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12/07/2019 | FRANCE | N°418394

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 12 juillet 2019, 418394


Vu la procédure suivante :

Par une requête et quatre mémoires en réplique, enregistrés les 20 février, 30 août, 27 septembre, 24 décembre 2018 et 1er mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Les entreprises du voyage, le syndicat des entreprises du tour operating, l'association professionnelle de solidarité du tourisme et la société Voyageurs du monde demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017 portant transposition de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement europée

n et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux pr...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et quatre mémoires en réplique, enregistrés les 20 février, 30 août, 27 septembre, 24 décembre 2018 et 1er mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le syndicat Les entreprises du voyage, le syndicat des entreprises du tour operating, l'association professionnelle de solidarité du tourisme et la société Voyageurs du monde demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017 portant transposition de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées ;

2°) d'enjoindre au Premier ministre d'adopter une ordonnance ou un projet de loi modificatif conforme aux dispositions de la directive (UE) 2015/2302 et d'assortir cette injonction d'une astreinte provisoire ;

3°) à titre subsidiaire, de sursoir à statuer et de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne de questions préjudicielles relatives à l'interprétation de la directive (UE) 2015/2302 ;

4°) de mettre à la charge l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 ;

- le code civil ;

- le code du tourisme ;

- la loi n° 2016-1888 du 28 décembre 2016 ;

- l'ordonnance n° 2017-1717 du 20 décembre 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Catherine Calothy, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de l'Union fédérale des consommateurs - Que choisir ;

Considérant ce qui suit :

1. L'ordonnance du 20 décembre 2017, prise en vertu de l'habilitation donnée par la loi du 28 décembre 2016 de modernisation, de développement et de protection des territoires de montagne, procède à la transposition de la directive (UE) 2015/2302 du 25 novembre 2015 du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, dont l'article 4 énonce que : " (...) les États membres s'abstiennent de maintenir ou d'introduire, dans leur droit national, des dispositions s'écartant de celles fixées par la présente directive, notamment des dispositions plus strictes ou plus souples visant à assurer un niveau différent de protection des voyageurs ".

2. L'union fédérale des consommateurs - Que choisir justifie, eu égard à la nature et l'objet du litige, d'un intérêt au maintien de l'ordonnance attaquée. Par suite, son intervention en défense de la requête formée contre cette ordonnance par le syndicat Les entreprises du voyage et autres est recevable.

3. En premier lieu, selon le premier alinéa du 1 de l'article 13 de la directive (UE) 2015/2302 du 25 novembre 2015, " Les États membres veillent à ce que l'organisateur soit responsable de l'exécution des services de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait, indépendamment du fait que ces services doivent être exécutés par lui-même ou par d'autres prestataires de services de voyage ". En vertu de l'article 14 de la directive, " 1. Les États membres veillent à ce que le voyageur ait droit à une réduction de prix appropriée pour toute période de non-conformité des services fournis, sauf si l'organisateur prouve que la non-conformité est imputable au voyageur. / 2. Le voyageur a droit à un dédommagement approprié de la part de l'organisateur pour tout préjudice subi en raison de la non-conformité des services fournis. Le dédommagement est effectué sans retard excessif. / 3. Le voyageur n'a droit à aucun dédommagement si l'organisateur prouve que la non-conformité est : a) imputable au voyageur, / b) imputable à un tiers étranger à la fourniture des services de voyage compris dans le contrat de voyage à forfait et revêt un caractère imprévisible ou inévitable ; ou / c) due à des circonstances exceptionnelles et inévitables. / (...) ".

4. Aux termes du I de l'article L. 211-16 du code du tourisme, tel qu'il résulte de l'ordonnance attaquée, " Le professionnel qui vend un forfait touristique mentionné au 1° du I de l'article L. 211-1 est responsable de plein droit de l'exécution des services prévus par ce contrat, que ces services soient exécutés par lui-même ou par d'autres prestataires de services de voyage, sans préjudice de son droit de recours contre ceux-ci. / Le professionnel qui vend un service de voyage mentionné au 2° du I de l'article L. 211-1 est responsable de plein droit de l'exécution du service prévu par ce contrat, sans préjudice de son droit de recours contre le prestataire de service. / Toutefois le professionnel peut s'exonérer de tout ou partie de sa responsabilité en apportant la preuve que le dommage est imputable soit au voyageur, soit à un tiers étranger à la fourniture des services de voyage compris dans le contrat et revêt un caractère imprévisible ou inévitable, soit à des circonstances exceptionnelles et inévitables. / (...) ". En prévoyant une responsabilité de plein droit des professionnels qui vendent un forfait touristique, responsabilité dont ils peuvent toutefois s'exonérer, en tout ou partie, en apportant la preuve que le dommage est imputable au voyageur ou à un tiers dans des conditions reprenant celles prévues au 3 de l'article 14 de la directive, ainsi que cela est précisé aux paragraphes III à VIII de l'article L. 211-16 et à l'article L. 211-17, l'ordonnance a procédé à une exacte transposition de la directive et n'a pas, contrairement à ce que soutiennent les requérants, institué en droit français une responsabilité des professionnels plus étendue que celle résultant des objectifs de la directive.

5. En deuxième lieu, en vertu du second alinéa du 1 de l'article 13 de la directive, " Les États membres peuvent conserver ou introduire dans leur droit national des dispositions en vertu desquelles le détaillant est aussi responsable de l'exécution du forfait. Dans ce cas, les dispositions de l'article 7, du chapitre III, du présent chapitre et du chapitre V qui sont applicables à l'organisateur s'appliquent également mutatis mutandis au détaillant ". L'article L. 211-16 du code du tourisme issu de l'ordonnance attaquée établit la responsabilité du " professionnel qui vend un forfait touristique ". Aux termes du IV de l'article L. 211-2 du même code, tel qu'il résulte de l'ordonnance attaquée, " Un professionnel est une personne physique ou morale, qu'elle soit publique ou privée, qui agit, y compris par l'intermédiaire d'une autre personne agissant en son nom ou pour son compte, aux fins qui entrent dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale en ce qui concerne des contrats relevant du présent chapitre, qu'elle agisse en qualité d'organisateur, de détaillant, de professionnel facilitant une prestation de voyage liée ou de prestataire d'un service de voyage. / Un organisateur est un professionnel qui élabore des forfaits touristiques et les vend ou les offre à la vente, directement ou par l'intermédiaire d'un autre professionnel ou encore conjointement avec un autre professionnel, ou un professionnel qui transmet les données du voyageur à un autre professionnel conformément au e du 2° du A du II. / Un détaillant est un professionnel autre que l'organisateur, qui vend ou offre à la vente des forfaits élaborés par un organisateur ou des services de voyage assurés par un autre professionnel ".

6. Il résulte de ces dispositions, et notamment de celles du IV de l'article L. 211-2 du code du tourisme, que le terme de " professionnel " utilisé à l'article L. 211-16 du code du tourisme ne couvre que les organisateurs de voyages et les détaillants, conformément à ce qu'autorise la directive dont l'article 13 permet aux Etats membres de retenir la responsabilité à la fois du détaillant et de l'organisateur afin de permettre au voyageur de poursuivre indifféremment l'un ou l'autre. Par suite, contrairement à ce que soutiennent les requérants, l'ordonnance attaquée ne méconnaît pas les objectifs de la directive s'agissant de la désignation du professionnel dont la responsabilité est susceptible d'être engagée.

7. En troisième lieu, l'article 12 de la directive, qui est relatif à la " résiliation du contrat de voyage à forfait et [au] droit de rétractation avant le début du forfait ", prévoit notamment, à son 1, que " Les États membres veillent à ce que le voyageur puisse résilier le contrat de voyage à forfait à tout moment avant le début du forfait. Lorsque le voyageur résilie le contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, il peut lui être demandé de payer à l'organisateur des frais de résiliation appropriés et justifiables. Le contrat de voyage à forfait peut stipuler des frais de résiliation standard raisonnables, calculés en fonction de la date de résiliation du contrat avant le début du forfait et des économies de coûts et des revenus escomptés du fait d'une remise à disposition des services de voyage concernés. En l'absence de frais de résiliation standard, le montant des frais de résiliation correspond au prix du forfait moins les économies de coûts et les revenus réalisés du fait d'une remise à disposition des services de voyage. À la demande du voyageur, l'organisateur justifie le montant des frais de résiliation ". Il résulte clairement de l'économie générale de la directive que son article 12 entend régir l'ensemble des cas dans lesquels il est mis un terme prématuré au contrat de voyage.

8. Si les requérants soutiennent que l'ordonnance a méconnu la directive en utilisant, à l'article L. 211-14 du code de tourisme, le terme de " résolution " alors que la directive utilise celui de " résiliation ", il résulte des termes mêmes de l'article 1229 du code civil, dans sa version issue de l'ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, que le terme de " résolution " a une portée générale qui permet de couvrir également le cas spécifique des contrats de voyage auxquels un terme est mis avant le début du voyage mais après versement de certaines sommes par le voyageur, contrairement au terme de " résiliation " qui correspond à un cas particulier de " résolution ". Par suite, le moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée aurait procédé à une inexacte transposition des objectifs de l'article 12 de la directive doit être écarté.

9. En dernier lieu, les requérants soutiennent que l'ordonnance attaquée et la directive dont elle assure la transposition méconnaissent, respectivement, la liberté d'entreprendre, garantie par la Constitution, et la liberté d'entreprise, garantie par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La liberté d'entreprise a, au regard du moyen invoqué, une portée garantissant l'effectivité du respect du principe de valeur constitutionnelle dont la méconnaissance est également alléguée. Dès lors, il y a lieu pour le Conseil d'Etat de rechercher seulement, ainsi qu'il y est d'ailleurs également invité, si la directive dont l'ordonnance attaquée assure la transposition ne contrevient pas à ce principe fondamental du droit de l'Union européenne.

10. Aux termes de l'article 16 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " La liberté d'entreprise est reconnue conformément au droit de l'Union et aux législations et pratiques nationales ". Par son arrêt C-477/14 du 4 mai 2016, Pillbox 38 (UK) Ltd c/ Secretary of State for Health, la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que la protection conférée par l'article 16 de la charte, qui comporte la liberté d'exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre, ne constitue pas une prérogative absolue mais doit être examinée au regard de sa fonction dans la société et peut donc être soumise à un large éventail d'interventions de la puissance publique susceptibles d'établir, dans l'intérêt général, des limitations à l'exercice de l'activité économique, toute limitation de l'exercice de cette liberté devant être prévue par la loi, respecter son contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui. Ces principes ont une portée garantissant l'effectivité du respect des principes constitutionnels de liberté d'entreprendre.

11. En l'espèce, il résulte clairement de la directive qu'elle a pour objet de définir un régime harmonisé de responsabilité des professionnels qui vendent aux consommateurs des forfaits de voyage permettant de garantir aux consommateurs un niveau élevé de protection. Elle répond ainsi à l'objectif d'intérêt général consistant à assurer " un niveau élevé de protection des consommateurs (...) dans les politiques de l'Union " visé à l'article 38 de la charte des droits fondamentaux, en apportant à l'exercice de l'activité économique en cause une limitation proportionnée qui ne porte pas atteinte à son contenu essentiel. Par suite, en l'absence de difficulté sérieuse, le moyen tiré de ce que la directive dont l'ordonnance attaquée assure la transposition méconnaîtrait la liberté d'entreprise garantie par l'article 16 de la charte des droits fondamentaux doit être écarté. Il en va de même du moyen tiré de ce que l'ordonnance attaquée porterait atteinte à la liberté d'entreprendre garantie par la Constitution.

12. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de saisir la Cour de Justice de l'Union européenne à titre préjudiciel, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de l'ordonnance qu'ils attaquent. Leur requête doit donc être rejetée, y compris les conclusions à fin d'injonction et les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'intervention de l'Union fédérale des consommateurs-Que choisir est admise.

Article 2 : La requête du syndicat Les entreprises du voyage et autres est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au syndicat Les entreprises du voyage, premier requérant dénommé, pour l'ensemble des requérants, au ministre de l'économie et des finances et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 418394
Date de la décision : 12/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2019, n° 418394
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Catherine Calothy
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP FOUSSARD, FROGER

Origine de la décision
Date de l'import : 16/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:418394.20190712
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