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21/05/2019 | FRANCE | N°429616

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 21 mai 2019, 429616


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 avril et 11 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des entreprises de la beauté demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 13 mars 2019 fixant les conditions particulières d'utilisation des produits cosmétiques non rincés contenant du

phénoxyéthanol en précisant sur leur étiquetage qu'ils ne peuvent pas être utilis...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 avril et 11 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Fédération des entreprises de la beauté demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé du 13 mars 2019 fixant les conditions particulières d'utilisation des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol en précisant sur leur étiquetage qu'ils ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la condition de l'urgence est remplie, dès lors que les délais pratiques de mise en oeuvre de l'obligation d'étiquetage qui résulte de la décision contestée imposent aux entreprises concernées de prendre rapidement les mesures nécessaires pour s'y conformer, que les coûts directs et indirects induits sont considérables et que nulle urgence ne s'attache au contraire à l'exécution de cette décision, ces éléments caractérisant ainsi une atteinte grave et immédiates aux intérêts défendus par la Fédération des entreprises de la beauté ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- celle-ci méconnaît l'article 9 du règlement n° 1223/2009 du 30 novembre 2009 relatif à l'harmonisation européenne du marché des produits cosmétiques, dès lors qu'elle régit de manière plus stricte que ne le permet ce règlement l'utilisation du phénoxyéthanol dans les produits cosmétiques non rincés en imposant une obligation d'étiquetage non prévue ;

- elle méconnaît l'article 27 du règlement du 30 novembre 2009, les conditions d'application de la clause de sauvegarde n'étant pas réunies ;

- elle est entachée d'une erreur de qualification juridique des faits dès lors que, d'une part, elle est prise au visa de l'article L. 5312-1 du code de la santé publique alors qu'aucun risque pour la santé humaine n'est caractérisé et que, d'autre part, elle repose sur une hypothèse de mauvaise utilisation du produit ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que sa portée s'étend au-delà du champ des préconisations de l'avis du comité scientifique spécialisé temporaire auquel elle se réfère.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mai 2019, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé conclut au rejet de la requête. Elle soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la ministre des solidarités et de la santé qui n'a pas produit de mémoire.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, la Fédération des entreprises de la beauté et, d'autre part, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et la ministre des solidarités et de la santé ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 13 mai 2019 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Rameix, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de la Fédération des entreprises de la beauté ;

- les représentants de la Fédération des entreprises de la beauté ;

- les représentants de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au 14 mai à 13 heures ;

Vu les pièces complémentaires, enregistrées le 14 mai 2019, avant la clôture de l'instruction, présentées par la Fédération des entreprises de la beauté ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 14 mai 2019, postérieurement à la clôture de l'instruction, présentée par l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte contesté sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

2. Aux termes de son article 1er, le règlement (CE) n° 1223/2009 du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques " établit des règles auxquelles doit satisfaire tout produit cosmétique mis à disposition sur le marché, afin de garantir le fonctionnement du marché intérieur et d'assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine. ". L'article 9 du règlement exclut que les Etats membres puissent refuser, interdire ou restreindre, " pour des raisons concernant les exigences contenues dans le présent règlement, la mise à disposition sur le marché des produits cosmétiques qui répondent (à ses) prescriptions. ". L'article 14 dispose que les produits cosmétiques ne doivent pas contenir d'agents conservateurs autres que ceux énumérés à l'annexe V et que les agents conservateurs figurant dans cette annexe doivent être utilisés dans le respect des conditions qu'elle établit. L'annexe V, relatif à la liste des agents conservateurs admis dans les produits cosmétiques, mentionne à son point 29 le phénoxyéthanol, à la seule condition que la concentration maximale dans les préparations prêtes à l'emploi soit inférieure à 1 %. L'article 27 du règlement, intitulé " clause de sauvegarde ", prévoit toutefois que " lorsqu'une autorité compétente constate ou a des motifs raisonnables de craindre qu'un ou plusieurs produits cosmétiques mis à disposition sur le marché présentent ou pourraient présenter un risque grave pour la santé humaine, elle prend toutes les mesures provisoires appropriées pour assurer que le ou les produits concernés sont retirés, rappelés ou que leur disponibilité est restreinte d'une autre manière. ". Il lui appartient alors de communiquer immédiatement à la Commission et aux autorités compétentes des autres Etats membres les mesures prises et toute information étayant la décision, à charge pour la Commission de déterminer, dès que possible, si les mesures provisoires visées au paragraphe 1 sont justifiées ou non et, dans l'affirmative, de modifier le contenu de l'annexe en cause. Dans le cas contraire, les mesures provisoires doivent être abrogées.

3. Par une décision du 13 mars 2019, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, en se fondant sur la clause de sauvegarde prévue par l'article 27 du règlement 30 novembre 2009, a subordonné, à titre provisoire, la mise à disposition sur le marché des produits cosmétiques non rincés contenant du phénoxyéthanol - réserve faite des déodorants, des produits de coiffage et des produits de maquillage - à la mention, sur leur étiquetage, de ce que ces produits ne peuvent pas être utilisés sur le siège des enfants de trois ans ou moins. La décision laisse aux entreprises concernées un délai de neuf mois à compter de sa publication pour se conformer à cette obligation. Par la présente requête, la Fédération des entreprises de la beauté demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cette décision.

4. La Fédération des entreprises de la beauté fait valoir que, selon une enquête réalisée auprès de ses adhérents, 8945 références de produits cosmétiques entreraient dans le champ de la décision litigieuse et que l'obligation de modifier le conditionnement des produits mis sur le marché postérieurement au délai de neuf mois fixé par la décision contestée, voire celui des produits encore en stock dans des magasins à cette date, engendrerait des coûts directs élevés. Selon les éléments produits par la Fédération, qui consistent en des données anonymisées et partiellement agrégées, le coût indiqué serait compris, pour la majorité des entreprises, entre 500 et 1000 euros par référence. Si certaines entreprises évoquent des coûts substantiellement plus élevés, ceux-ci ne sont pas étayés par des données précises. L'affirmation selon laquelle, pour plusieurs entreprises, le taux de rotation des stocks serait supérieur à neuf mois n'est pas davantage étayée. Ces éléments ne caractérisent pas une atteinte suffisamment grave et immédiate aux intérêts de la filière des produits cosmétiques dans son ensemble, non plus qu'à ceux d'une ou de plusieurs entreprises déterminées, en l'absence de toute indication relative à leur situation économique et financière permettant d'apprécier l'incidence concrète du financement des dépenses rendues nécessaires par la mise en oeuvre de la décision de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé.

5. Si la Fédération des entreprises de la beauté évoque également les " coûts indirects " de la décision, qui contribuerait, selon elle, à une désinformation des consommateurs sur les effets réels du phénoxyéthanol, cette circonstance ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, être davantage regardée comme constitutive d'une urgence au sens et pour l'application de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, dès lors que le débat sur l'absence d'innocuité de cet agent conservateur se poursuit depuis de nombreuses années et que la décision contestée a pour objet non d'en interdire de façon générale l'usage, mais de proscrire sa seule utilisation sur le siège des enfants de moins de trois ans, étant précisé que, selon la Fédération elle-même, seuls 2 produits sur les 8945 référencés sont destinés à cet usage.

6. Il résulte de tout ce qui précède que, la condition d'urgence n'étant pas satisfaite, et sans qu'il y ait lieu de se prononcer sur l'existence d'un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée, la requête de la Fédération des entreprises de la beauté doit être rejetée, y compris ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la Fédération des entreprises de la beauté est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la Fédération des entreprises de la beauté, à l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé et à la ministre des solidarités et de la santé.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 429616
Date de la décision : 21/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 mai. 2019, n° 429616
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:429616.20190521
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