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15/05/2019 | FRANCE | N°427502

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 15 mai 2019, 427502


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 23 janvier 2019 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son expulsion du territoire national avec effet immédiat et d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer sa situation. Par une ordonnance n° 1900867 du 28 janvier 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2019 au secrétariat du contentieu...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner la suspension de l'exécution de la décision du 23 janvier 2019 par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a ordonné son expulsion du territoire national avec effet immédiat et d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire de réexaminer sa situation. Par une ordonnance n° 1900867 du 28 janvier 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 30 janvier 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la mesure d'expulsion est exécutoire à tout moment alors qu'il vit en France avec toute sa famille, dont son plus jeune enfant français dont il s'occupe au quotidien, et qu'il n'a plus aucune attache au Maroc ;

- la décision préfectorale d'expulsion porte une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté de mener une vie familiale normale dès lors que, d'une part, elle a été prise par une autorité incompétente à l'issue d'une procédure irrégulière au regard de l'article L. 522-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et, d'autre part, elle méconnaît l'article L. 521-1 du même code ainsi que l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 mai 2019 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il indique que la mesure d'expulsion de M. A...a été exécutée le 24 mars 2019. Il soutient qu'eu égard à la menace grave que constitue pour l'ordre public la présence en France de M.A..., qui a été condamné à des peines d'une durée ferme supérieure à cinq ans et que les autorités espagnoles ont interdit de tout retour dans l'espace Schengen jusqu'au 1er avril 2020, l'urgence de suspendre cette mesure d'expulsion n'est pas caractérisée. L'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale n'est pas établie dans la mesure où les relations qu'il entretient avec ses enfants majeurs ne sont pas établies et où l'intérêt qu'il porte à son fils mineur, postérieur à l'engagement de la procédure d'expulsion, est très récent.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. A...et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 6 mai 2019 à 11 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Rameix-Séguin, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve des dispositions des articles L. 521-2, L. 521-3 et L. 521-4, l'expulsion peut être prononcée si la présence en France d'un étranger constitue une menace grave pour l'ordre public ". Selon l'article L. 521-2 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion que si cette mesure constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que les dispositions de l'article L. 521-3 n'y fassent pas obstacle : 1° L'étranger, ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; (...) / Par dérogation aux dispositions du présent article, l'étranger visé aux 1° à 5° peut faire l'objet d'un arrêté d'expulsion en application de l'article L. 521-1 s'il a été condamné définitivement à une peine d'emprisonnement ferme au moins égale à cinq ans. ". Aux termes de l'article L. 521-3 du même code : " Ne peuvent faire l'objet d'une mesure d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : / 1° L'étranger qui justifie par tous moyens résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans ; (...) / 4° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui, ne vivant pas en état de polygamie, est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins un an ; (...) / Les dispositions du présent article ne sont toutefois pas applicables à l'étranger mentionné au 3° ou au 4° ci-dessus lorsque les faits à l'origine de la mesure d'expulsion ont été commis à l'encontre de son conjoint ou de ses enfants ou de tout enfant sur lequel il exerce l'autorité parentale. /Les étrangers mentionnés au présent article bénéficient de ses dispositions même s'ils se trouvent dans la situation prévue au dernier alinéa de l'article L. 521-2. ".

3. Par arrêté du 23 janvier 2019, le préfet de Maine-et-Loire a prononcé l'expulsion de M. A..., ressortissant marocain, du territoire français au motif que sa présence constitue une menace grave pour l'ordre public l'intéressé ayant commis entre 1985 et 2015 une cinquantaine de faits délictueux et étant entré irrégulièrement sur le territoire français en septembre 2015 malgré une mesure d'expulsion vers le Maroc prononcée par l'Espagne avec interdiction d'entrée dans l'espace Schengen jusqu'en 2020. M. A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nantes, statuant le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de cet arrêté. Par une ordonnance du 28 janvier 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa requête. M. A...relève appel de cette ordonnance.

4. D'une part, il résulte de l'instruction que les infractions tenant à des vols, vols avec effraction et en réunion, coups et violences volontaires, destruction d'un bien appartenant à autrui, filouterie de carburant, escroquerie par emploi de manoeuvres frauduleuses, prises en compte par le préfet de Maine-et-Loire pour ordonner l'expulsion de M. A...et qui lui ont valu plusieurs condamnations pénales à des peines de prison dont deux d'une durée supérieure à cinq ans fermes, ont toutes été commises entre 1989 et 1991 et sont donc anciennes. Celles se rapportant à des faits de transport, détention, offre, acquisition et emploi non autorisés de stupéfiants, trafic de stupéfiants ont été commises en France en 2007. M. A...s'est en outre rendu coupable en Espagne en 2013 de culture, élaboration et trafic de drogue, faits pour lesquels il a été condamné par les juridictions espagnoles à une peine de trois ans, quatre mois et trois jours d'emprisonnement et les autorités espagnoles ont prononcé en 2015 son expulsion vers le Maroc et l'ont assortie d'une interdiction de retour sur le territoire Schengen de cinq ans jusqu'au 31 mars 2020. Si ces derniers faits font apparaître que l'intéressé ne résidait plus en France entre 2013 et septembre 2015, date à laquelle il indique être rentré irrégulièrement en France, il résulte néanmoins de l'instruction que M.A..., ressortissant de nationalité marocaine né au Maroc en 1967, est arrivé en France, où vit toute sa famille, à l'âge d'un an et ne dispose plus d'aucune attache avec son pays d'origine. Marié en 1994 à une Française, dont il a eu trois enfants eux aussi de nationalité française et désormais majeurs, et dont il est divorcé depuis 2011, il est père d'un quatrième enfant français, né en 2003 d'une union avec une autre jeune femme. Si l'autorité parentale à l'égard de cet enfant ne lui a été reconnue que par une ordonnance du juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance d'Angers du 21 mars 2019, diverses pièces produites au dossier par l'intéressé attestent de ce que, depuis son retour en France en septembre 2015, il contribue effectivement à son entretien et à son éducation. En outre, et bien qu'en situation irrégulière, il n'a pas réitéré depuis ce retour les faits graves qui lui ont valu les condamnations pénales mentionnées plus haut. Eu égard à l'ensemble de ces circonstances, la mesure d'expulsion porte au droit de mener une vie familiale normale que M. A... tient de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, une atteinte manifestement illégale et disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise.

5. D'autre part, eu égard à son objet et à ses effets, une décision prononçant l'expulsion d'un étranger du territoire français porte par elle-même, en principe, atteinte de manière grave et immédiate à la situation de la personne qu'elle vise et est ainsi constitutive d'une urgence pouvant justifier la suspension de l'exécution de cette décision sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, y compris en tant que l'étranger ayant été expulsé, elle fait obstacle à son retour en France. Les infractions graves commises par M. A...remontant, ainsi qu'il a été dit au début du point précédent, aux années 1989-1991 pour les unes et à 2007 et 2013 en matière de trafic de drogue et de stupéfiants, le ministre de l'intérieur n'est, en l'absence de nouveaux faits depuis 2015, pas fondé à invoquer leur gravité et leur caractère répété pour soutenir que la condition d'urgence n'est pas, en l'espèce, remplie.

6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande de suspension de l'exécution de la décision du 23 janvier 2019 du préfet de Maine-et-Loire. Il y a lieu, par suite, d'annuler cette ordonnance et de suspendre l'exécution de cette décision.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M.A..., de la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du 28 janvier 2019 du juge des référés du tribunal administratif de Nantes est annulée.

Article 2 : L'exécution de la décision du 23 janvier 2019 du préfet de Maine-et-Loire est suspendue.

Article 3 : L'Etat versera à M. A...la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B...A...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 427502
Date de la décision : 15/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 15 mai. 2019, n° 427502
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:427502.20190515
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