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17/06/2019 | FRANCE | N°412149

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 17 juin 2019, 412149


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 412149, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet 2017, 5 octobre 2017 et 5 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-794 du 5 mai 2017 relatif à la constitution, au fonctionnement et au contrôle des sociétés pluri-professionnelles d'exercice de professions libérales juridiques, judiciaires e

t d'expertise-comptable prévues au titre IV de la loi n° 90-1258 du 31 décembre...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 412149, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 juillet 2017, 5 octobre 2017 et 5 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2017-794 du 5 mai 2017 relatif à la constitution, au fonctionnement et au contrôle des sociétés pluri-professionnelles d'exercice de professions libérales juridiques, judiciaires et d'expertise-comptable prévues au titre IV de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990.

2° Sous le n°412154, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 5 juillet et 6 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la chambre interdépartementale des notaires de Paris demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 412248, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 juillet et 19 septembre 2017 et 30 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le même décret ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990 ;

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 ;

- l'ordonnance du 10 septembre 1817 ;

- l'ordonnance n° 45-2590 du 2 novembre 1945 ;

- l'ordonnance n° 2016-394 du 31 mars 2016 ;

- le décret n° 93-78 du 13 janvier 1993 ;

- le décret n° 2016-881 du 29 juin 2016 ;

- le décret n° 2017-798 du 5 mai 2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la Scp Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la chambre interdépartementale des notaires de Paris et à la SCP Piwnica, Molinié, avocat du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires.

Considérant ce qui suit :

1. L'article 65 de la loi du 26 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a autorisé le Gouvernement, dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à prendre par ordonnance les mesures relevant du domaine de la loi pour faciliter la création de sociétés ayant pour objet l'exercice en commun des professions d'avocat, d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, de commissaire-priseur judiciaire, d'huissier de justice, de notaire, d'administrateur judiciaire, de mandataire judiciaire, de conseil en propriété industrielle et d'expert-comptable. L'ordonnance du 31 mars 2016 relative aux sociétés constituées pour l'exercice en commun de plusieurs professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, prise sur le fondement de cette habilitation, a déterminé les conditions dans lesquelles un exercice en commun de ces professions en permettant à cette fin la constitution de sociétés pluri-professionnelles d'exercice et a renvoyé les modalités de son application à des décrets en Conseil d'Etat. Par des requêtes qu'il y a lieu de joindre, l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, la chambre interdépartementale des notaires de Paris et le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires demandent l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 5 mai 2017 relatif à la constitution, au fonctionnement et au contrôle des sociétés pluri-professionnelles d'exercice de professions libérales juridiques, judiciaires et d'expertise-comptable.

Sur la légalité externe du décret :

2. Ni l'article 6 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat, qui dispose que le conseil supérieur du notariat " représente l'ensemble de la profession auprès des pouvoirs publics ", ni aucun autre texte législatif ou réglementaire n'imposent la consultation de cette instance avant l'édiction d'un décret relatif à cette profession. Par suite, le moyen tiré de ce que l'absence d'une telle consultation entacherait le décret d'illégalité doit être écarté.

Sur la légalité interne du décret :

En ce qui concerne l'annulation du décret par voie de conséquence de l'annulation de l'ordonnance du 31 mars 2016 :

3. Par une décision rendue ce jour, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a rejeté les recours formés contre l'ordonnance du 31 mars 2016, sous la seule réserve de l'annulation du 2° de l'article 6 de l'ordonnance du 31 mars 2016, qui supprimait la condition posée à l'article L. 722-7 du code de la propriété intellectuelle tenant à la détention de la majorité du capital social et des droits de vote par des personnes exerçant la profession de conseil en propriété industrielle pour l'exercice de cette profession au sein de toute société constituée sous une autre forme qu'une société civile professionnelle ou une société d'exercice libérale. Par suite, les moyens tirés de l'annulation du décret par voie de conséquence de l'annulation de l'ordonnance du 31 mars 2016 ou de l'annulation de son article 7 ainsi que le moyen tiré de l'annulation de l'article 25 du décret attaqué par voie de conséquence de l'annulation de l'article 3 de l'ordonnance ne peuvent qu'être écartés.

En ce qui concerne la prévention et le traitement des conflits d'intérêts :

4. En vertu des dispositions de l'article 3 de la loi du 31 décembre 1990 relative à l'exercice sous forme de sociétés des professions libérales soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé et aux sociétés de participations financières de professions libérales, rendues applicables aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice par l'article 31-4 de cette loi dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 31 mars 2016, une société pluri-professionnelle d'exercice ne peut exercer la ou les professions constituant son objet social qu'après avoir été agréée par chacune des autorités compétentes ou inscrite sur la ou les listes ou au tableau de l'ordre ou des ordres professionnels des professions concernées. Aux termes de l'article 31-8 de la même loi, issue de l'ordonnance du 31 mars 2016 : " Les statuts de la société comportent des stipulations propres à garantir, d'une part, l'indépendance de l'exercice professionnel des associés et des salariés et, d'autre part, le respect des dispositions réglementaires encadrant l'exercice de chacune des professions qui constituent son objet social, notamment celles relatives à la déontologie. / Chaque professionnel qui exerce au sein de la société informe celle-ci et les autres professionnels, dès qu'il en a connaissance, de l'existence de tout conflit d'intérêt susceptible de naître, d'une part, entre sa qualité de professionnel et toute autre activité professionnelle qu'il exerce ou tout intérêt qu'il détient en dehors de la société, d'autre part, entre l'exercice de son activité professionnelle et l'exercice par les autres professionnels de leur activité. ". Aux termes de l'article 2 du décret attaqué : " Les demandes ou déclarations afférentes aux procédures de nomination ou d'inscription, de cession d'actions ou de parts sociales, d'augmentation du capital, de fusion, de scission ou de transformation de la société sont accompagnées, en sus des pièces justificatives prévues par les dispositions applicables à chaque profession exercée par la société, des pièces suivantes : (...) 4° Une copie des statuts et de toute convention relative aux rapports entre la société et les associés et de toute convention conclue entre les associés relative à la société ; / 5° Une déclaration sur l'honneur de chaque associé déjà en exercice attestant de l'absence de conflit d'intérêts entre ses activités en cours et celles des autres associés déjà en exercice ; / 6° Lorsque la société exerce ou souhaite exercer l'activité d'administrateur judiciaire ou de mandataire judiciaire, une déclaration sur l'honneur de chaque associé déjà en exercice attestant de l'absence totale d'intérêt dans les mandats de justice en cours. ". Aux termes de l'article 9 du décret attaqué : " (...) la société pluri-professionnelle d'exercice informe l'ensemble des autorités qui l'ont nommée dans un office ou inscrite sur la liste ou au tableau de leur profession de tout changement affectant les informations transmises aux fins de nomination ou d'inscription dans les trente jours suivant ce changement. ". En vertu des articles 14 et 16 du décret attaqué, l'autorité de nomination peut suspendre et retirer définitivement l'agrément ou l'inscription d'une société pluri-professionnelle dans une profession lorsqu'elle n'a pas été informée dans les conditions prévues par l'article 9 de tout changement affectant en particulier les statuts de la société et la déclaration sur l'honneur prévue aux 5° et 6° de l'article 2 du décret. Aux termes de l'article 27 du décret attaqué : " La société pluri-professionnelle d'exercice fait l'objet de contrôles et d'inspections par les autorités administratives ou professionnelles compétentes pour y procéder à l'égard des membres des professions qu'elle exerce, selon les modalités définies par les dispositions propres aux contrôles et aux inspections des sociétés d'exercice de chaque profession. / Les contrôles ou inspections peuvent être conjoints entre deux ou plusieurs de ces autorités. " Enfin, aux termes de l'article 28 de ce décret : " (...) L'autorité de contrôle ou d'inspection qui constate un fait susceptible de constituer un manquement aux obligations d'une profession exercée par une société pluri-professionnelle d'exercice en informe les autres autorités mentionnées à l'article 27. ".

5. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une société pluri-professionnelle d'exercice et ses associés demandent leur nomination ou leur inscription, ils doivent notamment fournir aux autorités compétentes les documents prévus à l'article 2 du décret attaqué afin notamment de permettre à ces autorités de vérifier que les statuts comportent des stipulations répondant aux exigences de la loi de nature à assurer le respect effectif de l'indépendance de l'exercice professionnel de chacun des associés ainsi que le respect des règles relatives à chaque profession, notamment les règles déontologiques. Il en résulte également qu'en exigeant que chaque associé en exercice atteste sur l'honneur de l'absence de conflit d'intérêts entre ses activités en cours et celles des autres associés déjà en exercice et, pour les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires, de l'absence totale d'intérêt dans les mandats de justice en cours, et que cette déclaration sur l'honneur soit renouvelée en cas de nomination d'un nouvel associé, ces dispositions imposent à chaque associé d'une société pluri-professionnelle d'exercice de s'être, au préalable, assuré, au besoin par des procédures mises en place au sein de la société, de l'absence de conflit d'intérêts. Ces dispositions permettent en outre aux autorités de contrôle et d'inspection de vérifier l'exactitude des déclarations relatives à l'absence de conflits d'intérêts entre les associés de la société pluri-professionnelle, transmises aux autorités de nomination, et, le cas échéant, de tirer toutes les conséquences d'une absence de déclaration ou d'une déclaration inexacte en leur permettant, d'une part, de procéder à des contrôles et des inspections et, d'autre part, de suspendre voire de retirer l'agrément ou l'inscription sur une liste ou un tableau de la société ainsi que de ceux des associés concernés. Les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 31-12 de la loi du 31 décembre 1990 créé par l'article 3 de l'ordonnance du 31 mars 2016, selon lequel le décret pris pour faire application de ses dispositions fixe " 1° Les règles de fonctionnement spécifiques à la société pluri-professionnelle d'exercice ; / 2° Les modalités selon lesquelles les personnes physiques associées et les salariés exercent leur profession au sein de la société ; (...) ", faute de contenir des dispositions suffisantes pour prévenir et traiter les conflits d'intérêts.

En ce qui concerne la nomination d'une société pluri-professionnelle dans un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation :

6. En premier lieu, le décret attaqué, en ce qu'il autorise une société pluri-professionnelle à être titulaire d'un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, se borne à tirer les conséquences, d'une part, de l'article 65 de la loi du 6 aout 2015 qui, en habilitant le Gouvernement à " faciliter la création de sociétés ayant pour objet l'exercice en commun de plusieurs professions ", dont celle d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a nécessairement entendu permettre que les entités créées à cette fin puissent être nommées titulaires de l'office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, d'autre part, de l'article 7 de l'ordonnance du 31 mars 2016 selon lequel " L'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation peut également exercer sa profession dans le cadre d'une société pluri-professionnelle (...) ". Par suite l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ne saurait utilement soutenir, à l'encontre du décret attaqué, qu'en autorisant la nomination d'une société pluri-professionnelle dans un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, il méconnaîtrait le principe d'indépendance de la justice garanti par l'article 64 de la Constitution, les règles déontologiques applicables à cette profession et l'intégrité des missions liées à son statut d'officier ministériel.

7. En deuxième lieu, il résulte de l'article 2 du décret du 29 juin 2016, rendu applicable aux sociétés pluri-professionnelles d'exercice par le décret du 5 mai 2017 relatif à l'exercice de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation par une société pluri-professionnelle d'exercice, que l'arrêté de nomination d'une telle société dans un office d'avocat au Conseil d'Etat ou à la Cour de cassation porte également nomination de l'associé ou des associés autorisés à exercer la profession dans l'office. Par suite, l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué méconnaîtrait l'article 57 de la loi du 6 août 2015 selon lequel " (...) Un décret précise les conditions dans lesquelles le ministre de la justice nomme dans un office les personnes remplissant les conditions de nationalité, d'aptitude, d'honorabilité, d'expérience et d'assurance requises pour être nommées en qualité d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. (...) ", en ce qu'il ne comporte pas de dispositions relatives à la nomination des personnes physiques associées de la société pluri-professionnelle lorsque celle-ci est titulaire de l'office.

8. En troisième lieu si, en application des articles 3-2 et 3-3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, une société pluri-professionnelle titulaire d'un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation doit comprendre, parmi ses associés, au moins un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation remplissant les conditions requises pour exercer ses fonctions, il résulte des articles 14 et 16 du décret attaqué, tout d'abord que l'agrément de la société pluri-professionnelle peut être suspendu lorsque les conditions de l'agrément ne sont plus satisfaites, ensuite qu'en cas de suspension de l'agrément, aucun acte relevant de l'exercice de la profession ne peut plus être accompli au nom de la société, enfin qu'à défaut de régularisation dans le délai d'un an à compter de la notification de la décision de suspension, l'autorité administrative compétente peut lui retirer définitivement son agrément et procéder à sa radiation du tableau. Par suite, l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation n'est pas fondé à soutenir que le décret attaqué serait illégal en ce qu'il autorise une société pluri-professionnelle à rester titulaire d'un office d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation en l'absence d'un associé remplissant les conditions pour exercer cette profession.

9. En quatrième lieu, le décret attaqué qui se borne, par ses articles 11, 12, 14 et 16, à prévoir les conditions de cessation d'exercice d'une profession par une société pluri-professionnelle ou par un associé, ainsi que les conditions du retrait d'agrément de la société, n'a, contrairement à ce qu'il est soutenu par le Conseil de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, ni pour objet ni pour effet de permettre qu'il soit dérogé à la compétence du garde des sceaux en matière de création d'offices d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation prévue à l'article 57 de la loi du 6 août 2015 modifiant l'article 3 de l'ordonnance du 10 septembre 1817.

En ce qui concerne la légalité de l'article 1er du décret attaqué :

10. Aux termes de l'article 1er du décret attaqué " (...) En cas de conflit entre les dispositions réglementaires spécifiques à chaque profession pour une même forme sociale, et dans le silence du présent décret, il est fait application des règles de droit commun applicables à la forme de société civile ou de société commerciale choisie par la société pluri-professionnelle d'exercice ".

11. En premier lieu, ces dispositions ne renvoient pas, dans l'hypothèse d'un conflit entre plusieurs normes réglementaires, à une règle générale exprimant le droit commun applicable à l'ensemble des sociétés pluri-professionnelles mais aux règles propres à la forme sociale choisie par la société. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article 1er du décret attaqué serait illégal en ce qu'il dérogerait au principe allégué selon lequel " ce qui est spécial déroge à ce qui est général " ne peut, en tout état de cause, qu'être écarté.

12. En second lieu, le moyen tiré de ce que cet article méconnaîtrait le principe selon lequel, en cas de conflit entre des dispositions réglementaires spécifiques, celles les plus sévères et les moins permissives prévalent, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne la légalité de l'article 4 du décret attaqué :

13. Aux termes de l'article 4 du décret attaqué " Le siège de la société pluri-professionnelle d'exercice est fixé librement par les statuts ".

14. Aucun principe ni aucune disposition législative ou réglementaire n'interdisant au pouvoir réglementaire de fixer, pour les sociétés pluri-professionnelles d'exercice, une règle différente de celle qu'il a prévu pour les sociétés exerçant la seule profession de notaire, la chambre interdépartementale des notaires de Paris n'est pas fondée à soutenir que l'article 4 du décret attaqué serait illégal en ce qu'il méconnaîtrait l'article 2 du décret du 13 janvier 1993 selon lequel le siège de la société d'exercice libéral de la profession de notaire est celui de l'office ou de l'un des offices.

En ce qui concerne la légalité des articles 11 et 12 du décret attaqué :

15. Aux termes de l'article 11 du décret attaqué : " I. - Lorsque la société cesse d'exercer une profession, l'associé ou les associés exerçant cette profession se retirent de la société. L'associé concerné dispose d'un délai de six mois à compter de la date de prise d'effet de la cessation d'exercice de la profession par la société pour céder ses actions ou parts sociales à la société, à ses coassociés ou à un tiers. En cas d'interdiction d'exercice, ce délai court à compter du jour où la décision d'interdiction est devenue définitive. / Si, à l'expiration de ce délai, aucune cession n'est intervenue, la société ou chacun des coassociés dispose d'un nouveau délai de six mois pour notifier, par tout moyen permettant d'établir la date de réception de cette notification, un projet de cession ou de rachat des actions ou des parts sociales de l'associé concerné. / A défaut d'accord entre les parties sur le principe de la cession ou sur son prix dans un délai de deux mois à compter de la notification prévue à l'alinéa précédent, il est passé outre le refus de l'associé et le prix de cession est fixé par un expert désigné dans les conditions prévues à l'article 1843-4 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 12 du décret attaqué : " I. - Sauf en cas de décès, lorsqu'un associé cesse d'exercer sa profession, il se retire de la société dans les conditions prévues au I de l'article 11. (...) ".

16. Ces articles se bornent à tirer les conséquences de l'article 65 de la loi du 6 août 2015 selon lequel, s'agissant des sociétés pluri-professionnelles : " (...) la totalité du capital et des droits de vote est détenue, directement ou indirectement, par des personnes exerçant l'une des professions exercées en commun au sein de ladite société ou par des personnes légalement établies dans un Etat membre de l'Union européenne, dans un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse qui exercent en qualité de professionnel libéral, dans l'un de ces Etats, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d'une qualification nationale ou internationale reconnue et exerçant une ou plusieurs des professions constituant l'objet social de la société ", et de l'article 31-6 de la loi du 31 décembre 1990 créé par l'article 3 de l'ordonnance du 31 mars 2016 selon lequel, s'agissant des mêmes sociétés : " La totalité du capital et des droits de vote est détenue par les personnes suivantes : / 1° Toute personne physique exerçant, au sein de la société ou en dehors, l'une des professions mentionnées à l'article 31-3 et exercées en commun au sein de la société ; / 2° Toute personne morale dont la totalité du capital et des droits de vote est détenue directement ou indirectement par une ou des personnes mentionnées au 1° / 3° Toute personne physique ou morale, légalement établie dans un autre Etat membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse, qui exerce effectivement, dans l'un de ces Etats, une activité soumise à un statut législatif ou réglementaire ou subordonnée à la possession d'une qualification nationale ou internationale reconnue, dont l'exercice relève en France de l'une des professions mentionnées à l'article 31-3 et qui est exercée en commun au sein de la société ; pour les personnes morales, la totalité du capital et des droits de vote est détenue dans les conditions prévues aux 1° ou 2° (...) ". Par suite, la chambre interdépartementale des notaires de Paris ne saurait utilement soutenir, à l'encontre des articles 11 et 12 du décret attaqué, que ceux-ci méconnaîtraient le droit de propriété et la liberté d'entreprendre.

En ce qui concerne la légalité de l'article 13 du décret attaqué :

17. Aux termes de l'article 13 du décret attaqué " L'associé d'une société pluri-professionnelle d'exercice nommée dans un office ou inscrite sur la liste ou au tableau d'une profession, qui ne satisfait pas aux conditions de l'article 31-6 de la loi du 31 décembre 1990 susvisée, est privé des droits attachés à sa qualité d'associé, à l'exception des rémunérations afférentes à ses apports en capital. ".

18. Il résulte des articles 65 de la loi du 6 août 2015 et 31-6 de la loi du 31 décembre 1990, dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance du 31 mars 2016, que les dispositions de l'article 13 du décret attaqué doivent être regardées comme n'autorisant l'associé d'une société pluri-professionnelle ne satisfaisant plus aux conditions de l'article 31-6 de la loi du 31 décembre 1990 à percevoir des rémunérations afférentes à ses apports en capital au sein de la société que jusqu'à ce que ses parts sociales ou ses actions aient été cédées dans les conditions prévues aux articles 11 et 12 du décret attaqué. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article 13 du décret attaqué serait illégal en ce qu'il méconnaîtrait l'article 31-6 de la loi du 31 décembre 1990, dans sa rédaction issue de l'article 3 de l'ordonnance du 31 mars 2016, doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité des articles 14 à 16 du décret attaqué :

19. Aux termes de l'article 14 du décret attaqué : " I. - L'agrément ou l'inscription de la société peut être suspendu par l'autorité administrative ou professionnelle compétente, dans les conditions prévues au II, lorsque : / 1° Les conditions de l'agrément ou de l'inscription de la société ne sont plus satisfaites ; / 2° Les dispositions relatives aux procédures de nomination ou d'inscription, de cession d'actions ou de parts sociales, d'augmentation du capital, de fusion, de scission ou de transformation de la société ont été méconnues par elle ; / 3° Les dispositions de l'article 9 ont été méconnues par la société. / II. - L'autorité administrative ou professionnelle compétente avise la société et chacun de ses associés y exerçant la profession concernée des manquements constatés ainsi que de la suspension d'agrément ou d'inscription encourue et les informe de la possibilité de présenter leurs observations, écrites ou orales, dans un délai d'un mois. / A l'issue de ce délai, cette autorité peut mettre en demeure la société et chacun de ses associés de régulariser leur situation dans un délai qu'elle détermine. / Si la société n'a pas satisfait à ses obligations dans le délai imparti par la mise en demeure, l'autorité administrative ou professionnelle compétente peut prendre une décision portant suspension de l'agrément ou de l'inscription de la société. Pour les officiers ministériels, la suspension d'agrément est prononcée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice, qui prend effet au plus tôt à la date de sa publication au Journal officiel de la République française. / III. - En cas de suspension de l'agrément ou de l'inscription de la société, aucun acte relevant de l'exercice de la profession ne peut être accompli en son nom. / IV. L'autorité administrative ou professionnelle compétente lève la mesure de suspension dès lors que la société établit avoir régularisé sa situation. ". L'article 15 du décret attaqué organise, en cas de suspension de l'agrément ou de l'inscription, les conditions de nomination d'un administrateur pour accomplir les actes professionnels relevant du ministère de la société. Enfin, aux termes de l'article 16 du décret attaqué : " Au terme d'un délai d'un an suivant la notification ou, le cas échéant, la publication de la décision de suspension de l'agrément ou de l'inscription, dans le cas où la société n'a toujours pas régularisé sa situation, l'autorité administrative ou professionnelle compétente peut lui retirer définitivement son agrément ou procéder à sa radiation de la liste ou du tableau. / Le retrait de l'agrément ou la radiation de la société est prononcé après que la société et chacun de ses associés y exerçant la profession concernée ont été avisés de l'absence de régularisation de la situation et du retrait d'agrément ou de la radiation encouru et après qu'ils ont été mis en mesure de présenter leurs observations, écrites ou orales, dans le délai d'un mois. / Le retrait de l'agrément ou la radiation de la société entraîne le retrait de l'agrément ou la radiation de chacun des associés qui exerçaient la profession concernée au sein de la société et qui avaient été nommés dans un office ou inscrits sur la liste ou le tableau de cette profession en leur qualité d'associé (...) ".

20. En premier lieu, les pouvoirs de suspension et de retrait d'un agrément ou d'une inscription reconnus par le décret attaqué aux autorités de nomination de la société dans la profession ont pour objet d'assurer le respect des conditions légales et réglementaires pour que la société soit agréée ou inscrite et des règles d'exercice de la profession par la société pluri-professionnelle et de protéger la clientèle des professions qu'elle exerce. Ainsi, et quand bien même une décision de suspension ou de retrait de la société pluri-professionnelle dans une profession qu'elle exerce peut être justifiée par une méconnaissance de ses obligations par la société trouvant sa cause dans le comportement de l'un de ses membres, l'exercice de ces prérogatives a seulement pour objet de permettre aux autorités compétentes de tirer les conséquences de ce que l'une des conditions d'agrément ou d'inscription n'est plus remplie et n'a pas pour objet de sanctionner une faute, contrairement à ce qui est soutenu par la chambre interdépartementale des notaires de Paris.

21. En second lieu, les dispositions de l'article 14 du décret attaqué, rappelées au point 19, doivent être regardées comme autorisant l'autorité administrative ou professionnelle de nomination à ne mettre en demeure de régulariser la situation que la société ou les seuls associés en tant qu'ils exercent la profession relevant de la compétence de cette autorité. Le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires ne saurait, par suite, soutenir que cet article méconnaîtrait le champ de compétence de la loi en ce qu'il confèrerait à une autorité de contrôle la faculté de prendre des mesures contraignantes à l'égard de professionnels qui ne sont pas placés sous son autorité.

En ce qui concerne la légalité de l'article 24 du décret attaqué :

22. Aux termes de l'article 24 du décret attaqué : " Les professionnels exerçant au sein de la société accomplissent les actes de leur profession au nom de cette société. ".

23. Ces dispositions, qui ne sont que la conséquence de l'exercice de la profession par la société pluri-professionnelle, n'entraînent par elles-mêmes, et contrairement à ce qui est soutenu, aucune méconnaissance des règles de déontologie applicables à la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

En ce qui concerne la légalité de l'article 25 du décret attaqué :

24. Aux termes de l'article 25 du décret attaqué " I. - Le contrat conclu entre la société et son client, en application du I de l'article 31-9 de la loi du 31 décembre 1990 susvisée, est constaté par écrit. Il comporte, avant toute stipulation, la mention selon laquelle le client a été informé par la société de la nature des prestations susceptibles de lui être fournies et de la liberté qui était la sienne de s'adresser à une ou à plusieurs des professions exercées par cette société. Le contrat détermine l'identité du ou des professionnels auxquels le client entend confier ses intérêts. Il fait état de la nécessité d'un accord préalable du client dans le cas où le professionnel envisagerait, au cours de l'exécution du contrat, d'user de la faculté de communication prévue au deuxième alinéa de l'article 31-10 de la loi du 31 décembre 1990 susvisée. / II. - L'accord relatif à la communication d'informations prévu au deuxième alinéa de l'article 31-10 de la loi du 31 décembre 1990 susvisée est recueilli par écrit. Il précise la nature exacte des informations communiquées et détermine la qualité ou l'identité du ou des professionnels auxquels le client entend limiter la communication de ces informations. / Le client peut dénoncer sans préavis et sans pénalité l'accord prévu à l'alinéa précédent par tout moyen permettant d'établir la date de réception de cette dénonciation. Dans les mêmes conditions, le client peut modifier à tout moment la nature des informations communiquées ou la qualité ou l'identité du ou des professionnels auxquels le client entend limiter la communication de ces informations. / Cet accord reproduit les dispositions des deux précédents alinéas. ".

25. En premier lieu, l'article 25 du décret attaqué se borne à tirer les conséquences de l'article 31-10 de la loi du 31 décembre 1990 créé par l'article 3 de l'ordonnance du 31 mars 2016 selon lequel " (...) les obligations de confidentialité ou de secret professionnel ne font pas obstacle à ce qu'il communique à d'autres professionnels toute information nécessaire à l'accomplissement des actes professionnels et à l'organisation du travail au sein de la société dans l'intérêt du client et à condition que ce dernier ait été préalablement informé de cette faculté de communication et y ait donné son accord. Cet accord mentionne, le cas échéant, la ou les professions constituant l'objet social de la société auxquelles le client s'adresse et entend limiter la communication des informations le concernant (...) ". Ces dispositions n'autorisent les professionnels concernés à partager des informations à caractère secret que dans la stricte mesure nécessaire à l'accomplissement de leurs missions respectives au service de leur client commun et après qu'a été recueilli le consentement à un tel partage dont l'étendue doit être précisée. Dans ces conditions, l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation ne saurait soutenir, à l'encontre de l'article 25 du décret attaqué, qu'il méconnaîtrait les règles déontologiques de cette profession selon lesquelles le secret professionnel auquel sont soumis ceux qui l'exercent est général et absolu.

26. En second lieu, le moyen tiré de l'illégalité de l'article 25 du décret attaqué en ce qu'il ne règlerait pas les difficultés résultant du fait que chacune des professions représentées au sein de la société pluri-professionnelle n'est pas soumise à la même règle du secret professionnel n'est pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne la légalité des articles 27 et 28 du décret attaqué :

27. Les moyens présentés par la chambre interdépartementale des notaires de Paris tirés de ce que les articles 27 et 28 du décret attaqué seraient entachés d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation ne sont pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En ce qui concerne la légalité de l'article 29 du décret attaqué :

28. Aux termes de l'article 29 du décret attaqué : " (...) Lorsque les dispositions régissant l'exercice de plusieurs professions exercées par la société prévoient l'obligation, pour les professionnels, de disposer de comptes destinés à recevoir les fonds détenus pour le compte de tiers, la société doit disposer d'autant de comptes affectés que de professions exercées soumises à cette obligation et, le cas échéant, d'offices relevant de la même profession dont elle est titulaire (...) ".

29. Ces dispositions, qui se limitent à prévoir qu'une société pluri-professionnelle qui, en application de règles particulières à une profession l'y autorisant, serait titulaire de plusieurs offices relevant de cette profession, doit, dans une telle hypothèse, tenir une comptabilité par office, n'a, contrairement à ce qui est soutenu, ni pour objet ni pour effet de permettre à une société pluri-professionnelle d'être titulaire de plusieurs offices d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.

30. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, de la chambre interdépartementale des notaires de Paris et du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, à la chambre interdépartementale des notaires de Paris, au Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires, au Premier ministre et au ministre de l'économie et des finances.

Copie en sera adressée à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 412149
Date de la décision : 17/06/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 17 jui. 2019, n° 412149
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Fanélie Ducloz
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP WAQUET, FARGE, HAZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 06/08/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:412149.20190617
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