Vu la procédure suivante :
Par un mémoire, enregistré le 26 septembre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, Mme A... B... demande au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de sa requête tendant à l'annulation du paragraphe n° 130 des commentaires administratifs publiés le 24 juillet 2017 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-RPPM-PVBMI-20-20-10, en tant qu'il énonce que l'abattement pour durée de détention prévu par l'article 150-0 D du code général des impôts ne s'applique pas aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2013 et placées en report d'imposition en application du II de l'article 92 B et du I ter de l'article 160 du code général des impôts au lieu de prescrire l'application d'un abattement global déterminé en fonction de la durée de détention décomptée depuis l'acquisition des titres remis à l'échange jusqu'à la cession des titres issus de l'échange et pratiqué sur la somme de la plus-value mise en report lors de l'échange et de la plus-value de cession des titres issus de l'échange, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution du III de l'article 17 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 en combinaison avec le II de l'article 92 B et le I ter de l'article 160 du code général des impôts dans leur rédaction applicable aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2000.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 ;
- la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999, notamment son article 94 ;
- la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013, notamment son article 17 ;
- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 18 septembre 2019 (C-662/18 et C-672/18) ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Vincent Uher, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.
2. Mme B... soutient que les dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec celles du II de l'article 92 B et du I ter de l'article 160 du code général des impôts, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques protégés respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en tant que les modalités d'imposition des plus-values réalisées avant le 1er janvier 2000 et placées en report d'imposition en application de ces articles 92 B et 160 sont moins favorables lorsque les opérations d'échange d'actions n'entrent pas dans les prévisions de la directive " fusions " du 23 juillet 1990 que lorsqu'elles y entrent, ce dont il résulterait une discrimination à rebours contraire à ces principes constitutionnels.
3. D'une part, aux termes du II de l'article 92 B du code général des impôts, dans sa rédaction demeurant applicable aux plus-values réalisées antérieurement au 1er janvier 2000, conformément au V de l'article 94 de la loi du 30 décembre 1999 de finances pour 2000 : " 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus-value réalisée en cas d'échange de titres résultant d'une opération d'offre publique, de fusion, de scission, d'absorption d'un fonds commun de placement par une société d'investissement à capital variable réalisée conformément à la réglementation en vigueur ou d'un apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés, peut être reportée au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange. (...) ". Aux termes du I ter de l'article 160 du même code, dans sa rédaction demeurant ... : " 4. L'imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d'échange de droits sociaux résultant d'une opération de fusion, scission, d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B ".
4. Il résulte de ces dispositions du code général des impôts, selon l'interprétation constante qui en est donnée par le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, qu'elles ont pour seul effet de permettre, par dérogation à la règle selon laquelle le fait générateur de l'imposition d'une plus-value est constitué au cours de l'année de sa réalisation, de constater et de liquider la plus-value d'échange l'année de sa réalisation et de l'imposer l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition, qui peut notamment être la cession des titres reçus au moment de l'échange. Le montant de la plus-value est ainsi calculé en appliquant les règles d'assiette en vigueur l'année de sa réalisation, mais son imposition obéit, s'agissant d'un report optionnel, aux règles de calcul de l'impôt en vigueur l'année au cours de laquelle intervient l'événement qui met fin au report d'imposition.
5. En vertu du 2 de l'article 200 A du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la loi du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 et applicable aux revenus perçus du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2017, les gains nets obtenus dans les conditions prévues à l'article 150-0 A sont pris en compte pour la détermination du revenu net global soumis au barème progressif de l'impôt sur le revenu. L'article 150-0 D du code général des impôts dispose, dans sa version issue de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, au deuxième alinéa de son 1, que : " Les gains nets de cession à titre onéreux d'actions, de parts de sociétés, de droits portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés au I de l'article 150-0 A, ainsi que les distributions mentionnées aux 7, 7 bis et aux deux derniers alinéas du 8 du II du même article, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163 quinquies C sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article ". Ce même article définit, à son 1 ter, l'abattement pour durée de détention de droit commun et, à son 1 quater, l'abattement pour durée de détention renforcé applicable à certaines situations. Le III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 prévoit que ces dispositions s'appliquent aux gains réalisés à compter du 1er janvier 2013.
6. D'autre part, aux termes de l'article 8 de la directive 2009/133/CE du Conseil du 19 octobre 2009 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, scissions partielles, apports d'actifs et échanges d'actions intéressant des sociétés d'États membres différents, ainsi qu'au transfert du siège statutaire d'une SE ou d'une SCE d'un Etat membre à un autre, qui reprend les dispositions de l'article 8 de la directive 90/434/CEE du Conseil du 23 juillet 1990 concernant le régime fiscal commun applicable aux fusions, scissions, apports d'actifs et échanges d'actions des sociétés d'Etats membres différents : " 1. L'attribution, à l'occasion d'une fusion, d'une scission ou d'un échange d'actions, de titres représentatifs du capital social de la société bénéficiaire ou acquérante à un associé de la société apporteuse ou acquise, en échange de titres représentatifs du capital social de cette dernière société, ne doit, par elle-même, entraîner aucune imposition sur le revenu, les bénéfices ou les plus-values de cet associé. / (...) 6. L'application des paragraphes 1, 2 et 3 n'empêche pas les États membres d'imposer le profit résultant de la cession ultérieure des titres reçus de la même manière que le profit qui résulte de la cession des titres existant avant l'acquisition. "
7. Par un arrêt nos C-662/18 et C-672/18 du 18 septembre 2019, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que les dispositions citées au point précédent doivent être interprétés en ce sens que, dans le cadre d'une opération d'échange de titres, elles requièrent que soit appliqué, à la plus-value afférente aux titres échangés et placée en report d'imposition ainsi qu'à celle issue de la cession des titres reçus en échange, le même traitement fiscal, au regard du taux d'imposition et de l'application d'un abattement fiscal pour tenir compte de la durée de détention des titres, que celui que se serait vu appliquer la plus-value qui aurait été réalisée lors de la cession des titres existant avant l'opération d'échange, si cette dernière n'avait pas eu lieu.
8. Il résulte de ce qui précède que les plus-values en report réalisées antérieurement au 1er janvier 2000 et afférentes à des opérations entrant dans le champ matériel et territorial de la directive " fusions " du 19 octobre 2009 bénéficient, en cas d'imposition au barème progressif de l'impôt sur le revenu, de l'application de l'abattement pour durée de détention prévu au 1 de l'article 150-0 D du code général des impôts, dans les conditions énoncées au point 7, alors que celles afférentes à des opérations qui n'entrent pas dans ce même champ, notamment celles qui ne mettent en cause que des personnes établies en France, n'en bénéficient pas.
9. Par suite, le moyen tiré de ce que les dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec celles du II de l'article 92 B et du I ter de l'article 160 du code général des impôts, qui sont applicables au présent litige et n'ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment au principe d'égalité devant la loi soulève une question présentant un caractère sérieux. Ainsi, il y a lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée.
D E C I D E :
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Article 1er : La question de la conformité à la Constitution des dispositions du III de l'article 17 de la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 2014, en combinaison avec celles du II de l'article 92 B et du I ter de l'article 160 du code général des impôts, est renvoyée au Conseil constitutionnel.
Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête de Mme B... jusqu'à ce que le Conseil constitutionnel ait tranché la question de constitutionnalité ainsi soulevée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme A... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au Premier ministre.