Vu la procédure suivante :
La société La Méridionale a saisi, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia d'une demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision de rejet de son offre pour les lots n°s 1 et 4, présentée dans le cadre de la procédure de publicité et de mise en concurrence engagée par la collectivité de Corse pour l'attribution de la délégation de service public de transport maritime de passagers et de marchandises entre la Corse et le continent pour la période 2019-2020 et, d'autre part, à ce que son offre soit déclarée recevable pour ces deux lots et à ce qu'il soit enjoint à la collectivité de Corse de l'admettre à la négociation pour ces lots. Par une ordonnance n° 1900289 du 19 mars 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a rejeté la demande de la société La Méridionale.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 avril, 18 avril et 7 juin 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société La Méridionale demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) statuant en référé, à titre principal, d'annuler la procédure de passation et, à titre subsidiaire, d'annuler les décisions portant rejet de ses offres relatives aux lots n°s 1 et 4 et d'enjoindre à la collectivité de Corse de l'admettre à la phase des négociations ;
3°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- l'ordonnance n° 2016-65 du 29 janvier 2016 ;
- le décret n° 2016-86 du 1er février 2016 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Marc Firoud, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Garreau, Bauer-Violas, Feschotte-Desbois, avocat de la société La Meridionale, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la collectivité de Corse, et à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la société Corsica Ferries ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 12 juin 2019, présentée par la société La Méridionale ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 13 juin 2019, présentée par la collectivité de Corse ;
Considérant ce qui suit :
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 8 août 2018, la collectivité de Corse a lancé la procédure de passation d'une nouvelle convention de délégation de service public de transport maritime de marchandises et de passagers entre la Corse et le continent pour une durée de quinze mois du 1er octobre 2019 au 31 décembre 2020. Cette procédure a fait l'objet d'un allotissement en cinq lots correspondant à chacune des liaisons maritimes entre le port de Marseille et les ports d'Ajaccio, de Bastia, de Porto-Vecchio, de Propriano et de l'Ile-Rousse. Seules deux des trois compagnies ayant déposé leur candidature dans le délai imparti, la société La Méridionale et la société Corsica Linea, ont été déclarées recevables à l'issue de la réunion de la commission de délégation de service public du 12 novembre 2018. Après avoir demandé à la société La Méridionale d'apporter des compléments d'information sur ses offres, le président du conseil exécutif de la collectivité de Corse, après avis de la commission de délégation de service public, a décidé, le 13 février 2019, de ne pas admettre cette société à la négociation pour le lot n° 1 relatif à la ligne Ajaccio-Marseille et pour le lot n° 4 relatif à la ligne Propriano-Marseille. Cette société a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bastia, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une demande tendant à l'annulation de ces deux décisions, à ce que ses offres soient déclarées recevables et à ce qu'il soit enjoint à la collectivité de Corse de l'admettre à participer à la négociation pour ces deux lots. La société La Méridionale se pourvoit en cassation contre l'ordonnance du 19 mars 2019 par laquelle le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande.
2. En premier lieu, aux termes de l'article 25 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : " Les offres inappropriées ou qui ne respectent pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation sont éliminées (...) ".
3. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour se prononcer sur le moyen tiré de ce que l'offre de la société La Méridionale pour l'attribution du lot n° 1 relatif à la ligne Ajaccio-Marseille n'aurait pas méconnu les caractéristiques minimales exigées par la collectivité de Corse - lesquelles, selon cette société, n'auraient été fixées que par l'article 2.4 du règlement de la consultation -, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia a retenu, après avoir souverainement relevé que la substitution du navire " Oscar Wilde " proposé dans l'offre initiale de la société La Méridionale par un autre navire, le " Baja Star ", constituait une offre nouvelle présentée après la date limite de dépôt des offres, que l'annexe technique des services figurant en annexe 1 du projet de contrat, qui impose pour chaque traversée au moins quarante prises de courant pour véhicules frigorifiques, devait être regardée, compte tenu des termes de l'article 4.1 du règlement de la consultation, comme faisant partie des documents de la consultation et, par suite, comme explicitant les caractéristiques minimales attendues. En statuant ainsi, le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit. En retenant que le navire proposé par la société La Méridionale ne respectait pas ces caractéristiques minimales et ne serait pas en mesure de les respecter dans le délai requis, le juge des référés s'est livré à une appréciation souveraine des faits de l'espèce qui est exempte de dénaturation.
4. En deuxième lieu, en estimant que la substitution du navire le " Bithia " au navire " Nova Star " faite par la société La Méridionale après la date limite de dépôt des offres pour l'attribution du lot n° 4 relatif à la ligne Propriano-Marseille avait, compte tenu des changements apportés à ses caractéristiques techniques, modifié substantiellement l'offre et devait être regardée comme une nouvelle offre, alors même qu'elle aurait été conforme au règlement de la consultation, le juge des référés du tribunal administratif de Bastia a, sans les dénaturer, souverainement apprécié les faits qui lui étaient soumis.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 23 du décret du 1er février 2016 relatif aux contrats de concession : " I. - Avant de procéder à l'examen des candidatures, l'autorité concédante qui constate que des pièces ou informations dont la production était obligatoire conformément aux articles 19, 20 et 21 peuvent demander aux candidats concernés de compléter leur dossier de candidature dans un délai approprié. Elle informe alors les autres candidats de la mise en oeuvre de la présente disposition (...) ". L'obligation édictée par cet article ne se rapporte qu'à la phase d'examen des candidatures et non à la phase d'examen des offres.
6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés qu'il était soutenu que la collectivité de Corse n'avait pas informé la société La Méridionale des demandes adressées à la société Corsica Linea, en méconnaissance des dispositions de l'article 23 du décret du 1er février 2016. Pour écarter ce moyen, le juge des référés, après avoir relevé que le manquement dont se prévalait la société La Méridionale était relatif non à la phase d'examen des candidatures, mais à la phase d'examen des offres, a retenu qu'il n'entrait pas dans le champ des dispositions de l'article 23. En tout état de cause, les offres présentées par la société La Méridionale ayant été, ainsi qu'il a été dit, éliminées, le manquement au principe de transparence au stade de l'examen des offres allégué par cette société était insusceptible de l'avoir lésée. Ce motif, qui justifie le dispositif de l'ordonnance attaquée, doit être substitué au motif retenu par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia.
7. En quatrième lieu, les délégations de service public sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique informée, avant la signature d'un contrat, de l'existence d'une irrégularité de procédure affectant le choix du concessionnaire doit s'abstenir de signer le contrat litigieux, alors même qu'elle ne serait pas responsable de cette irrégularité. Ainsi, lorsqu'est constatée, au cours de la procédure de passation, qu'ont été divulguées des informations relatives à l'offre déposée par un candidat à l'attribution du contrat, il appartient à la personne publique d'apprécier si cette divulgation peut être regardée comme étant de nature à porter atteinte au principe d'égalité entre les candidats. La seule circonstance qu'une telle divulgation ne soit pas imputable à la personne publique responsable de la procédure de passation ne la dispense pas de cette obligation.
8. Il ressort des énonciations de l'ordonnance attaquée que, pour écarter le moyen tiré de l'absence de respect du principe de confidentialité des offres du fait de la divulgation dans la presse d'éléments relatifs à l'offre déposée par la société La Méridionale, le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia s'est fondé sur la circonstance que la collectivité n'aurait pas été à l'origine du manquement. En statuant ainsi, il a entaché son ordonnance d'erreur de droit. Toutefois, ainsi qu'il a été dit, les offres présentées par la société La Méridionale ayant été éliminées, la divulgation d'éléments de ces offres était, dans les circonstances de l'espèce, insusceptible de l'avoir lésée. Ce motif, qui justifie le dispositif de l'ordonnance attaquée, doit être substitué au motif retenu par le juge du référé précontractuel du tribunal administratif de Bastia.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Méridionale n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée, qui est suffisamment motivée. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font, par suite, obstacle à ce qu'il soit fait droit à ses conclusions présentées au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, au titre des mêmes dispositions, de mettre à sa charge le versement d'une somme de 3 000 euros à la collectivité de la Corse.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société La Méridionale est rejeté.
Article 2 : La société La Méridionale versera à la collectivité de Corse une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la collectivité de Corse, à la société Corsica Linea et à la société La Méridionale.
Copie en sera adressée à la société Corsica Ferries.