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06/08/2019 | FRANCE | N°432589

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 06 août 2019, 432589


Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons a saisi le président du tribunal administratif de la Martinique, statuant sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, d'une demande d'exécution de l'ordonnance n° 1400673 du 17 octobre 2014 par laquelle le juge des référés de ce tribunal a enjoint à la garde des sceaux, ministre de la justice de prendre les mesures mentionnées aux points 9, 12, 15, 21, 24 et 36 des motifs de cette ordonnance. Par un jugement n° 1900060 du 18 juin 2019, le tribunal administ

ratif de la Martinique a enjoint à la garde des sceaux, ministre...

Vu la procédure suivante :

La Section française de l'Observatoire international des prisons a saisi le président du tribunal administratif de la Martinique, statuant sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, d'une demande d'exécution de l'ordonnance n° 1400673 du 17 octobre 2014 par laquelle le juge des référés de ce tribunal a enjoint à la garde des sceaux, ministre de la justice de prendre les mesures mentionnées aux points 9, 12, 15, 21, 24 et 36 des motifs de cette ordonnance. Par un jugement n° 1900060 du 18 juin 2019, le tribunal administratif de la Martinique a enjoint à la garde des sceaux, ministre de la justice de procéder à des travaux permettant que les cours de promenade du centre pénitentiaire de Ducos restent utilisables même en cas d'intempéries et de prendre les mesures nécessaires à la rémunération par le service public hospitalier d'un médecin généraliste supplémentaire à temps plein et à l'intervention d'un médecin la nuit et les week-end en tant que de besoin dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 50 euros par jour de retard en l'absence d'entière exécution à l'issue de ce délai.

Par une requête, enregistrée le 12 juillet 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la garde des sceaux, ministre de la justice demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler ce jugement et de rejeter la requête présentée par la Section française de l'Observatoire international des prisons.

Elle soutient que :

- ce jugement est entaché d'une erreur de droit, dès lors, que le juge des référés n'a pas fait usage de son pouvoir d'instruction pour demander la production de preuves témoignant de la réalisation des travaux ;

- le jugement est entaché d'une erreur d'appréciation des faits, dès lors, que l'ordonnance du 17 octobre 2014 a également été exécutée sur ces deux points. D'une part, la cour de l'unité de vie, niveau 0, a en effet été bétonnée et les travaux de drainage et d'installation d'avaloirs dans la cour de la maison d'arrêt des hommes 1 éviteront les problèmes de remontées d'eau et de boue dans cette cour dont l'engazonnement a été repris et le sera à nouveau dès que l'arrosage sera à nouveau autorisé. D'autre part, des démarches ont été entreprises par le centre pénitentiaire de Ducos pour obtenir du centre hospitalier universitaire de Martinique un renforcement des effectifs de personnel soignant, notamment en psychiatrie, intervenant auprès des personnes détenues et a mis en place un groupe de travail pour améliorer le parcours du patient détenu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juillet 2019, la Section française de l'Observatoire international des prisons conclut au rejet la requête. En outre, par la voie de l'appel incident, elle demande au juge des référés du Conseil d'Etat d'enjoindre, dans un délai de trois mois et sous astreinte de 50 euros par jour de retard, à la garde des sceaux, ministre de la justice de prendre toutes les mesures de nature à assurer l'exécution des mesures prescrites par l'ordonnance du 17 octobre 2014 et tendant à l'éradication efficace des nuisibles présents au sein du centre pénitencier de Ducos, au lessivage annuel des cellules ainsi qu'à la distribution aux détenus de kits d'hygiène et de produits d'entretien, de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire à l'ordonnance à intervenir et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la garde des sceaux, ministre de la justice et, d'autre part, la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 24 juillet 2019 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants de la garde des sceaux, ministre de la justice ;

- Me Vincent Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de l'Observatoire international des prisons ;

- le représentant de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 30 juillet 2019 à 12 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 26 juillet 2019, avant la clôture de l'instruction, par lequel la garde des sceaux, ministre de la justice maintient ses conclusions ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 29 juillet 2019, avant la clôture de l'instruction, par lequel la Section française de l'Observatoire international des prisons maintient ses conclusions ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 911-4 du code: " En cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution. Toutefois, en cas d'inexécution d'un jugement frappé d'appel, la demande d'exécution est adressée à la juridiction d'appel. Si le jugement dont l'exécution est demandée n'a pas défini les mesures d'exécution, la juridiction saisie procède à cette définition. Elle peut fixer un délai d'exécution et prononcer une astreinte. Le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut renvoyer la demande d'exécution au Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ". En vertu de l'article L. 911-4 du même code, en cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu le jugement d'en assurer l'exécution.

2. Par une ordonnance n° 1400673 du 17 octobre 2014 devenue définitive, le juge des référés du tribunal administratif de la Martinique, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, a enjoint à la garde des sceaux, ministre de la justice de prendre à l'égard du centre pénitentiaire de Ducos les mesures mentionnées aux points 9, 12, 15, 21, 24 et 36 des motifs de cette ordonnance à savoir faire procéder à une opération de dératisation et de désinsectisation de l'ensemble des locaux et de conclure un contrat garantissant un passage plus fréquent de l'entreprise pour la dératisation, de mettre à disposition des poubelles et sacs poubelles en nombre suffisant dans chaque cellule, de faire procéder à des travaux de nature à permettre que les cours de promenade restent utilisables même en cas d'intempéries, de faire procéder à un lessivage complet annuel des cellules, de renouveler régulièrement les produits du " kit entrant " pour assurer suffisamment l'hygiène des détenus, de fournir à ces derniers des produits d'entretien en quantité suffisante pour leur permettre d'assurer l'entretien de leur cellule et, enfin, de prendre les mesures nécessaires à la rémunération par le service public hospitalier d'un médecin généraliste supplémentaire à plein temps et à permettre l'intervention d'un médecin la nuit et le week-end au sein du centre. La Section française de l'Observatoire international des prisons a saisi le président du tribunal administratif de la Martinique, statuant sur le fondement de l'article L. 911-4 du code de justice administrative, d'une demande d'exécution de cette ordonnance. Par un jugement n° 1900060 du 18 juin 2019 dont la garde des sceaux, ministre de la justice relève appel, le tribunal administratif de la Martinique lui a enjoint, sous astreinte de 50 euros par jour de retard, de procéder, dans un délai de trois mois, à des travaux permettant que les cours de promenade du centre pénitencier de Ducos restent utilisables même en cas d'intempéries et de prendre les mesures nécessaires à la rémunération par le service public hospitalier d'un médecin généraliste supplémentaire à plein temps et à l'intervention d'un médecin la nuit et les week-end en tant que de besoin. La Section française de l'Observatoire international des prisons forme un appel incident contre ce jugement en ce qu'il n'a pas enjoint le renforcement de la lutte contre les nuisibles, le lessivage annuel des cellules et la distribution aux détenus de kit d'hygiène et de produits d'entretien.

Sur l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice :

3. Il ressort des pièces produites en appel par la garde des sceaux, ministre de la justice que la cour de l'unité de vie niveau 0 a été bétonnée et que la cour de la maison d'arrêt des hommes 1 a fait l'objet d'un engazonnement et d'un curage avec renforcement du réseau de drainage et installation d'avaloirs, un nouvel engazonnement étant prévu. Ces travaux étant de nature à permettre que les cours de promenade restent utilisables même en cas d'intempéries, la mesure prescrite au point 15 de l'ordonnance du 17 octobre 2014 doit être regardée comme ayant été exécutée.

4. Il résulte également de l'instruction menée dans le cadre du présent appel que l'administration pénitentiaire a obtenu du centre hospitalier universitaire de la Martinique la création d'un quatrième poste de médecin à temps plein et que si celui-ci n'est pas encore pourvu, c'est en raison de la faible démographie médicale. Il en résulte également qu'un psychiatre a été recruté par intérim pour renforcer l'unité de soins et qu'une procédure de recrutement de deux psychologues est en cours. Il en résulte enfin que pour assurer la prise en charge ambulatoire non programmée des patients détenus en dehors des horaires d'ouverture du service de soins, une convention de partenariat signée le 15 décembre 2016 précise pour trois ans les modalités d'intervention d'un " médecin effecteur " au centre pénitentiaire de Ducos pour assurer des consultations de personnes détenues, après appel du centre 15, aux horaires de la permanence des soins ambulatoires et pour permettre l'intervention de médecins libéraux volontaires auprès de détenus la nuit et le week-end. Les pièces produites par la garde des sceaux, ministre de la justice montrent que ce dispositif permet effectivement d'assurer cette permanence des soins, même si un seul médecin libéral s'est porté volontaire. Dans ces conditions, l'administration pénitentiaire doit être regardée comme ayant accompli, dans la limite de ses obligations et des moyens disponibles localement, les mesures prescrites au point 36 de l'ordonnance du 17 octobre 2014.

5. Il résulte de ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 18 juin 2019 le tribunal administratif de la Martinique lui a enjoint sous astreinte de mettre en oeuvre ces mesures et à demander l'annulation de ce jugement.

Sur l'appel incident de la Section française de l'Observatoire international des prisons :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que l'administration pénitentiaire a conclu en 2017 et renouvelé chaque année depuis, un contrat prévoyant au cours de l'année dix prestations, et non plus six comme auparavant, de dératisation et désinsectisation de tous les locaux du centre pénitencier de Ducos et comportant notamment des délais très courts de collecte des cadavres de rats. Dans ces conditions et en l'absence d'éléments montrant que ces éléments ne suffisent pas à garantir l'intégrité physique et morale des personnes détenues, la mesure ordonnée au point 9 de l'ordonnance du 17 octobre 2014 doit être regardée comme ayant été exécutée.

7. En second lieu, il en ressort également qu'au cours des années 2018 et 2019, l'administration pénitentiaire a fait procéder au lessivage et à la réfection de l'ensemble des peintures des cellules qui seront achevées en 2019 et que le service buanderie du centre pénitencier distribue gratuitement, deux fois par mois, à chaque détenu un kit d'hygiène de cinq rouleaux de papier toilette, de deux dosettes de javel, d'une éponge et d'un savon lui permettant d'entretenir sa cellule pour la maintenir propre ainsi que le prévoit l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale. Si la Section française de l'Observatoire international des prisons fait valoir que ces mesures ne sont pas suffisantes faute pour les détenus de disposer d'eau chaude dans leurs cellules, l'alimentation en eau chaude des cellules, qui ne figure pas parmi les mesures prescrites par l'ordonnance du 17 octobre 2014, n'est pas au nombre des mesures que le juge des référés peut enjoindre à l'administration de réaliser pour l'exécution de mesures prescrites sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. En l'état de l'instruction, ces éléments apparaissent propres à assurer l'exécution des mesures prononcées aux points 21 et 25 de l'ordonnance du 17 octobre 2014.

8. Il résulte de ce qui précède la Section française de l'Observatoire international des prisons n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique n'a pas adressé à la garde des sceaux, ministre de la justice, d'injonction en ce qui concerne le renforcement de la lutte contre les nuisibles, le lessivage annuel des cellules et la distribution aux détenus de kit d'hygiène et de produits d'entretien. Son appel incident doit, dès lors, être rejeté, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : Le jugement n° 1900060 du 18 juin 2019 du tribunal administratif de la Martinique est annulé.

Article 2 : La demande d'injonction sous astreinte de la Section française de l'Observatoire international des prisons, y compris ses conclusions d'appel incident, et ses conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la garde des sceaux, ministre de la justice et à la Section française de l'Observatoire international des prisons.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 432589
Date de la décision : 06/08/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 06 aoû. 2019, n° 432589
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 20/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:432589.20190806
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