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06/05/2019 | FRANCE | N°413615

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 06 mai 2019, 413615


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Lille, en premier lieu, d'annuler la décision du 7 septembre 2012 par laquelle le président de la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille l'a suspendu à titre conservatoire de ses fonctions et la décision du 6 novembre 2012 par laquelle la même autorité lui a infligé la sanction disciplinaire de la révocation, en deuxième lieu, d'enjoindre au président de la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille de le réintégrer dans ses fonctions de directeur-général adjoint et de directeur des

ports et parcs et de reconstituer sa carrière, en troisième lieu, de ...

Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au tribunal administratif de Lille, en premier lieu, d'annuler la décision du 7 septembre 2012 par laquelle le président de la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille l'a suspendu à titre conservatoire de ses fonctions et la décision du 6 novembre 2012 par laquelle la même autorité lui a infligé la sanction disciplinaire de la révocation, en deuxième lieu, d'enjoindre au président de la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille de le réintégrer dans ses fonctions de directeur-général adjoint et de directeur des ports et parcs et de reconstituer sa carrière, en troisième lieu, de condamner la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille à lui verser la somme de 680 000 euros augmentée des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts à titre de réparation de son préjudice financier et la somme d'un euro symbolique au titre de son préjudice moral. Par un jugement n° 1300148 du 17 février 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 15DA00724 du 22 juin 2017, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. A...contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un nouveau mémoire, enregistrés les 22 août et 22 novembre 2017 et le 29 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) de mettre à la charge de la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code monétaire et financier ;

- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Jean-Yves Ollier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Mireille Le Corre, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Spinosi, Sureau, avocat de M. A...et à la SCP Richard, avocat de la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 15 avril 2019, présentée par M.A... ;

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M.A..., qui exerçait, au sein de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) Grand Lille, les fonctions de directeur-général adjoint et de directeur des ports et parcs, a sollicité du président de la chambre de commerce et d'industrie son accord pour présenter sa candidature à la présidence du conseil d'administration de la caisse régionale du Crédit agricole, en précisant que, si sa candidature était retenue, cette activité ne serait pas rémunérée et ne porterait aucune atteinte aux intérêts de la CCI Grand Lille. Cet accord lui ayant été donné par un courrier du 15 mars 2011, sous réserve que ce mandat soit exercé à titre gracieux et ne donne lieu à aucune rémunération, M. A...a présenté sa candidature à ces fonctions et a été élu. Le président de la CCI Grand Lille ayant ultérieurement eu connaissance de ce que l'intéressé avait perçu, dans le cadre de l'exercice de ce mandat durant la période courant du 22 avril au 31 décembre 2011, une indemnité compensatrice de temps passé s'élevant à un montant total de 50 640 euros et qu'il avait bénéficié d'un véhicule de fonction et d'un régime de retraite spécifique, a fait connaître à M. A..., par un courrier du 7 septembre 2012, qu'il avait décidé d'engager à son encontre une procédure disciplinaire et de le suspendre, à titre conservatoire, de ses fonctions jusqu'à l'issue de cette procédure. Après que la commission paritaire locale eut émis l'avis que M. A...soit révoqué de ses fonctions, le président de la CCI Grand Lille a, par une décision du 6 novembre 2012, prononcé cette sanction. Par un jugement du 17 février 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de M. A... tendant à l'annulation, pour excès de pouvoir, des décisions du 7 septembre 2012 et du 6 novembre 2012, à ce qu'il soit fait injonction à cette autorité de le réintégrer dans ses fonctions et de reconstituer sa carrière, enfin, à la condamnation de la CCI Grand Lille à réparer les préjudices financier et moral qu'il estimait avoir subis en conséquence de sa révocation. Par un arrêt du 22 juin 2017, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé contre ce jugement par M.A..., qui se pourvoit en cassation contre cet arrêt.

2. En premier lieu, la cour administrative d'appel, dont l'arrêt est suffisamment motivé, n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant que la circonstance que le président de la CCI Grand Lille, autorité investie du pouvoir disciplinaire à l'égard des personnels de l'établissement consulaire, ait décidé, au vu des éléments d'information portés à sa connaissance, d'engager une procédure disciplinaire à l'encontre de M. A..., puis ait présidé, conformément aux dispositions de l'article 11 du statut du personnel des chambres de commerce et d'industrie, la commission paritaire locale chargée d'émettre un avis sur une éventuelle sanction et ait prononcé la sanction prise à l'issue de la procédure, ne caractérisait pas, par elle-même, une méconnaissance des principes d'indépendance et d'impartialité, non plus, en tout état de cause, que de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Elle a, par ailleurs, souverainement jugé, sans dénaturer les pièces du dossier, que les propos tenus par le président de la chambre de commerce et d'industrie, cités par un journaliste dans l'édition du 14 septembre 2012 d'un quotidien régional, ne manifestaient aucune animosité à l'égard de M.A.... Par suite, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en écartant les moyens tirés de ce que la procédure aurait méconnu le principe d'impartialité et la présomption d'innocence.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 37 du statut du personnel des chambres de commerce et d'industrie : " Avant toute sanction prévue à l'article 36-2°, 3°, 4°, 5° et 6°, l'agent doit pouvoir prendre connaissance de son dossier, être informé des faits qui lui sont reprochés et pouvoir présenter sa défense devant le président de la commission paritaire locale. Il peut se faire assister de tout défenseur de son choix ". La cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, après avoir énoncé que ni cet article, ni aucune autre disposition statutaire ne prévoient la possibilité pour l'agent concerné d'être entendu par la commission, qu'une telle possibilité avait pu être refusée à M. A... sans entacher la procédure d'irrégularité. Si la cour a relevé que les observations écrites produites le 24 octobre 2012 par M. A... n'avaient été communiquées aux membres de la commission que le vendredi 26 octobre 2012, soit trois jours avant la séance au cours de laquelle cette commission a examiné sa situation, en méconnaissance des dispositions de l'article 12 du statut, qui imposent un délai minimum de cinq jours, elle n'a pas davantage commis d'erreur de droit ni dénaturé les pièces du dossier, en jugeant, dans les circonstances de l'espèce, après avoir souverainement relevé que les membres de la commission, malgré ce délai réduit, avaient pu prendre utilement connaissance des observations de M.A..., que l'irrégularité invoquée, qui n'avait pas privé l'intéressé d'une garantie, n'avait pas eu d'influence sur le sens de la sanction prise par le président de la CCI Grand Lille.

4. En troisième lieu, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une procédure disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes. La constatation et la caractérisation des faits reprochés à l'agent relèvent, dès lors qu'elles sont exemptes de dénaturation, du pouvoir souverain des juges du fond. Le caractère fautif de ces faits est susceptible de faire l'objet d'un contrôle de qualification juridique de la part du juge de cassation. L'appréciation du caractère proportionné de la sanction au regard de la gravité des fautes commises relève, pour sa part, de l'appréciation des juges du fond et n'est susceptible d'être remise en cause par le juge de cassation que dans le cas où la solution qu'ils ont retenue quant au choix, par l'administration, de la sanction est hors de proportion avec les fautes commises.

5. En vertu de l'article 1er du statut du personnel des chambres de commerce et d'industrie, il est interdit aux agents titulaires occupant un emploi à temps complet et à ceux accomplissant un service au moins égal à la moitié de la durée hebdomadaire du travail d'un agent à temps complet de cumuler un emploi au sein d'une compagnie consulaire avec " une autre activité professionnelle ", sous réserve d'exceptions figurant à l'article 1 bis du même statut.

6. Aux termes de l'article L. 512-36 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les caisses de crédit agricole mutuel sont administrées par un conseil d'administration dont les membres sont élus par l'assemblée générale des sociétaires. / Les fonctions des membres du conseil d'administration sont gratuites, sous réserve du remboursement à ces membres, le cas échéant, et sur leur demande, des frais spéciaux nécessités par l'exercice de leurs fonctions et de l'attribution éventuelle, à l'administrateur spécialement chargé d'exercer une surveillance effective sur la marche de la société, d'une indemnité compensatrice du temps passé, fixée chaque année par l'assemblée générale ". Les fonctions de président du conseil d'administration d'une caisse régionale du crédit agricole doivent être regardées comme caractérisant l'exercice d'une activité professionnelle au sens des dispositions de l'article 1er du statut du personnel des chambres de commerce et d'industrie, alors même qu'elles seraient exercées à titre gratuit. De même, les fonctions de l'administrateur spécialement chargé d'exercer une surveillance effective sur la marche de la société ont le caractère d'une activité professionnelle au sens de ces dispositions.

7. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le président de la CCI Grand Lille, qui avait cru pouvoir autoriser M. A...à exercer les fonctions de président de la caisse régionale du Crédit Agricole à la condition que cette activité ne puisse être en aucun cas rémunérée, a motivé la décision de sanction prise à son encontre en relevant que l'intéressé, en percevant une indemnité compensatrice du temps passé à assurer la surveillance effective de la marche de la société, laquelle constituait une rémunération et caractérisait l'exercice d'une activité professionnelle, avait méconnu, d'une part, les termes de l'autorisation qui lui avait été donnée et, d'autre part, l'article 1er du statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie.

8. D'une part, en jugeant qu'eu égard à son montant, à la régularité de son versement et à son caractère forfaitaire, l'indemnité mensuelle de 6 330 euros qui avait été versée à M. A... par la caisse régionale du Crédit Agricole avait le caractère d'une rémunération fixe versée en contrepartie de l'exercice de ses fonctions de président du conseil d'administration de cette caisse, la cour administrative d'appel de Douai s'est livrée une appréciation souveraine des pièces du dossier qui n'est pas entachée de dénaturation.

9. D'autre part, la cour n'a commis aucune erreur de qualification juridique ni erreur de droit en relevant que M.A..., en exerçant son mandat dans de telles conditions, avait méconnu l'engagement qu'il avait pris par écrit dans la demande d'autorisation préalable qu'il avait présentée au président de la CCI Grand Lille et avait commis une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

10. Enfin, en jugeant, eu égard à la gravité particulière de la faute et à l'ensemble des circonstances de l'espèce, que la sanction de la révocation infligée à M. A... n'était pas disproportionnée, la cour administrative d'appel s'est livrée à une appréciation des faits de l'espèce qui ne conduit pas au maintien d'une sanction hors de proportion avec la faute commise.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A...n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque.

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A... la somme de 3 000 euros à verser à la CCI Grand Lille en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, les dispositions de cet article font obstacle à ce qu'une somme soit mise au même titre à la charge de la CCI Grand Lille qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Le pourvoi de M. A... est rejeté.

Article 2 : M. A...versera à la CCI Grand Lille une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B... A...et à la chambre de commerce et d'industrie Grand Lille.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 413615
Date de la décision : 06/05/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

COMMERCE - INDUSTRIE - INTERVENTION ÉCONOMIQUE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - ORGANISATION PROFESSIONNELLE DES ACTIVITÉS ÉCONOMIQUES - CHAMBRES DE COMMERCE ET D'INDUSTRIE - PERSONNEL - INTERDICTION DE CUMULER UN EMPLOI AVEC UNE AUTRE ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE (ART - 1ER DU STATUT PRÉVU PAR L'ARTICLE 1ER DE LA LOI N° 52-1311 DU 10 DÉCEMBRE 1952) - NOTION D'ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE - 1) INCLUSION - PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION D'UNE CAISSE RÉGIONALE DU CRÉDIT AGRICOLE - 2) ADMINISTRATEUR SPÉCIALEMENT CHARGÉ D'EXERCER UNE SURVEILLANCE EFFECTIVE SUR LA MARCHE DE LA SOCIÉTÉ - INCLUSION.

14-06-01-03 Article 1er du statut du personnel des chambres de commerce et d'industrie (CCI) interdisant aux agents titulaires occupant un emploi à temps complet et à ceux accomplissant un service au moins égal à la moitié de la durée hebdomadaire du travail d'un agent à temps complet de cumuler un emploi au sein d'une compagnie consulaire avec une autre activité professionnelle, sous réserve d'exceptions figurant à l'article 1 bis du même statut.......1) Les fonctions de président du conseil d'administration d'une caisse régionale du Crédit agricole doivent être regardées comme caractérisant l'exercice d'une activité professionnelle au sens de ces dispositions, alors même qu'elles seraient exercées à titre gratuit. ......2) De même, les fonctions de l'administrateur spécialement chargé d'exercer une surveillance effective sur la marche de la société ont le caractère d'une activité professionnelle au sens de ces dispositions.

FONCTIONNAIRES ET AGENTS PUBLICS - STATUTS - DROITS - OBLIGATIONS ET GARANTIES - OBLIGATIONS DES FONCTIONNAIRES - INTERDICTION D'EXERCER UNE ACTIVITÉ PRIVÉE LUCRATIVE - PERSONNEL DES CCI - INTERDICTION DE CUMULER UN EMPLOI AVEC UNE AUTRE ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE (ART - 1ER DU STATUT PRÉVU PAR L'ARTICLE 1ER DE LA LOI N° 52-1311 DU 10 DÉCEMBRE 1952) - NOTION D'ACTIVITÉ PROFESSIONNELLE - 1) INCLUSION - PRÉSIDENT DU CONSEIL D'ADMINISTRATION D'UNE CAISSE RÉGIONALE DU CRÉDIT AGRICOLE - 2) ADMINISTRATEUR SPÉCIALEMENT CHARGÉ D'EXERCER UNE SURVEILLANCE EFFECTIVE SUR LA MARCHE DE LA SOCIÉTÉ - INCLUSION.

36-07-11-02 Article 1er du statut du personnel des chambres de commerce et d'industrie (CCI) interdisant aux agents titulaires occupant un emploi à temps complet et à ceux accomplissant un service au moins égal à la moitié de la durée hebdomadaire du travail d'un agent à temps complet de cumuler un emploi au sein d'une compagnie consulaire avec une autre activité professionnelle, sous réserve d'exceptions figurant à l'article 1 bis du même statut.......1) Les fonctions de président du conseil d'administration d'une caisse régionale du Crédit agricole doivent être regardées comme caractérisant l'exercice d'une activité professionnelle au sens de ces dispositions, alors même qu'elles seraient exercées à titre gratuit. ......2) De même, les fonctions de l'administrateur spécialement chargé d'exercer une surveillance effective sur la marche de la société ont le caractère d'une activité professionnelle au sens de ces dispositions.


Publications
Proposition de citation : CE, 06 mai. 2019, n° 413615
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Jean-Yves Ollier
Rapporteur public ?: Mme Mireille Le Corre
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU ; SCP RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 06/08/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:413615.20190506
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