-Uni.

5. En second lieu, aux termes de l'article L.O. 228-1 du code électoral : " Sont en outre éligibles au conseil municipal ou au Conseil de Paris les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne autres que la France qui : / a) Soit sont inscrits sur la liste électorale complémentaire de la commune ; / b) Soit remplissent les conditions légales autres que la nationalité française pour être électeurs et être inscrits sur une liste électorale complémentaire en France et sont inscrits au rôle d'une des contributions directes de la commune ou justifient qu'ils devaient y être inscrits au 1er janvier de l'année de l'élection ". Aux termes de l'article L. 230 du même code : " Ne peuvent être conseillers municipaux : / 1° Les individus privés du droit électoral (...) ". L'article L.O. 230-2 de ce code dispose que : " Ne peuvent être conseillers municipaux ni membres du Conseil de Paris les ressortissants des Etats membres de l'Union européenne autres que la France déchus du droit d'éligibilité dans leur Etat d'origine ". Aux termes de l'article L. 236 de ce code : " Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d'inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet (...) ". Enfin, l'article L.O. 236-1 de ce code prévoit que : " Tout conseiller municipal ou membre du Conseil de Paris ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne autre que la France qui pour une cause survenue postérieurement à son élection se trouve dans le cas d'inéligibilité prévu par l'article LO 230-2 est déclaré démissionnaire d'office par le représentant de l'Etat dans le département ". Il incombe ainsi au représentant de l'Etat dans le département de déclarer démissionnaires d'office les seuls conseillers municipaux qui, pour une cause survenue postérieurement à leur élection, se trouvent dans l'un des cas d'inéligibilité prévus par les dispositions auxquelles renvoient limitativement les articles L. 236 et L.O. 236-1 du code électoral, au nombre desquels ne figure pas la perte du droit de vote et d'éligibilité s'attachant à la qualité de citoyen de l'Union.

6. Il suit de là que le ministre de l'intérieur n'a pas méconnu le sens et la portée des règles dont il a prescrit, par des dispositions impératives à caractère général, l'interprétation qu'il conviendrait d'adopter, dès leur entrée en vigueur, en indiquant, d'une part, que les ressortissants britanniques ne pourraient plus voter ni être éligibles aux élections municipales organisées les 15 et 22 mars 2020 et, d'autre part, que les conseillers municipaux britanniques conservaient leur mandat jusqu'au renouvellement des conseils municipaux. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le ministre de l'intérieur aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale à une ou plusieurs libertés fondamentales en adoptant les dispositions critiquées de la circulaire du 23 janvier 2020.

Sur les autres conclusions de M. B... :

7. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'aucun acte déclarant M. B... démissionnaire d'office de ses fonctions de conseiller municipal n'a été pris par le préfet de la Dordogne, non plus que par aucune autre autorité administrative. M. B... n'est ainsi pas fondé à soutenir qu'il aurait été porté, en ce qui concerne l'exercice de ses fonctions jusqu'à leur terme, une atteinte grave et manifestement illégale au libre exercice de son mandat d'élu local ou à une autre liberté fondamentale.

8. En deuxième lieu, il résulte des dispositions combinées de l'article L.O. 227-3 et des articles L. 16 à L. 20 du code électoral qu'il n'appartient pas au juge administratif de vérifier la validité de l'inscription de personnes déterminées sur la liste électorale. Par suite, les conclusions de M. B... relatives à son inscription sur la liste électorale complémentaire mentionnée à l'article L.O. 227-2 du code électoral doivent être rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.

9. En dernier lieu, il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 6 que l'impossibilité pour M. B..., qui ne se prévaut pas de la nationalité d'un Etat membre de l'Union européenne, d'obtenir l'enregistrement de sa candidature en vue des élections municipales des 15 et 22 mars 2020 ne peut être regardée comme portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

10. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que les conclusions de M. B... tendant à ce que le juge des référés ordonne différentes mesures sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative doivent être rejetées. Par suite, ses conclusions relatives aux frais de l'instance, présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être également rejetées.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A... B... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la commune de Bussière-Badil.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 438696
Date de la décision : 21/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 fév. 2020, n° 438696
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:438696.20200221
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