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08/07/2019 | FRANCE | N°417702

France | France, Conseil d'État, 1ère - 4ème chambres réunies, 08 juillet 2019, 417702


Vu la procédure suivante :

La société Kohler France a demandé au tribunal administratif de Limoges, d'une part, d'annuler la décision du 2 novembre 2011 par laquelle le préfet de la Corrèze a refusé de signer une convention de coopération en vue de participer au financement d'une cellule de reclassement et la décision implicite du 3 mars 2012 rejetant son recours gracieux dirigé contre cette décision et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 378 226,12 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, correspondant à la prise en

charge à hauteur de 50 % des frais de fonctionnement de la cellule de ...

Vu la procédure suivante :

La société Kohler France a demandé au tribunal administratif de Limoges, d'une part, d'annuler la décision du 2 novembre 2011 par laquelle le préfet de la Corrèze a refusé de signer une convention de coopération en vue de participer au financement d'une cellule de reclassement et la décision implicite du 3 mars 2012 rejetant son recours gracieux dirigé contre cette décision et, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 378 226,12 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, correspondant à la prise en charge à hauteur de 50 % des frais de fonctionnement de la cellule de reclassement qu'elle a mise en place. Par un jugement n° 1200728 du 25 juin 2015, le tribunal administratif de Limoges a annulé les décisions des 2 novembre 2011 et 3 mars 2012 et rejeté le surplus de ses conclusions.

Par un arrêt n° 15BX02872 du 27 novembre 2017, la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté l'appel formé par la société Kohler France contre ce jugement en tant qu'il rejetait ses conclusions indemnitaires.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 29 janvier et 30 avril 2018 et le 27 mars 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Kohler France demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- l'arrêté du 25 avril 2007 pris pour l'application de l'article R. 322-1 du code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Luc Nevache, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Charles Touboul, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de la société Kohler France ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond qu'à l'occasion de la fermeture du site industriel de la société Kohler France à Brive-la-Gaillarde, comptant 136 salariés, un conflit social a éclaté à la fin du mois de juin 2010. Pour favoriser son dénouement, le sous-préfet de Brive et le directeur adjoint du travail se sont engagés oralement le 1er juillet, avant confirmation le 5 juillet par un courriel du responsable de 1'unité territoriale de Corrèze de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi, à ce que l'Etat participe pour moitié au coût " du point information conseil emploi et d'une antenne emploi dans le cadre d'une convention FNE - cellule de reclassement (...) ". Un protocole d'accord de fin de conflit a été signé le 6 juillet 2010 entre le président de la société et plusieurs organisations syndicales. La société requérante a mis en place une cellule de reclassement dès le 6 septembre 2010 et les premiers licenciements ont été notifiés le 21 septembre 2010. Enfin, le 3 octobre 2011, la société a déposé un dossier de demande de convention de coopération afin que l'Etat participe au financement de cette cellule. Le préfet de la Corrèze a rejeté sa demande par une décision du 2 novembre 2011, puis a rejeté tacitement le recours gracieux présenté le 3 janvier 2012 par la société contre ce refus. Par un jugement du 25 juin 2015, le tribunal administratif de Limoges a annulé la décision du 2 novembre 2011 et la décision implicite la confirmant mais rejeté les conclusions indemnitaires de la société Kohler France, tendant à ce que l'Etat lui verse la somme de 378 226,12 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation, correspondant à la moitié des frais de fonctionnement de la cellule de reclassement qu'elle avait mise en place. La société se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 27 novembre 2017 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a confirmé le rejet de ses conclusions indemnitaires.

Sur la responsabilité de l'Etat du fait de l'illégalité de la décision du 2 novembre 2011 :

2. Aux termes de l'article L. 5111-1 du code du travail : " Les aides à l'emploi ont pour objet : / 1° De faciliter la continuité de 1'activité des salariés face aux transformations consécutives aux mutations économiques et de favoriser, à cette fin, leur adaptation à de nouveaux emplois en cas de changements professionnels dus à 1'évolution technique ou à la modification des conditions de la production (...) ". Aux termes de l'article R. 5111-1 de ce code : " Pour la mise en oeuvre de la politique de l'emploi définie à l'article L. 5111-1, le ministre chargé de l'emploi est habilité à conclure des conventions de coopération avec les organismes professionnels ou interprofessionnels, les organisations syndicales et avec des entreprises ". En vertu des dispositions combinées du 5° de l'article R. 5111-2 et de l'article R. 5123-3 de ce même code, qui reprennent celles antérieurement prévues au 7° de 1'article R. 322-1 du code du travail, " Les actions d'urgence conclues dans le cadre des conventions de coopération comportent, notamment (...) des actions de reclassement de salariés licenciés pour motif économique ou menacés de l'être ", ces conventions devant alors déterminer " la nature des actions de reclassement, leur champ d'application et le montant de la participation de l'Etat au financement des cellules chargées de les mettre en oeuvre ", dans le respect du taux maximal de participation et de la durée maximale pendant laquelle les intéressés peuvent bénéficier de ces actions fixés par arrêté conjoint des ministres chargés de l'emploi et de l'économie. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 25 avril 2007 pris pour l'application de l'article R. 322-1 du code du travail : " (...) l'Etat peut conclure des conventions de cellules de reclassement avec des entreprises comprises dans le champ d'application de l'article L. 321-2 du code du travail qui ne sont pas soumises à l'obligation de mettre en oeuvre un congé de reclassement tel que défini à l'article L. 321-4-3 du même code afin de favoriser le reclassement des salariés faisant l'objet d'une procédure de licenciement pour motif économique. / (...) / Ces conventions sont destinées à mettre en place une cellule d'accompagnement à la recherche d'emploi au bénéfice de salariés licenciés pour motif économique ou menacés de l'être ". L'article 2 de cet arrêté prévoit que la convention de cellule de reclassement précise le programme d'intervention de la cellule et sa composition ainsi que le nombre de bénéficiaires, leur durée de prise en charge qui doit en principe être inférieur à un an, les actions envisagées, le calendrier de mise en oeuvre ainsi que les conditions de suivi de ses interventions incluant, le cas échéant, les conditions d'association des représentants du personnel, ainsi que les modalités de rémunération du prestataire en fonction des résultats de la cellule. Cet article dispose également que la convention précise le budget prévisionnel de la cellule, son mode de financement et les modalités de participation de l'Etat et, enfin, les modalités de coordination et de coopération entre la cellule et le service public de l'emploi.

3. Il résulte de ces dispositions que la participation de l'Etat au financement d'une cellule chargée de mettre en oeuvre des actions de reclassement au profit des salariés d'une entreprise est subordonnée à la conclusion, entre le représentant du ministre chargé de l'emploi et celui de l'entreprise intéressée, de la " convention de coopération " prévue par les dispositions des articles R. 5111-1, R. 5111-2 et R. 5123-3 du code du travail, déterminant notamment la nature des actions de reclassement, leur champ d'application, le calendrier de mise en oeuvre, les modalités de suivi des interventions de la cellule ainsi que les modalités de coordination et de coopération avec le service public de l'emploi. Si la conclusion d'une telle convention a pour but de mettre les services du ministère chargé de l'emploi à même de participer à la définition des conditions de mise en oeuvre et de fonctionnement de la cellule de reclassement, et si l'Etat, qui dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation, peut en refuser la conclusion au motif, notamment, que les actions de reclassement confiées à cette cellule ne correspondent pas aux objectifs de la politique de l'emploi qu'il s'est fixés, ou bien encore limiter sa participation aux seules actions, à venir, répondant aux conditions précisées par la convention, il ne résulte toutefois d'aucune disposition que la seule circonstance que la cellule de reclassement, destinée à mettre en oeuvre des actions d'urgence, ait été créée ou même ait commencé de fonctionner fasse légalement obstacle à la conclusion d'une convention de coopération.

4. Par suite, la société Kohler France est fondée à soutenir que la cour a commis une erreur de droit en jugeant qu'une convention de coopération, prévue par les dispositions précitées du code du travail, ne pouvait être légalement conclue que préalablement à la mise en place de la cellule de reclassement.

Sur la responsabilité de l'Etat du fait de renseignements inexacts ou incomplets :

5. Il ressort des pièces de la procédure devant la cour, comme d'ailleurs des visas de son arrêt, que la société soutenait notamment, à l'appui de ses conclusions d'appel, que l'administration ne lui avait jamais précisé que la participation de 1'Etat ne serait effective qu'à la condition que la convention de coopération soit signée préalablement à la mise en place de la cellule de reclassement, alors même qu'elle avait eu connaissance de cette mise en place dès le 5 juillet 2010, mais qu'elle l'avait, au contraire, incitée à la préfinancer. La cour a rejeté les conclusions de la société en omettant de répondre à ce moyen, qui n'était pas inopérant.

6. Par suite, la société Kohler France est fondée à soutenir que la cour a insuffisamment motivé son arrêt.

7. Il résulte de tout ce qui précède que la société requérante est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel qu'elle attaque.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à la société Kohler France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 27 novembre 2017 est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Bordeaux.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 3000 euros à la société Kohler France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société Kohler France et à la ministre du travail.


Synthèse
Formation : 1ère - 4ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417702
Date de la décision : 08/07/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-10-01 TRAVAIL ET EMPLOI. POLITIQUES DE L'EMPLOI. AIDES À L`EMPLOI. - CONVENTION DE COOPÉRATION À LAQUELLE EST SUBORDONNÉE LA PARTICIPATION DE L'ETAT AU FINANCEMENT D'UNE CELLULE CHARGÉE DE METTRE EN ŒUVRE DES ACTIONS DE RECLASSEMENT (ART. R. 5111-1, R. 5111-2 ET R. 5123-3 DU CODE DU TRAVAIL) - CIRCONSTANCE QUE LA CELLULE A ÉTÉ CRÉÉE OU A COMMENCÉ DE FONCTIONNER AVANT LA CONCLUSION DE LA CONVENTION - CIRCONSTANCE NE FAISANT PAS OBSTACLE À LA CONCLUSION DE LA CONVENTION.

66-10-01 Il résulte des articles L. 5111-1, R. 5111-1, du 5° de l'article R. 5111-2, de l'article R. 5123-3 du code du travail ainsi que des articles 1er et 2 de l'arrêté du 25 avril 2007 pris pour l'application de l'article R. 322-1 de ce code que la participation de l'Etat au financement d'une cellule chargée de mettre en oeuvre des actions de reclassement au profit des salariés d'une entreprise est subordonnée à la conclusion, entre le représentant du ministre chargé de l'emploi et celui de l'entreprise intéressée, de la convention de coopération prévue par les dispositions des articles R. 5111-1, R. 5111-2 et R. 5123-3 du code du travail, déterminant notamment la nature des actions de reclassement, leur champ d'application, le calendrier de mise en oeuvre, les modalités de suivi des interventions de la cellule ainsi que les modalités de coordination et de coopération avec le service public de l'emploi. Si la conclusion d'une telle convention a pour but de mettre les services du ministère chargé de l'emploi à même de participer à la définition des conditions de mise en oeuvre et de fonctionnement de la cellule de reclassement, et si l'Etat, qui dispose en la matière d'un large pouvoir d'appréciation, peut en refuser la conclusion au motif, notamment, que les actions de reclassement confiées à cette cellule ne correspondent pas aux objectifs de la politique de l'emploi qu'il s'est fixés, ou bien encore limiter sa participation aux seules actions, à venir, répondant aux conditions précisées par la convention, il ne résulte toutefois d'aucune disposition que la seule circonstance que la cellule de reclassement, destinée à mettre en oeuvre des actions d'urgence, ait été créée ou même ait commencé de fonctionner fasse légalement obstacle à la conclusion d'une convention de coopération.


Publications
Proposition de citation : CE, 08 jui. 2019, n° 417702
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Luc Nevache
Rapporteur public ?: M. Charles Touboul
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:417702.20190708
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