Vu la procédure suivante :
La société Distribution Casino France a demandé à la cour administrative d'appel de Marseille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 11 octobre 2016 par laquelle la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté son recours contre la décision du 30 mai 2016 par laquelle la commission départementale d'aménagement commercial des Alpes-Maritimes a autorisé la société Pronice à exploiter une surface de vente de 2 163 m2 sur le territoire de la commune de Nice. Par un arrêt n° 17MA00128 du 3 mai 2018, la cour administrative d'appel a rejeté sa requête.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 16 juillet et 16 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Distribution Casino France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à sa requête ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Pronice la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 73-1193 du 27 décembre 1973 ;
- la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 ;
- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;
- le décret n° 2015-165 du 12 février 2015 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Olivier Fuchs, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Distribution Casino France et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Pronice ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 30 mai 2016, la commission départementale d'aménagement commercial des Alpes-Maritimes a autorisé la société Pronice à exploiter sous l'enseigne " Super U ", sur le territoire de la commune de Nice, un supermarché d'une surface de 2 163 m2, situé au rez-de-chaussée d'un ensemble immobilier comportant des logements à usage d'habitation, une résidence de logements pour étudiants, une résidence de logements avec services pour personnes âgées, des commerces et une activité artisanale. La construction de cet ensemble a été autorisée par un permis de construire délivré par le maire de Nice le 1er mars 2013, ayant ultérieurement fait l'objet de deux permis modificatifs, délivrés les 24 novembre 2014 et 9 février 2016. Par une décision du 11 octobre 2016, la Commission nationale d'aménagement commercial a rejeté les recours formés par la société Distribution Casino France et une autre société contre la décision du 30 mai 2016 de la commission départementale d'aménagement commercial des Alpes-Maritimes. La société Distribution Casino France se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 3 mai 2018 par lequel la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté sa requête dirigée contre cette décision.
Sur le droit applicable :
2. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 425-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de l'article 39 de la loi du 18 juin 2014 relative à l'artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : " Lorsque le projet est soumis à autorisation d'exploitation commerciale au sens de l'article L. 752-1 du code de commerce, le permis de construire tient lieu d'autorisation dès lors que la demande de permis a fait l'objet d'un avis favorable de la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, de la Commission nationale d'aménagement commercial. ". En vertu de l'article 6 du décret du 12 février 2015 relatif à l'aménagement commercial, ces dispositions sont entrées en vigueur le 15 février 2015.
3. Il résulte des dispositions citées au point 2 que lorsqu'un projet soumis à autorisation d'exploitation commerciale a fait l'objet d'un permis de construire délivré avant le 15 février 2015, ni ce permis, ni les permis de construire modificatifs délivrés le cas échéant après cette date compte tenu de l'évolution du projet de construction, ne tiennent lieu d'autorisation d'exploitation commerciale. Par suite, de tels permis de construire modificatifs n'ont pas à être soumis pour avis à la commission départementale d'aménagement commercial ou, le cas échéant, à la Commission nationale d'aménagement commercial. Dans un tel cas, toute décision de la Commission nationale d'aménagement commercial qui, bien que prise après le 15 février 2015, est relative à un projet dont le permis de construire a été délivré avant le 15 février 2015, revêt, quand bien même des permis modificatifs auraient été délivrés après cette date, le caractère non d'un avis, mais d'un d'acte faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif.
Sur le pourvoi :
4. En premier lieu, la cour administrative d'appel de Marseille a relevé, par une appréciation souveraine non arguée de dénaturation, que la délivrance d'un nouveau permis de construire n'était pas nécessaire en l'absence, notamment, de tout changement de destination de la construction autorisée par le permis initial, antérieur à l'entrée en vigueur de la loi du 18 juin 2014, et les permis modificatifs. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que seule la décision de la commission nationale du 11 octobre 2016, rejetant les recours formés contre la décision du 30 mai 2016 de la commission départementale d'aménagement commercial des Alpes-Maritimes autorisant l'exploitation par la société Pronice du projet décrit au point 1, était dès lors susceptible de recours pour excès de pouvoir, et non les permis modifiant le permis de construire initial délivré le 1er mars 2013, soit avant le 15 février 2015, lesquels ne valaient pas autorisation d'exploitation commerciale. Par suite, la cour a pu, sans entacher son arrêt d'irrégularité, s'abstenir de répondre au moyen tiré de l'irrégularité du permis modificatif du 9 février 2016, qui était inopérant.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 752-4 du code de commerce, dans sa rédaction issue du décret du 12 février 2015 cité au point 2 : " La demande d'autorisation d'exploitation commerciale est présentée :/ a) Soit par le ou les propriétaires du ou des terrains ou immeubles, par toute personne justifiant d'un titre du ou des propriétaires l'habilitant à exécuter les travaux ou par le mandataire d'une de ces personnes ;/ b) Soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation pour cause d'utilité publique ; /Dans le cas où un permis de construire n'est pas nécessaire, la demande d'autorisation d'exploitation commerciale peut également être présentée par toute personne justifiant d'un titre du ou des propriétaires l'habilitant à exploiter commercialement les immeubles ou par le mandataire de cette personne ". La cour administrative d'appel, ayant relevé que la délivrance d'un nouveau permis de construire n'était pas nécessaire, n'a commis aucune erreur de droit en écartant le moyen tiré de ce que la société Pronice n'avait pas qualité pour présenter la demande d'autorisation au motif que le projet aurait nécessité la délivrance d'un permis de construire valant autorisation d'exploitation commerciale.
6. En troisième lieu, la cour n'a pas dénaturé les pièces du dossier en estimant que le dossier et les éléments complémentaires fournis par la société Pronice étaient suffisants au regard des éléments requis par les articles R. 752-6 et R. 752-7 du code de commerce pour lui permettre d'apprécier les effets du projet d'équipement commercial en matière d'aménagement du territoire et de développement durable, s'agissant notamment de l'évaluation des flux de circulation, de la desserte du site par les modes de transport doux et de l'insertion du projet dans son environnement. Il ressort en particulier des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le dossier joint par la société Pronice à sa demande d'autorisation a été complété au cours de l'instruction par la Commission nationale d'aménagement commercial, et avant la décision de celle-ci, par une étude de trafic qui comporte des évaluations précises des flux de circulation actuels et engendrés par le projet. La pertinence de ces évaluations, en l'absence de dénaturation, n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation. Par ailleurs, la cour n'a pas, eu égard à la teneur de l'argumentation dont elle était saisie, insuffisamment motivé son arrêt en retenant que " contrairement à ce qui est soutenu, le dossier de demande d'autorisation d'exploitation commerciale (...) comportait l'ensemble des éléments permettant à la commission d'apprécier l'impact visuel du projet sur son environnement ".
7. En quatrième lieu, il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles se prononcent sur un projet d'exploitation commerciale soumis à autorisation en application de l'article L. 752-1 du code de commerce, d'apprécier la conformité de ce projet aux objectifs prévus à l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat et à l'article L. 750-1 du code de commerce, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du même code. Ces commissions ne pouvaient, en vertu des textes applicables au présent litige, refuser l'autorisation demandée que si, eu égard à ses effets, le projet compromettait la réalisation de ces objectifs.
8. La cour a notamment relevé que le projet d'équipement commercial participe au renouvellement urbain du secteur de la commune dans lequel l'immeuble est situé, que son traitement architectural est similaire à celui des immeubles voisins, qu'il n'est pas établi par les pièces du dossier qu'il entraînerait l'apparition d'une friche commerciale, et que diverses mesures sont prises tant pour prévenir les nuisances de toute nature qu'il est susceptible d'occasionner que pour limiter la dangerosité de l'accès des camions de livraison. En retenant dans ces conditions que le projet ne compromet pas les objectifs d'aménagement du territoire, de développement durable et de protection des consommateurs fixés par les articles L. 750-1 et L. 752-6 du code de commerce, en dépit de l'insuffisance de l'accès cycliste, elle a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation et suffisamment motivé son arrêt, eu égard à la teneur de l'argumentation dont elle était saisie.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt attaqué.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat et de la société Pronice qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes. En revanche il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Distribution Casino France une somme de 3 000 euros à verser à la société Pronice, au titre des mêmes dispositions.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société Distribution Casino France est rejeté.
Article 2 : La société Distribution Casino France versera à la société Pronice une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Distribution Casino France, à la société Pronice et au ministre de l'économie et des finances.