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28/06/2019 | FRANCE | N°423343

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 28 juin 2019, 423343


Vu la procédure suivante :

La Société Nationale Corse Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler deux titres exécutoires d'un montant respectif de 167 263 000 euros et 30 533 576 euros émis à son encontre par l'Office des transports de la Corse les 7 et 19 novembre 2014.

Par un jugement n° 1401069, 1401070 du 23 février 2017, le tribunal administratif de Bastia a rejeté ces deux demandes.

Par un arrêt n° 17MA01653 du 18 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de Me B...A...agissant comme liquidateur judici

aire de la SNCM, annulé ce jugement et rejeté les demandes de la société.

Par...

Vu la procédure suivante :

La Société Nationale Corse Méditerranée a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler deux titres exécutoires d'un montant respectif de 167 263 000 euros et 30 533 576 euros émis à son encontre par l'Office des transports de la Corse les 7 et 19 novembre 2014.

Par un jugement n° 1401069, 1401070 du 23 février 2017, le tribunal administratif de Bastia a rejeté ces deux demandes.

Par un arrêt n° 17MA01653 du 18 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a, sur appel de Me B...A...agissant comme liquidateur judiciaire de la SNCM, annulé ce jugement et rejeté les demandes de la société.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 août et 8 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Me A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'article 2 de cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 9 juillet 2015 dans l'affaire C-23/14, Commission contre France ;

- le code de commerce ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Janicot, auditeur,

- les conclusions de M. Laurent Cytermann, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lesourd, avocat de Me A...et à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de l'Office des transports de la Corse et à la collectivité de Corse ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une délibération en date du 7 juin 2007, l'Assemblée de Corse a attribué au groupement constitué des sociétés Société Nationale Corse Méditerranée (SNCM) et Compagnie Méditerranéenne de Navigation la délégation de service public de la desserte maritime de la Corse pour la période allant du 1er juillet 2007 au 31 décembre 2013. A ce titre, elles ont perçu de l'office des transports de la Corse une aide financière annuelle, en contrepartie, d'une part, du service de base, correspondant au service permanent pour les passagers et le fret, et, d'autre part, du service complémentaire pour les passagers au cours des périodes de pointe. Par une décision du 2 mai 2013, confirmée par un jugement T-454/13 du tribunal de première instance de l'Union européenne du 1er mars 2017, la Commission européenne a estimé que la compensation reçue par la SNCM au titre du service complémentaire était une aide illégale et incompatible avec le marché intérieur et a enjoint à la France de la récupérer. En exécution de la décision de la Commission, l'Office des transports de la Corse a émis, le 7 novembre 2014, un titre de recettes en vue du recouvrement d'une somme de 167 263 000 euros versée à la SNCM au titre des compensations reçues en contrepartie du service complémentaire. Le 19 novembre 2014, il a émis un second titre de recettes, afin de recouvrer les intérêts moratoires dus sur cette somme, pour un montant de 30 530 576 euros. Par un arrêt du 9 juillet 2015, Commission /France (C-23/14), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé que la France avait manqué à ses obligations de récupération de ces aides illégales. Par un jugement du 23 février 2017, le tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de la société SNCM tendant à l'annulation des deux titres de recettes émis par l'Office des transports de la Corse. Par un arrêt du 18 juin 2018, la cour administrative d'appel de Marseille a rejeté l'appel formé par Me A..., ès qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM, contre ce jugement. Ce dernier se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 622 21 du code de commerce : " I Le jugement d'ouverture interrompt ou interdit toute action en justice de la part de tous les créanciers dont la créance n'est pas mentionnée au I de l'article L. 622 17 et tendant : / 1° A la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent ; / 2° A la résolution d'un contrat pour défaut de paiement d'une somme d'argent. / II. Il arrête ou interdit également toute procédure d'exécution de la part de ces créanciers tant sur les meubles que sur les immeubles ainsi que toute procédure de distribution n'ayant pas produit un effet attributif avant le jugement d'ouverture. (...) ". Aux termes de l'article L. 622 24 du même code : " A partir de la publication du jugement, tous les créanciers dont la créance est née antérieurement au jugement d'ouverture, à l'exception des salariés, adressent la déclaration de leurs créances au mandataire judiciaire dans des délais fixés par décret en Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 624 2 du même code : " Au vu des propositions du mandataire judiciaire, le juge commissaire décide de l'admission ou du rejet des créances ou constate soit qu'une instance est en cours, soit que la contestation ne relève pas de sa compétence. En l'absence de contestation sérieuse, le juge commissaire a également compétence, dans les limites de la compétence matérielle de la juridiction qui l'a désigné, pour statuer sur tout moyen opposé à la demande d'admission ". Aux termes de l'article 28 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " L'ordre de recouvrer fonde l'action de recouvrement. Il a force exécutoire dans les conditions prévues par l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales. / Le comptable public muni d'un titre exécutoire peut poursuivre l'exécution forcée de la créance correspondante auprès du redevable, dans les conditions propres à chaque mesure d'exécution. / Le cas échéant, il peut également poursuivre l'exécution forcée de la créance sur la base de l'un ou l'autre des titres exécutoires énumérés par l'article L. 111 3 du code des procédures civiles d'exécution ".

3. Il résulte de ces dispositions que le juge administratif n'est pas compétent pour statuer sur l'acte par lequel une personne morale de droit public déclare une créance au représentant des créanciers d'une entreprise en redressement judiciaire, dès lors qu'il appartient de façon exclusive à l'autorité judiciaire, en vertu des articles L. 624-2 à L. 624-4 du code de commerce, de statuer sur l'admission ou le rejet des créances déclarées. En revanche, le juge administratif est compétent pour statuer sur l'existence et le montant d'une créance publique et notamment sur la question de savoir quelle est la collectivité publique compétente pour demander la récupération d'aides versées illégalement et émettre les titres de perception correspondants. Il s'ensuit que la cour a méconnu les dispositions du code de commerce, ni celle de l'article 28 du décret du 7 novembre 2012, ni l'autorité de chose jugée qui s'attachait à l'ordonnance du juge-commissaire, ni son Office de juge de plein contentieux des titres de recettes, en se prononçant sur la compétence de l'office des transports de la Corse pour prendre ces titres, alors même que le juge-commissaire, dont l'ordonnance était, au demeurant, frappée d'appel, avait rejeté les titres au motif que leur auteur était incompétent pour les émettre.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 1511 1 1 du code général des collectivités territoriales : " L'Etat notifie à la Commission européenne les projets d'aides ou de régimes d'aides que les collectivités territoriales et leurs groupements souhaitent mettre en oeuvre (...) / Toute collectivité territoriale, tout groupement de collectivités territoriales ayant accordé une aide à une entreprise est tenu de procéder sans délai à sa récupération si une décision de la Commission européenne ou un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes l'enjoint, à titre provisoire ou définitif (...) ". Aux termes de l'article L. 4424 20 du même code : " Sous la forme d'un établissement public de la collectivité territoriale de Corse à caractère industriel et commercial, l'office des transports de la Corse, sur lequel la collectivité exerce son pouvoir de tutelle, a les missions ci-après définies. En prenant en considération les priorités de développement économique définies par la collectivité territoriale de Corse, l'office des transports de la Corse conclut avec les compagnies désignées pour l'exploitation des liaisons mentionnées à l'article L. 4424-19 des conventions de délégation de service public qui définissent les tarifs, les conditions d'exécution et la qualité du service ainsi que les modalités de contrôle. L'office répartit la partie des crédits mentionnés à l'article L. 4425-26 destinée à la mise en oeuvre des articles L. 4424-18 et L. 4424-19 entre les deux modes de transports aérien et maritime, sous réserve que cette répartition reste compatible avec les engagements contractés dans le cadre des conventions conclues avec les concessionnaires et qu'elle n'affecte pas, par elle-même, l'équilibre financier de ces compagnies. / L'office assure la mise en oeuvre de toute autre mission qui pourrait lui être confiée par la collectivité territoriale de Corse dans la limite de ses compétences (...) ".

5. Il résulte de la combinaison des articles L. 1511-1-1 et L. 4424-20 du code général des collectivités territoriales précités que, s'il appartient à la collectivité territoriale ou au groupement de collectivités territoriales de récupérer les aides illégales au regard du droit de l'Union européenne qu'ils auraient versées à des opérateurs économiques, ces dispositions ne font, par elles-mêmes, pas obstacle à ce que l'Office des transports de la Corse, qui est légalement compétent pour répartir, pour le compte de la collectivité de Corse, les crédits de la dotation de continuité territoriale aux concessionnaires de conventions de délégation de service public relatives à la desserte maritime et aérienne de la Corse, puisse émettre des titres de recettes pour procéder à leur récupération, à la suite d'une décision de la Commission européenne ou d'un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne lui enjoignant de le faire.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'Office des transports de la Corse a versé à la SNCM les aides au titre du service complémentaire prévu par la délégation de service public conclue entre la collectivité de Corse et la SNCM le 7 juin 2007 et déclarées par la suite incompatibles avec les règles du marché intérieur par l'Union européenne. Dès lors, en jugeant que les dispositions de l'article L. 1511-1-1 du code général des collectivités territoriales précitées ne faisaient pas, par elles-mêmes, obstacle à ce que l'office des transports de la Corse puisse émettre les titres exécutoires litigieux pour procéder à la récupération des aides illégales qui avaient été versées à la SNCM pour le compte de la collectivité de Corse, dès lors que cet établissement public local était chargé par la loi de lui verser les aides en cause, la cour n'a pas commis d'erreur de droit.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 24 du décret du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique : " Dans les conditions prévues pour chaque catégorie d'entre elles, les recettes sont liquidées avant d'être recouvrées. La liquidation a pour objet de déterminer le montant de la dette des redevables. / (...). Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. (...) ". Les collectivités publiques ne peuvent mettre en recouvrement une créance sans indiquer, soit dans le titre de perception lui-même, soit par une référence précise à un document joint à ce titre ou précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels elles se sont fondées pour déterminer le montant de la créance.

8. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les titres de recettes se réfèrent tous les deux aux aides versées par l'Office des transports de la Corse entre 2007 et 2013 au titre du service complémentaire institué par la délégation de service public attribuée à la SNCM pour effectuer la desserte maritime entre la Corse et les ports de Marseille et Toulon, indiquent le montant de l'aide indue à récupérer ainsi que le montant des intérêts moratoires exigés et renvoient aux six annexes du titre de recettes émis le 7 novembre 2014, constituées notamment de la décision de la Commission européenne du 2 mai 2013, d'une note relative au décompte des montants liquidables au titre du service complémentaire sur la période 2007 à 2013 et d'une étude comportant plusieurs tableaux ventilant année après année les montants dus, en distinguant le principal des intérêts produits depuis leur versement. Par suite, la cour n'a ni commis d'erreur de droit ni dénaturé les faits qui lui étaient soumis en jugeant que les titres de recettes comportaient les bases et les modalités de calcul de la créance.

9. Il résulte de ce qui précède que MeA..., ès qualité de liquidateur judiciaire de la SNCM, n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

10. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Office des transports de la Corse, qui n'est pas la partie perdante, une somme à verser à la SNCM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Le pourvoi de Me A...est rejeté.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à Me B...A..., ès qualité de liquidateur judiciaire de la Société Nationale Corse Méditerranée, à l'Office des transports de la Corse et à la collectivité de Corse.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 423343
Date de la décision : 28/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 28 jui. 2019, n° 423343
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Janicot
Rapporteur public ?: M. Laurent Cytermann
Avocat(s) : SCP LESOURD ; SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:423343.20190628
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