Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 janvier et 24 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. F...demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret du Président de la République du 17 juillet 2017 portant nomination de deux maîtres des requêtes au Conseil d'Etat ainsi que la décision implicite par laquelle le Président de la République a rejeté son recours gracieux contre ce décret ;
2°) d'enjoindre au Premier ministre de présenter un projet de loi rendant la procédure de recrutement compatible avec le droit applicable ;
3°) d'enjoindre à l'administration de reprendre la procédure de nomination en cause après l'avoir rendue compatible avec le droit applicable.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative, notamment son article L. 133-8 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-Baptiste de Froment, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Stéphane Hoynck, rapporteur public.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 9 avril 2019, présentée par M.E....
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article 2 de l'ordonnance du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l'Etat : " Sont nommés par décret du Président de la République : (...) Les membres du Conseil d'Etat (...) ". Aux termes de l'article L. 133-8 du code de justice administrative : " Pour chaque période de deux ans, un membre du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est nommé au grade de conseiller d'Etat en service ordinaire (...). / Chaque année, un membre du corps des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel est nommé au grade de maître des requêtes (...). Un autre membre de ce corps peut être nommé chaque année dans les mêmes conditions. / Les nominations prévues au présent article sont prononcées sur proposition du vice-président du Conseil d'Etat, délibérant avec les présidents de section, après avis du Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel. " Il ressort des pièces du dossier que, en application de ces dispositions, après qu'il a été procédé à un appel à candidatures auprès des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, le vice-président du Conseil d'Etat a proposé au Président de la République la nomination comme maître des requêtes au Conseil d'Etat de Mme C...B...et de M. D...A.... Le Président de la République a procédé à cette nomination par un décret du 17 juillet 2017. M.E..., membre du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives ayant répondu à l'appel à candidatures, demande l'annulation pour excès de pouvoir de ce décret ainsi que de la décision implicite par laquelle son recours gracieux a été rejeté.
Sur la compétence au sein de la juridiction administrative et la procédure devant le Conseil d'Etat :
2. Si, en vertu des dispositions de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, le Conseil d'Etat est compétent pour connaître en premier et dernier ressort des litiges relatifs au recrutement des agents publics nommés par décret du Président de la République, au nombre desquels figurent les membres du Conseil d'Etat, ces dispositions ne sauraient faire obstacle à l'application de la règle générale de procédure selon laquelle aucun membre d'une juridiction administrative ne peut participer au jugement d'un recours dirigé contre une décision administrative ou juridictionnelle dont il est l'auteur. Il en résulte que la formation de jugement d'un litige relatif à la nomination d'un membre du Conseil d'Etat ne peut être composée de membres du Conseil d'Etat ayant préparé ou pris des actes relatifs à ce litige. Dès lors, M. E...n'est pas fondé à soutenir que la compétence donnée en premier et dernier ressort au Conseil d'Etat par les dispositions de l'article R. 311-1 du code de justice administrative méconnaîtrait le droit à un procès équitable garanti par la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au seul motif que le vice-président du Conseil d'Etat, délibérant avec les présidents de section, est chargé de proposer les nominations prévues à l'article L. 133-8 du même code.
Sur les conclusions dirigées contre le décret du Président de la République du 17 juillet 2017 et contre le rejet implicite du recours gracieux contre ce décret :
3. En premier lieu, aux termes du deuxième alinéa de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur âge (...). " Toutefois, ni ces dispositions, ni le principe de non discrimination résultant de l'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne font obstacle à ce que, pour apprécier la qualité des candidats au grade de maître des requêtes, notamment au regard de l'objectif d'un déroulement de carrière suffisamment long au Conseil d'Etat aux grades successifs de maître des requêtes et de conseiller d'Etat, l'âge soit susceptible d'être pris en compte. Par suite, M. E...n'est pas fondé à soutenir que la lettre de la secrétaire générale du Conseil d'Etat du 1er février 2017 adressée à l'ensemble des premiers conseillers de tribunal administratif et de cour administrative d'appel pour les informer de la prochaine nomination de deux maîtres des requêtes aurait affecté la légalité de la procédure en ce qu'elle indique notamment que, au nombre des éléments susceptibles d'être pris en compte pour l'appréciation des candidats, figure " un âge permettant au candidat un déroulement de carrière satisfaisant au Conseil d'Etat ".
4. En deuxième lieu, contrairement à ce que soutient M.E..., aucune disposition ni aucun principe ne font obstacle à ce que le vice-président du Conseil d'Etat confie, ainsi qu'il l'a fait en l'espèce, à la présidente de la Mission permanente d'inspection des juridictions administratives le soin de l'assister pour l'appréciation des dossiers des membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives ayant fait acte de candidature dès lors que cette appréciation n'est qu'indicative et ne saurait contraindre la proposition que fera le vice-président délibérant avec les présidents de section.
5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que le bureau du Conseil d'Etat, qui réunit les présidents de section sous la présidence du vice-président du Conseil d'Etat, s'est prononcé sur les candidats dont la nomination a été proposée au Président de la République. Par suite, le moyen tiré de ce que le vice-président du Conseil d'Etat n'aurait pas arrêté la liste des candidats proposés après en avoir délibéré avec les présidents de section manque en fait.
6. En quatrième lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 133-8 du code de justice administrative citées au point 1 que s'il appartient au Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel de rendre son avis sur la proposition qu'a décidé de faire le vice-président délibérant avec les présidents de section, il ne lui appartient pas d'examiner les candidatures qui n'ont pas été retenues. Par suite, le moyen tiré de ce que l'avis rendu par le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel serait irrégulier faute qu'il ait été saisi de l'ensemble des candidatures présentées par les membres du corps des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ne peut qu'être écarté.
7. En cinquième lieu, il ressort des pièces du dossier que, contrairement à ce qui est soutenu, la commission supérieure du Conseil d'Etat a rendu un avis sur la proposition du vice-président délibérant avec les présidents de section, conformément aux dispositions de l'article L. 132-2 du code de justice administrative.
8. En sixième lieu, il ne résulte ni de l'article L. 133-8 du code de justice administrative, ni d'aucune autre disposition que le décret attaqué aurait dû être pris sur la proposition ou après avis du garde des sceaux, ministre de la justice. Par suite, M. E...ne saurait utilement soutenir que le décret attaqué serait illégal faute d'avoir été pris sur proposition ou après avis du garde des sceaux, ministre de la justice.
9. En septième lieu, il résulte des dispositions précitées de l'article L. 133-8 du code de justice administrative que s'il est loisible au Président de la République de ne pas procéder aux nominations que lui propose le vice-président du Conseil d'Etat, délibérant avec les présidents de section, il ne peut procéder à la nomination de candidats qui n'ont pas été proposés et n'a donc pas à être saisi des candidatures qui n'ont pas été retenues. Par suite, M. E...ne saurait utilement soutenir que le Président de la République aurait pris les décisions attaquées sans avoir eu connaissance de l'ensemble des candidatures.
10. En huitième lieu, si le requérant soutient que M. A...ne remplissait pas la condition de dix années de service public posée par l'article L. 133-4 du code de justice administrative, il ressort des pièces du dossier que ce moyen manque en fait.
11. En dernier lieu, si M. E...soutient que sa candidature a été abusivement écartée en raison de ses " démêlés passés avec le Conseil d'Etat " et de son âge, ces affirmations ne sont assorties d'aucun élément permettant d'en apprécier le bien-fondé.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. E...n'est pas fondé à demander l'annulation des décisions qu'il attaque. Sa requête, y compris, en tout état de cause, ses conclusions à fin d'injonction, doit donc être rejetée.
D E C I D E :
--------------
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. F...et à la garde des sceaux, ministre de la justice.