Vu la procédure suivante :
M. et Mme B... A... ont demandé au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, d'une part, de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 et, d'autre part, de prononcer la réduction de l'impôt sur le revenu auquel ils ont été assujettis au titre de l'année 2013 à raison de la part de la rémunération salariée de M. A... correspondant à ses activités de prospection de marchés étrangers en application de l'article 81 A du code général des impôts.
Par un jugement n° 1703279 du 12 novembre 2019, le tribunal de Cergy-Pontoise, avant de statuer sur cette demande, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier de cette demande au Conseil d'Etat, en soumettant à son examen les questions suivantes :
1°) les termes " nonobstant toute autre disposition de la présente Convention " employés au a) du 3 de l'article 24 de ladite convention fiscale permettent-ils à la France, s'agissant des résidents de France personnes physiques, de ne pas appliquer le crédit d'impôt prévu au (i) aux contributions sociales françaises, en tant qu'aucun impôt sur le revenu ou un élément du revenu de nature équivalente n'existe au Royaume-Uni '
2°) si la précédente question appelle une réponse négative, l'objectif visé par la méthode de détermination du crédit d'impôt prévu au a) (i) du 3 de l'article 24 précité, consistant à permettre à la France de préserver la progressivité de l'impôt sur le revenu et d'imposer les revenus imposables en France en application de la convention comme si les autres revenus y étaient également imposables implique-t-il que le crédit d'impôt en cause ne soit appliqué qu'aux impôts français concernés présentant un caractère progressif '
3°) si la précédente question appelle une réponse positive, les revenus de source britannique en cause doivent-ils néanmoins être déclarés pour l'assiette des contributions sociales françaises, nonobstant toute autre disposition de la convention, sans ouvrir droit à crédit d'impôt '
4°) si la question visée au 2°) ci-dessus appelle une réponse négative, la condition prévue au a) (i) du 3 de l'article 24 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008, tenant à ce que les revenus visés au (i), pour ouvrir droit à un crédit d'impôt, doivent être soumis à l'impôt du Royaume-Uni, implique-t-elle, eu égard à l'objectif d'élimination des doubles impositions visé à l'article 24 de la convention fiscale franco-britannique, s'agissant des contributions sociales françaises, qu'aucun crédit d'impôt ne soit accordé aux résidents de France personnes physiques percevant des revenus de source britannique, tels que les revenus en cause, s'il n'est pas établi par l'intéressé qu'il a effectivement acquitté un impôt sur le revenu au Royaume-Uni à raison de ces revenus '
5°) si la question précédente appelle une réponse positive, la condition en cause doit-elle être appliquée dans les mêmes conditions à l'impôt sur le revenu français '
6°) si la question visée au 4°) ci-dessus appelle une réponse négative, la condition en cause doit-elle être regardée comme étant satisfaite s'il est établi par l'intéressé qu'il a déclaré les revenus en cause pour l'assiette de l'impôt sur le revenu au Royaume-Uni, alors même qu'il n'aurait acquitté dans cet Etat aucun impôt à raison de ces revenus '
Des observations, enregistrées le 10 décembre 2019 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, ont été présentées par le ministre de l'action et des comptes publics.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur les gains en capital, signée à Londres le 19 juin 2008 ;
- le code général des impôts ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Séverine Larere, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Marie-Astrid Nicolazo de Barmon, rapporteur public ;
REND L'AVIS SUIVANT
1. Aux termes de l'article 2 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008 visée ci-dessus : " 1. Les impôts auxquels s'applique la présente Convention sont : / a) en ce qui concerne le Royaume-Uni : / (i) l'impôt sur le revenu (income tax) ; / (ii) l'impôt sur les sociétés (corporation tax) ; / (iii) l'impôt sur les gains en capital (capital gains tax) ; / (ci-après dénommés " impôt du Royaume-Uni ") ; / b) en ce qui concerne la France, tous les impôts perçus pour le compte de l'Etat ou de ses collectivités locales, quel que soit le système de perception, sur le revenu total ou sur des éléments du revenu, y compris les impôts sur les gains provenant de l'aliénation de biens mobiliers ou immobiliers, les impôts sur le montant global des salaires payés par les entreprises, ainsi que les impôts sur les plus-values, et notamment : / (i) l'impôt sur le revenu ; / (...) / (v) les contributions sociales généralisées ; / (vi) les contributions pour le remboursement de la dette sociale ; / (ci-après dénommés "impôt français "). ".
2. Aux termes de l'article 24 de la même convention, relatif à l'élimination des doubles impositions : " (...) 3. En ce qui concerne la France, les doubles impositions sont éliminées de la manière suivante : / a) nonobstant toute autre disposition de la présente Convention, les revenus qui sont imposables ou ne sont imposables qu'au Royaume-Uni conformément aux dispositions de la présente Convention sont pris en compte pour le calcul de l'impôt français lorsqu'ils ne sont pas exemptés de l'impôt sur les sociétés en application de la législation interne française. Dans ce cas, l'impôt du Royaume-Uni n'est pas déductible de ces revenus, mais le résident de France a droit, sous réserve des conditions et limites prévues aux alinéas (i) et (ii) et au paragraphe 4, à un crédit d'impôt imputable sur l'impôt français. Ce crédit d'impôt est égal : / (i) pour les revenus non mentionnés à l'alinéa (ii), au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus à condition que le résident de France soit soumis à l'impôt du Royaume-Uni à raison de ces revenus ; / (ii) pour les revenus soumis à l'impôt sur les sociétés visés à l'article 7 et au paragraphe 3 de l'article 14 et pour les revenus visés à l'article 11, aux paragraphes 1, 2 et 6 de l'article 14, au paragraphe 3 de l'article 15, à l'article 16, aux paragraphes 1 et 2 de l'article 17 et au paragraphe 3 de l'article 23, au montant de l'impôt payé au Royaume-Uni conformément aux dispositions de ces articles ; toutefois, ce crédit d'impôt ne peut excéder le montant de l'impôt français correspondant à ces revenus ; / b) pour l'application de l'alinéa a) du présent paragraphe, l'expression " montant de l'impôt français correspondant à ces revenus " désigne : / (i) lorsque l'impôt dû à raison de ces revenus est calculé par application d'un taux proportionnel, le produit du montant des revenus nets considérés par le taux qui leur est effectivement appliqué ; / (ii) lorsque l'impôt dû à raison de ces revenus est calculé par application d'un barème progressif, le produit du montant des revenus nets considérés par le taux résultant du rapport entre l'impôt effectivement dû à raison du revenu net global imposable selon la législation française et le montant de ce revenu net global. / c) pour l'application de l'alinéa a) du présent paragraphe, l'expression " montant de l'impôt payé au Royaume-Uni " désigne le montant de l'impôt du Royaume-Uni effectivement supporté à titre définitif à raison des revenus considérés, conformément aux dispositions de la présente Convention. "
Sur la première question :
3. Il résulte des stipulations du a) du paragraphe 3 de l'article 24 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008, citées au point précédent, que l'expression " nonobstant toute autre disposition de la présente Convention " qui figure à la première phrase de ce paragraphe, signifie qu'alors même que d'autres stipulations de la convention prévoient que certains revenus sont imposables ou ne sont imposables qu'au Royaume Uni, ces revenus peuvent néanmoins être pris en compte pour le calcul de l'impôt français. L'expression en cause ne saurait permettre à la France, s'agissant des résidents de France personnes physiques, de ne pas appliquer le crédit d'impôt prévu à l'alinéa (i) du a) du paragraphe 3 de l'article 24 aux contributions sociales françaises, au motif qu'aucun impôt sur le revenu ou sur un élément du revenu de nature équivalente n'existe au Royaume-Uni.
Sur la deuxième question :
4. Aucune des stipulations du (i) du a) du paragraphe 3 de l'article 24 de la convention ne permet de restreindre le bénéfice du crédit d'impôt égal au montant de l'impôt français aux seuls revenus relevant d'un barème progressif d'imposition. La convention prévoit d'ailleurs expressément au b) du paragraphe 3 de l'article 24 les modalités de détermination du crédit d'impôt selon que l'impôt dû en France est proportionnel ou progressif.
Sur la troisième question :
5. Compte tenu de la réponse apportée à la question précédente, cette question est dépourvue d'objet.
Sur les quatrième et cinquième questions :
6. Il résulte des stipulations de l'article 24 de la convention fiscale franco-britannique du 19 juin 2008, qui doivent être interprétées conformément au sens ordinaire à attribuer à leurs termes, dans leur contexte et à la lumière de leur objet et de leur but, que la condition prévue à l'alinéa (i) du a) du paragraphe 3 de cet article, tenant à ce que le résident de France soit soumis à l'impôt du Royaume-Uni à raison des revenus non mentionnés à l'alinéa (ii), pour que ces revenus lui ouvrent droit à un crédit d'impôt égal au montant de l'impôt français correspondant à ces revenus, signifie que les revenus en cause doivent être compris dans la base de " l'impôt du Royaume-Uni " au sens du a) du paragraphe 1 de l'article 2 de la même convention, sans que le résident de France en soit exonéré à raison de son statut ou de son activité. En revanche, cette condition n'exige pas que les revenus en cause aient été soumis à une imposition effective. S'agissant des contributions sociales françaises, qui font partie de " l'impôt français " défini au b) du paragraphe 1 de l'article 2 de la convention, aucune stipulation de l'article 24 ne subordonne l'octroi d'un crédit d'impôt égal à leur montant à ce que les revenus soumis à ces contributions aient été compris dans la base d'un impôt équivalent ou similaire au Royaume-Uni.
Sur la sixième question :
7. Il résulte de ce qui a été dit au point 6 ci-dessus que la condition prévue à l'alinéa (i) du a) du paragraphe 3 de l'article 24 de la convention doit être regardée comme satisfaite s'il est établi par le résident de France qu'il a déclaré les revenus en cause au Royaume-Uni, parce que ces revenus étaient compris dans la base de l'un des impôts énumérés au a) du 1 de l'article 2 de la convention, alors même qu'il n'aurait acquitté dans cet Etat aucun impôt à raison de ces revenus.
Le présent avis sera notifié au tribunal administratif de Cergy-Pontoise, à M. et Mme B... A... et au ministre de l'action et des comptes publics.