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22/11/2019 | FRANCE | N°425849

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 22 novembre 2019, 425849


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 novembre 2018 et 24 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 août 2018 de la ministre des armées prononçant à son encontre la sanction disciplinaire du premier groupe du " blâme du ministre " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossi

er ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 30 novembre 2018 et 24 octobre 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 août 2018 de la ministre des armées prononçant à son encontre la sanction disciplinaire du premier groupe du " blâme du ministre " ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la défense ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- l'arrêté du ministre de la défense du 25 juillet 1980 portant organisation de l'enseignement militaire supérieur du deuxième degré ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yohann Bouquerel, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que le chef d'escadron B..., après avoir commandé un escadron de gendarmerie mobile à Melun pendant quatre années, a été affecté du 1er août 2016 au 1er août 2018 en qualité de commandant de la compagnie de gendarmerie départementale de Rouen. A la suite d'un signalement fait le 13 avril 2018 sur la plateforme nationale destinée à recueillir les signalements des cas de discrimination au sein de la gendarmerie, le chef de l'inspection générale de la gendarmerie nationale a ordonné au commandant de la région de gendarmerie de Normandie de procéder à une enquête de commandement sur les relations qu'entretenait M. B... avec ses subordonnés. Les auteurs du rapport de l'enquête de commandement, remis le 15 juin 2018, ont constaté que l'intéressé avait tenu de manière récurrente des propos misogynes, sexistes, obscènes, racistes et discriminatoires à l'égard de subordonnés entre avril 2014 et mai 2018. Se fondant sur ces constats, la ministre des armées a prononcé, le 10 août 2018, un " blâme du ministre " à l'encontre de l'intéressé. M. B... demande l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision.

Sur la légalité externe de la décision attaquée :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3225-1 du code de la défense : " Le ministre de la défense (...) exerce à l'égard des personnels militaires de la gendarmerie nationale les attributions en matière de discipline ". Aux termes du second alinéa de l'article R. 4137-41 du même code : " La radiation des cadres des sous-officiers de carrière de la gendarmerie nationale est prononcée par le ministre de la défense, après avis du ministre de l'intérieur ". Il résulte de ces dispositions que le pouvoir disciplinaire à l'égard des personnels de la gendarmerie nationale appartient au ministre de la défense sans qu'il soit tenu de consulter le ministre de l'intérieur sur les décisions qu'il prend dans ce domaine, sauf pour ce qui concerne le cas prévu à l'article R. 4137-41 du code de la défense.

3. Par ailleurs, aux termes de l'article 1er du décret du 27 juillet 2005 relatif aux délégations de signature des membres du Gouvernement : " (...) peuvent signer, au nom du ministre ou du secrétaire d'Etat et par délégation, l'ensemble des actes, à l'exception des décrets, relatifs aux affaires des services placés sous leur autorité : / (...) 3° (...) les majors généraux de l'armée de terre, (...) et de la gendarmerie (...) ". Il en résulte que le major général de la gendarmerie nationale disposait d'une délégation de signature régulière de la part de la ministre des armées lui permettant de signer la décision de sanction en litige.

4. En deuxième lieu, aucune disposition législative ou réglementaire ni aucun principe ne fait obstacle à ce que la ministre des armées se fonde, pour infliger une sanction, sur des éléments établis par la direction générale de la gendarmerie nationale et l'inspection générale de la gendarmerie nationale, alors même que le ministre de l'intérieur dispose d'une autorité sur ces services.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 4137-15 du code de la défense : " (...) Lorsque la demande de sanction est transmise à une autorité militaire supérieure à l'autorité militaire de premier niveau, le militaire en cause peut également s'expliquer par écrit sur ces faits auprès de cette autorité supérieure. L'explication écrite de l'intéressé ou la renonciation écrite à l'exercice du droit de s'expliquer par écrit est jointe au dossier transmis à l'autorité militaire supérieur. (...) ". Si M. B... fait valoir que la lettre du 9 juillet 2018 par laquelle il a contesté le rapport de l'enquête de commandement du 15 juin 2018 n'aurait pas été portée à la connaissance de la ministre des armées, il ressort des pièces du dossier que cette lettre ne fait pas état d'autres éléments que celle du 29 juin 2018 qui a été versée dans son dossier disciplinaire. La circonstance que les visas de la décision contestée ne portent pas mention d'une de ses lettres est, en tout état de cause, dépourvue d'incidence sur la légalité de cette décision.

6. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'enquête de commandement aurait été menée dans des conditions méconnaissant le principe d'impartialité.

Sur la légalité interne de la décision attaquée :

7. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de l'arrêté du ministre de la défense du 25 juillet 1980 portant organisation de l'enseignement militaire supérieur du deuxième degré : " l'exclusion de l'enseignement militaire supérieur du deuxième degré peut être prononcée par le délégué général pour l'armement ou par le chef d'état-major ou le directeur sous l'autorité duquel est dispensé cet enseignement, soit pour travail insuffisant ou insuffisance d'instruction, soit pour faute contre la discipline ou pour tout autre motif grave, lié ou non lié à l'enseignement (...) ".

8. Par une décision du 13 juillet 2018 prise sur le fondement de ces dispositions, le directeur général de la gendarmerie nationale a exclu le requérant de l'Ecole de guerre au motif que " le comportement habituellement adopté par le chef d'escadron B..., notamment par son discours et son langage inappropriés à l'endroit de ses subordonnés, démontre qu'il ne possède pas les aptitudes requises pour l'exercice d'importantes responsabilités d'état-major, de direction et de commandement au sein de la gendarmerie nationale ". Cette décision, prise dans l'intérêt du service sur le fondement des dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 25 juillet 1980 afin de prévenir l'accès à des fonctions de responsabilité supérieure d'un officier ne présentant manifestement pas les aptitudes comportementales requises, ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire. Par suite, le requérant ne peut utilement soutenir qu'il aurait fait l'objet de deux sanctions disciplinaires pour les mêmes faits.

9. En second lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 4122-3 du code de la défense : " Le militaire est soumis aux obligations qu'exige l'état militaire conformément au deuxième alinéa de l'article L. 4111-1. Il exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Aux termes de l'article L. 4137-2 du même code : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / 1° Les sanctions du premier groupe sont : / a) L'avertissement ; / b) La consigne ; / c) La réprimande ; / d) Le blâme ; / e) Les arrêts ; / f) Le blâme du ministre / (...) ".

10. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

11. Il ressort des pièces du dossier que l'enquête de commandement, au cours de laquelle cinquante-cinq témoignages de gendarmes ont été recueillis, a établi que le requérant avait tenu à de très nombreuses reprises des propos misogynes, sexistes, obscènes, racistes et discriminatoires à leur égard entre avril 2014 et mai 2018. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision attaquée reposerait sur des faits matériellement inexacts doit être écarté.

12. En estimant que les faits reprochés au requérant, eu égard à la teneur des propos en cause, exprimés à de nombreuses reprises, présentaient le caractère d'une faute de nature à justifier une sanction, la ministre des armées ne les a pas inexactement qualifiés.

13. Enfin, en infligeant à raison de ces faits la sanction du " blâme du ministre " à l'intéressé, la ministre des armées n'a pas, eu égard à la nature de ces faits, à la méconnaissance qu'ils traduisent des responsabilités d'encadrement qui incombent à un officier et à la circonstance qu'ils sont susceptibles de porter atteinte à l'image de la gendarmerie nationale, pris une sanction disproportionnée, alors même que la manière de servir de l'intéressé, qui a fait l'objet d'une appréciation spécifique dans le bulletin de sanction en litige et a été prise en compte contrairement à ce qui est soutenu, avait jusque-là été jugée satisfaisante.

14. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation pour excès de pouvoir de la décision qu'il attaque.

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. A... B... et à la ministre des armées.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 425849
Date de la décision : 22/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

ARMÉES ET DÉFENSE - PERSONNELS MILITAIRES ET CIVILS DE LA DÉFENSE - QUESTIONS PARTICULIÈRES À CERTAINS PERSONNELS MILITAIRES - ÉLÈVES OFFICIERS ET ÉLÈVES DES ÉCOLES MILITAIRES PRÉPARATOIRES - EXCLUSION D'UN MILITAIRE DE L'ECOLE DE GUERRE (ART - 3 DE L'ARRÊTÉ DU 25 JUILLET 1980) - DÉCISION PRÉSENTANT LE CARACTÈRE D'UNE SANCTION DISCIPLINAIRE - ABSENCE.

08-01-02-02 Décision prise sur le fondement de l'article 3 de l'arrêté du ministre de la défense du 25 juillet 1980 portant organisation de l'enseignement militaire supérieur du deuxième degré, par laquelle le directeur général de la gendarmerie nationale a exclu un militaire de l'Ecole de guerre au motif que le comportement habituellement adopté par [celui-ci], notamment par son discours et son langage inappropriés à l'endroit de ses subordonnés, démontre qu'il ne possède pas les aptitudes requises pour l'exercice d'importantes responsabilités d'état-major, de direction et de commandement au sein de la gendarmerie nationale.... ,,Cette décision, prise dans l'intérêt du service sur le fondement des dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 25 juillet 1980 afin de prévenir l'accès à des fonctions de responsabilité supérieure d'un officier ne présentant manifestement pas les aptitudes comportementales requises, ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire.

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - DISCIPLINE - CARACTÈRE DISCIPLINAIRE D'UNE MESURE - MESURE NE PRÉSENTANT PAS CE CARACTÈRE - EXCLUSION D'UN MILITAIRE DE L'ECOLE DE GUERRE (ART - 3 DE L'ARRÊTÉ DU 25 JUILLET 1980).

36-09-02-02 Décision prise sur le fondement de l'article 3 de l'arrêté du ministre de la défense du 25 juillet 1980 portant organisation de l'enseignement militaire supérieur du deuxième degré, par laquelle le directeur général de la gendarmerie nationale a exclu un militaire de l'Ecole de guerre au motif que le comportement habituellement adopté par [celui-ci], notamment par son discours et son langage inappropriés à l'endroit de ses subordonnés, démontre qu'il ne possède pas les aptitudes requises pour l'exercice d'importantes responsabilités d'état-major, de direction et de commandement au sein de la gendarmerie nationale.... ,,Cette décision, prise dans l'intérêt du service sur le fondement des dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 25 juillet 1980 afin de prévenir l'accès à des fonctions de responsabilité supérieure d'un officier ne présentant manifestement pas les aptitudes comportementales requises, ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire.

RÉPRESSION - DOMAINE DE LA RÉPRESSION ADMINISTRATIVE - EXCLUSION D'UN MILITAIRE DE L'ECOLE DE GUERRE (ART - 3 DE L'ARRÊTÉ DU 25 JUILLET 1980) - DÉCISION PRÉSENTANT LE CARACTÈRE D'UNE SANCTION DISCIPLINAIRE - ABSENCE.

59-02 Décision prise sur le fondement de l'article 3 de l'arrêté du ministre de la défense du 25 juillet 1980 portant organisation de l'enseignement militaire supérieur du deuxième degré, par laquelle le directeur général de la gendarmerie nationale a exclu un militaire de l'Ecole de guerre au motif que le comportement habituellement adopté par [celui-ci], notamment par son discours et son langage inappropriés à l'endroit de ses subordonnés, démontre qu'il ne possède pas les aptitudes requises pour l'exercice d'importantes responsabilités d'état-major, de direction et de commandement au sein de la gendarmerie nationale.... ,,Cette décision, prise dans l'intérêt du service sur le fondement des dispositions de l'article 3 de l'arrêté du 25 juillet 1980 afin de prévenir l'accès à des fonctions de responsabilité supérieure d'un officier ne présentant manifestement pas les aptitudes comportementales requises, ne revêt pas le caractère d'une sanction disciplinaire.


Publications
Proposition de citation : CE, 22 nov. 2019, n° 425849
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Yohann Bouquerel
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:425849.20191122
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