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27/05/2019 | FRANCE | N°430631

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 27 mai 2019, 430631


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes mesures qu'il jugera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées à ses libertés fondamentales et de l'affecter dans un établissement pénitentiaire présentant de meilleures conditions d'incarcération. Par une ordonnance n° 1903623 du 25 avril 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a enjoint à l'administratio

n de la maison d'arrêt de Fresnes de faire bénéficier M. A... de l'ense...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner toutes mesures qu'il jugera utiles afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées à ses libertés fondamentales et de l'affecter dans un établissement pénitentiaire présentant de meilleures conditions d'incarcération. Par une ordonnance n° 1903623 du 25 avril 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a enjoint à l'administration de la maison d'arrêt de Fresnes de faire bénéficier M. A... de l'ensemble des activités prévues par le règlement intérieur du quartier de la maison d'arrêt des hommes et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une requête, enregistrée le 10 mai 2019, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la garde des sceaux, ministre de la justice, demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance, en tant qu'elle prononce une injonction à l'égard de l'Etat et met à sa charge les frais de l'instance ;

2°) de rejeter dans la même mesure la requête présentée par M.A....

Elle soutient que :

- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur d'appréciation des faits qui ont été soumis au juge des référés, tant sur la surface de la cellule dont dispose M A...que sur les circonstances de l'affectation d'un troisième détenu dans cette cellule ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur d'appréciation des faits en estimant qu'il aurait été porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit que M. A... tient de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde et des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ne fournissant aucun accès à une formation professionnelle, à un enseignement, à la bibliothèque, à une activité physique ou une autre activité prévue par le règlement, alors que le droit à l'exercice d'une activité n'appartient qu'aux personnes détenues ayant le statut de condamné, que M. A...n'a pas demandé d'accès à la bibliothèque et qu'il est inscrit sur la liste d'attente pour l'accès aux activités sportives ;

- l'ordonnance contestée est entachée d'une erreur d'appréciation dès lors qu'elle a considéré que M.A..., en l'absence d'activité, restait enfermé dans sa cellule au mieux vingt heures sur vingt-quatre et ne bénéficiait de promenade que dans des cours dont l'état général est fortement dégradé ;

- l'ordonnance attaquée ne tient compte ni des moyens dont dispose l'administration dans la maison d'arrêt de Fresnes, ni des mesures prises et encore en cours de réalisation pour en améliorer l'état.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 mai 2019, M. A...conclut au rejet de l'appel de la garde des sceaux et, par la voie de l'appel incident, à l'annulation de l'ordonnance du tribunal administratif de Melun en tant qu'elle a rejeté sa demande de transfert dans un établissement pénitentiaire présentant de meilleures conditions d'incarcération, à ce qu'il soit fait droit à cette demande et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un mémoire en intervention, enregistré le 22 mai 2019, la Section française de l'Observatoire international des prisons demande que le Conseil d'Etat fasse droit aux conclusions de M.A..., par les mêmes moyens.

Vu l'ordonnance attaquée ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la garde des sceaux, ministre de la justice et, d'autre part, M. A...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 mai 2019 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentantes de la garde des sceaux, ministre de la justice ;

- Me Vincent Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A...et de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

- la représentante de M.A... ;

- le représentant de la Section française de l'Observatoire international des prisons ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Melun, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lui demandant d'ordonner toutes mesures utiles pour faire cesser ce qu'il considère être les atteintes graves et manifestement illégales à ses libertés fondamentales résultant de son transfert de la maison d'arrêt d'Osny à celle de Fresnes et à qu'il soit procédé à son transfert dans un autre établissement. Par une ordonnance n° 1903623 du 25 avril 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a enjoint à l'administration de la maison d'arrêt de Fresnes de faire bénéficier M. A...de l'ensemble des activités prévues par le règlement intérieur du quartier de la maison d'arrêt des hommes et rejeté le surplus des conclusions de la requête. La garde des sceaux, ministre de la justice relève appel de cette ordonnance dans la mesure des injonctions prononcées à l'égard de l'administration. M. A... forme un appel incident. La Section française de l'Observatoire international des prisons intervient au soutien des demandes de M. A....

Sur l'intervention de la Section française de l'Observatoire internationale des prisons :

2. La Section française de l'Observatoire international des prisons justifie, eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, d'un intérêt suffisant pour intervenir dans la présente instance au soutien des conclusions de M.A.... Son intervention est, par suite, recevable.

Sur le cadre juridique du litige :

3. Aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue ".

4. Eu égard à la vulnérabilité des détenus et à leur situation d'entière dépendance vis à vis de l'administration, il appartient à celle-ci, et notamment aux directeurs des établissements pénitentiaires, en leur qualité de chefs de service, de prendre les mesures propres à protéger leur vie ainsi qu'à leur éviter tout traitement inhumain ou dégradant afin de garantir le respect effectif des exigences découlant des principes rappelés notamment par les articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Sur les pouvoirs que le juge des référés tient de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

5. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

6. Il résulte de la combinaison des dispositions des articles L. 511-1, L. 521-2 et L. 521-4 du code de justice administrative qu'il appartient au juge des référés, lorsqu'il est saisi sur le fondement de l'article L. 521-2 précité et qu'il constate une atteinte grave et manifestement illégale portée par une personne morale de droit public à une liberté fondamentale, de prendre les mesures qui sont de nature à faire disparaître les effets de cette atteinte. Ces mesures doivent en principe présenter un caractère provisoire, sauf lorsqu'aucune mesure de cette nature n'est susceptible de sauvegarder l'exercice effectif de la liberté fondamentale à laquelle il est porté atteinte. Le juge des référés peut, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, ordonner à l'autorité compétente de prendre, à titre provisoire, une mesure d'organisation des services placés sous son autorité lorsqu'une telle mesure est nécessaire à la sauvegarde d'une liberté fondamentale. Toutefois, le juge des référés ne peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, qu'ordonner les mesures d'urgence qui lui apparaissent de nature à sauvegarder, dans un délai de quarante-huit heures, la liberté fondamentale à laquelle il est porté une atteinte grave et manifestement illégale. Eu égard à son office, il peut également, le cas échéant, décider de déterminer dans une décision ultérieure prise à brève échéance les mesures complémentaires qui s'imposent et qui peuvent également être très rapidement mises en oeuvre. Dans tous les cas, l'intervention du juge des référés dans les conditions d'urgence particulière prévues par l'article L. 521-2 précité est subordonnée au constat que la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires.

7. Le droit au respect de la vie ainsi que le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants constituent des libertés fondamentales au sens des dispositions précitées. Lorsque la carence de l'autorité publique crée un danger caractérisé et imminent pour la vie des personnes ou les expose à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à ces libertés fondamentales, et que la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de quarante-huit heures, le juge des référés peut, au titre de la procédure particulière prévue par l'article L. 521-2 précité, prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de cette carence.

Sur l'appel du garde des sceaux, ministre de la justice :

8. La garde des sceaux soutient qu'en estimant que l'administration pénitentiaire avait porté atteinte de manière grave et illégale au droit de M. A...de ne pas subir des traitement inhumains et dégradants, le juge des référés du tribunal administratif de Melun a inexactement apprécié les faits et insuffisamment pris en compte les moyens dont dispose l'administration et les mesures qu'elle avait déjà prises.

9. M. A...faisant valoir sa jeunesse et la circonstance qu'il s'agit de sa première incarcération, soutient que ses conditions de détention à Fresnes méconnaissent gravement les stipulations des articles 3 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme en raison de l'exiguïté et de l'état de la cellule qu'il partage avec d'autres détenus, de l'état très dégradé des cours de promenade, de l'impossibilité pour son frère -son seul visiteur- de lui rendre visite du fait de l'éloignement géographique de Fresnes, de ce qu'il n'a accès à aucune des activités prévues par le règlement intérieur alors qu'il bénéficiait à Osny de l'usage de la bibliothèque, d'activités physiques, d'un enseignement de langue et d'une formation destinée à lui fournir ultérieurement un emploi, si bien qu'il doit rester enfermé dans sa cellule vingt heures sur vingt-quatre.

10. Il résulte cependant de l'instruction que si la cellule de M. A...présente une superficie de 9,8 mètres carrés alors que trois personnes l'occupent, elle est dans un état correct, a été nettoyée et pourvue de matelas neufs, et n'est occupée par un troisième détenu que sur la demande expresse de l'intéressé. Il- résulte également de l'instruction qu'à la date où le juge des référés du tribunal administratif de Melun a statué, soit 27 jours après le transfert de l'intéressé à Fresnes, M. A...avait reçu la visite de son frère auquel un permis de visite avait été accordé et participé à une activité cultuelle, qu'il n'avait pas fait de demande d'accès à la bibliothèque, était inscrit sur la liste d'attente des demandeurs d'activité sportive et avait vu enregistrée sa demande de formation, pour examen par la commission compétente.

11. Par ailleurs, le caractère manifestement illégal de l'atteinte à la liberté fondamentale en cause doit s'apprécier en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente. Il est constant qu'une maison d'arrêt est tenue d'accueillir, quel que soit l'espace dont elle dispose, la totalité des personnes mises sous écrou, mettant ainsi le centre pénitentiaire de Fresnes dans l'obligation d'affecter un troisième détenu dans une cellule prévue pour deux et d'établir des listes d'attente pour l'accès de chaque détenu aux différentes activités sportives, éducatives et culturelles prévues par le règlement intérieur de l'établissement. La seule circonstance que M. A...bénéficiait de ces différentes activités dans la maison d'arrêt d'Osny ne lui donne pas un droit à bénéficier d'activités similaires à son arrivée dans le centre pénitentiaire de Fresnes par priorité sur les autres détenus déjà inscrits en liste d'attente et dont, au demeurant, nombreux sont ceux qui sont jeunes et en première incarcération. Or, il résulte de l'instruction, en premier lieu, que le transfert de M. A...du centre pénitentiaire d'Osny à celui de Fresnes n'avait pu être prévu par la direction de ce centre dès lors qu'il résultait d'une mesure d'ordre à effet immédiat, motivée par la participation de l'intéressé la veille de son transfert à une action groupée lors de la promenade et de la nécessité de disperser les meneurs de cette opération entre les différents établissements pénitentiaires les plus proches. Il résulte de l'instruction, en second lieu, que, pour gravement préoccupante qu'elle demeure, la situation de la maison d'arrêt de Fresnes est en voie d'amélioration : la densité carcérale au quartier maison d'arrêt des hommes de Fresnes a décru de 199% en janvier 2019 à 181% en mars, du fait du transfert de 120 détenus vers la maison d'arrêt de la Santé à Paris ; 20 postes supplémentaires d'accès au travail ont été ouverts en novembre 2018 ; des travaux importants ont été menés et continuent d'être menés sur les circuits de distribution d'eau chaude et de chauffage ; des actions de dératisation et d'éradication des punaises sont régulièrement conduites ainsi que, depuis 2018, des actions de nettoyage régulières des cours de promenade.

12. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la garde des sceaux, ministre de la justice est fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Melun a estimé que les conditions de détention de M. A...atteignaient un degré de gravité tel qu'elles étaient constitutives d'un traitement inhumain et dégradant et portaient dès lors une atteinte manifestement illégale à une liberté fondamentale, justifiant l'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article L. 521-2 précité. L'ordonnance attaquée doit, par suite, être annulée en tant qu'elle fait injonction à l'administration pénitentiaire de faire bénéficier sous quinze jours M. A... de l'ensemble des activités prévues par le règlement intérieur.

Sur l'appel incident de M.A... :

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que les conditions d'intervention du juge des référés sur le fondement de l'article L 521-2 précité ne sont pas réunies. M. A...n'est donc pas fondé à se plaindre de ce que le juge des référés du tribunal administratif de Melun a rejeté ses conclusions tendant à ce que soit prononcé son transfert dans un autre établissement pénitentiaire.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'intervention de la Section française de l'Observatoire international des prisons est admise.

Article 2 : Les articles 1 et 2 de l'ordonnance du 25 avril 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Melun sont annulés.

Article 3 : Les conclusions de l'appel incident de M. A...ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La demande présentée par M. A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Melun est rejetée.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la garde des sceaux, ministre de la justice et à M. B...A....

Copie en sera adressée à la Section française de l'Observatoire international des prisons.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 430631
Date de la décision : 27/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mai. 2019, n° 430631
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:430631.20190527
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