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10/02/2020 | FRANCE | N°421576

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 10 février 2020, 421576


Vu la procédure suivante :

La société Lemer Pax a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler le marché de " location vente d'une enceinte blindée automatisée avec la maintenance pour la préparation de doses de radio isotopes de haute énergie et l'injection au patient, et fourniture de consommables associés ", conclu le 11 juillet 2014 entre le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice et la société Trasis, d'autre part, de condamner ce centre hospitalier à lui verser la somme d'un euro symbolique, en réparation du préjudice découlant de son év

iction irrégulière de ce marché, enfin, d'enjoindre au centre hospital...

Vu la procédure suivante :

La société Lemer Pax a demandé au tribunal administratif de Nice, d'une part, d'annuler le marché de " location vente d'une enceinte blindée automatisée avec la maintenance pour la préparation de doses de radio isotopes de haute énergie et l'injection au patient, et fourniture de consommables associés ", conclu le 11 juillet 2014 entre le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice et la société Trasis, d'autre part, de condamner ce centre hospitalier à lui verser la somme d'un euro symbolique, en réparation du préjudice découlant de son éviction irrégulière de ce marché, enfin, d'enjoindre au centre hospitalier de lui communiquer divers documents. Par un jugement n° 1404021 du 15 décembre 2016, le tribunal administratif de Nice a rejeté la demande de la société Lemer Pax.

Par un arrêt n° 17MA01271 du 16 avril 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par la société Lemer Pax contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire, un mémoire en réplique et trois autres mémoires, enregistrés les 18 juin et 18 septembre 2018, 30 octobre 2019 et 20, 22 et 24 janvier 2020 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Lemer Pax demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la société Trasis et du CHU de Nice la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 93/42/CEE du Conseil du 14 juin 1993 ;

- le code des marchés publics ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Marc Pichon de Vendeuil, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société Lemer Pax, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la société Trasis et à la SCP Célice, Texidor, Perier, avocat du centre hospitalier universitaire de Nice ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 28 janvier 2020, présentée par la société Trasis ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, le 11 juillet 2014, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice a conclu avec la société Trasis un marché public ayant pour objet la " location vente d'une enceinte blindée automatisée avec la maintenance pour la préparation de doses de radio isotopes de haute énergie et l'injection au patient, et la fourniture des consommables associés pour le service de médecine nucléaire " de l'établissement. La société Lemer Pax, dont l'offre avait été écartée, a saisi le tribunal administratif de Nice afin de contester la validité de ce marché et de voir condamner le centre hospitalier à lui verser la somme d'un euro symbolique, en réparation du préjudice découlant de son éviction irrégulière. Par un jugement du 15 décembre 2016, le tribunal a rejeté sa demande. Par un arrêt du 16 avril 2018 contre lequel la société Lemer Pax se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté son appel contre ce jugement au motif qu'elle ne pouvait pas contester la validité du marché attribué à la société Trasis en soutenant que l'offre de cette dernière était non conforme faute de marquage CE approprié de plusieurs éléments devant être qualifiés de dispositifs médicaux.

2. Aux termes de l'article L. 5211-1 du code de la santé publique, pris pour assurer la transposition en droit français du a) du 2ème paragraphe de l'article 1er de la directive 93/42/CE du 14 juin 1993 relative aux dispositifs médicaux, dans sa version résultant de la directive 2007/47/CE du 5 septembre 2007, " on entend par dispositif médical tout instrument, appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y compris les accessoires et logiciels nécessaires au bon fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé chez l'homme à des fins médicales et dont l'action principale voulue n'est pas obtenue par des moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par métabolisme, mais dont la fonction peut être assistée par de tels moyens. Constitue également un dispositif médical le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé spécifiquement à des fins diagnostiques ou thérapeutiques ". Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par un arrêt du 7 décembre 2017 C-329/16, que, pour être qualifié de " dispositif médical ", un instrument doit, d'une part, poursuivre une finalité médicale, en particulier en étant utilisé à des fins de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d'atténuation d'une maladie, et, d'autre part, produire son action sur le patient sans recourir à des moyens pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, sans toutefois qu'il soit nécessaire que le dispositif agisse directement dans ou sur le corps humain.

3. Il s'en déduit, s'agissant du matériel nécessaire à la réalisation d'imagerie dans un service de médecine nucléaire, que lorsqu'un matériel est utilisé dans la préparation de solutions pharmaceutiques sans être suivi de l'administration de ces dernières à un patient, il ne peut pas, faute d'action sur le patient, être qualifié de dispositif médical au sens des dispositions citées au point précédent et constitue alors un équipement de fabrication. En revanche, un appareil destiné à mesurer la dose d'un produit radio-pharmaceutique en vue de prévenir ses éventuels effets dangereux au moment de son administration au patient doit être qualifié de dispositif médical. Il en va de même d'un matériel destiné à être intégré au système d'administration de substances radio-pharmaceutiques au patient et qui permet le contrôle de la radioactivité des substances présentes dans le flacon.

4. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel de Marseille a méconnu la portée des dispositions citées au point 3 en jugeant que des équipements ne peuvent constituer un " dispositif médical " au motif qu'ils sont utilisés lors du processus de préparation d'un médicament sans agir directement sur le patient, alors, d'une part, que la préparation d'un médicament correspond à une finalité médicale et que, d'autre part, aucune des dispositions citées n'impose qu'un dispositif médical agisse directement dans ou sur le corps humain.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'installation " Unidose " proposée par la société Trasis consiste à préparer de manière automatisée des solutions liquides de produit radio-pharmaceutique, destinées à être injectées sans délai au patient pour réaliser des imageries de diagnostic. Cette préparation est effectuée par un automate de répartition lui-même logé dans une " enceinte blindée " et incluant deux activimètres mesurant la radioactivité. La solution liquide obtenue est placée dans un conteneur étanche appelé " carpule ", qui est lui-même transporté jusqu'au patient dans une " chope " blindée manuellement, la solution étant alors administrée au patient à l'aide d'un " kit d'injection ". Ces opérations successives se déroulent en quelques minutes.

6. Eu égard, d'une part, à la finalité des activimètres qui, en l'espèce, sont destinés à être utilisés à des fins médicales lors de la préparation de doses de radio-isotopes au moment de leur administration aux patients, et, d'autre part, aux effets immédiats qui s'attachent aux mesures réalisées, les activimètres, qui font partie intégrante de l'automate de répartition, étant seuls susceptibles de mesurer le niveau de radioactivité des doses injectées aux patients, et la précision des mesures effectuées pouvant impliquer des conséquences significatives sur la santé et la sécurité des patients, la cour administrative d'appel de Marseille a inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis en estimant que ces instruments de mesure ne pouvaient être regardés, en l'espèce, comme des dispositifs médicaux au sens de l'article L. 5211-1 du code de la santé publique.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, que son arrêt doit être annulé.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge respectivement de la société Trasis et du CHU de Nice la somme de 1 500 euros à verser à la société Lemer Pax, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les mêmes dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la société Lemer Pax qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt du 16 avril 2018 de la cour administrative d'appel de Marseille est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Marseille.

Article 3 : La société Trasis et le CHU de Nice verseront chacun une somme de 1 500 euros à la société Lemer Pax, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Trasis et du CHU de Nice présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Lemer Pax, à la société Trasis, au centre hospitalier universitaire de Nice, à la ministre des solidarités et de la santé et à l'agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 421576
Date de la décision : 10/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

61-04-01-05 SANTÉ PUBLIQUE. PHARMACIE. PRODUITS PHARMACEUTIQUES. DISPOSITIFS MÉDICAUX. - DISPOSITIF MÉDICAL (ART. L. 5211-1 DU CSP) - 1) DÉFINITION - CRITÈRES CUMULATIFS - POURSUITE D'UNE FINALITÉ MÉDICALE - PRODUCTION D'UNE ACTION SUR LE PATIENT - 2) CAS DU MATÉRIEL NÉCESSAIRE À LA RÉALISATION D'IMAGERIE DANS UN SERVICE DE MÉDECINE NUCLÉAIRE - A) MATÉRIEL UTILISÉ DANS LA PRÉPARATION DE SOLUTIONS PHARMACEUTIQUES N'ÉTANT PAS ENSUITE ADMINISTRÉES AU PATIENT - EXCLUSION - B) APPAREIL UTILISÉ AU MOMENT DE L'ADMINISTRATION D'UN PRODUIT RADIOPHARMACEUTIQUE POUR EN CONTRÔLER LA DOSE OU EN MESURER LA RADIOACTIVITÉ - INCLUSION.

61-04-01-05 1) Il résulte de l'article L. 5211-1 du code de la santé publique (CSP), telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment par un arrêt du 7 décembre 2017 C-329/16, que, pour être qualifié de dispositif médical, un instrument doit, d'une part, poursuivre une finalité médicale, en particulier en étant utilisé à des fins de diagnostic, de prévention, de contrôle, de traitement ou d'atténuation d'une maladie, et, d'autre part, produire son action sur le patient sans recourir à des moyens pharmacologiques, immunologiques ou métaboliques, sans toutefois qu'il soit nécessaire que le dispositif agisse directement dans ou sur le corps humain.,,,2) a) Il s'en déduit, s'agissant du matériel nécessaire à la réalisation d'imagerie dans un service de médecine nucléaire, que lorsqu'un matériel est utilisé dans la préparation de solutions pharmaceutiques sans être suivi de l'administration de ces dernières à un patient, il ne peut pas, faute d'action sur le patient, être qualifié de dispositif médical au sens des dispositions citées au point précédent et constitue alors un équipement de fabrication.... ,,b) En revanche, un appareil destiné à mesurer la dose d'un produit radio-pharmaceutique en vue de prévenir ses éventuels effets dangereux au moment de son administration au patient doit être qualifié de dispositif médical. Il en va de même d'un matériel destiné à être intégré au système d'administration de substances radio-pharmaceutiques au patient et qui permet le contrôle de la radioactivité des substances présentes dans le flacon.,,,Par suite, méconnaît la portée de l'article L. 5211-1 du CSP la cour administrative d'appel qui juge que des équipements ne peuvent constituer un dispositif médical au motif qu'ils sont utilisés lors du processus de préparation d'un médicament sans agir directement sur le patient, alors, d'une part, que la préparation d'un médicament correspond à une finalité médicale et que, d'autre part, aucune des dispositions citées n'impose qu'un dispositif médical agisse directement dans ou sur le corps humain.


Publications
Proposition de citation : CE, 10 fév. 2020, n° 421576
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Marc Pichon de Vendeuil
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP GARREAU, BAUER-VIOLAS, FESCHOTTE-DESBOIS ; SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP CELICE, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 18/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2020:421576.20200210
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