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27/03/2019 | FRANCE | N°424953

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 27 mars 2019, 424953


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...A...et Mme D...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 et mis à jour les 5 juin 2014, 10 avril 2015, 6 juillet et 2 novembre 2016 au bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP) sous la référence BOI-PAT-ISF-40-30-10-20 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 76

1-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. C...A...et Mme D...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir le paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 et mis à jour les 5 juin 2014, 10 avril 2015, 6 juillet et 2 novembre 2016 au bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP) sous la référence BOI-PAT-ISF-40-30-10-20 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes ;

- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...et Mme B...demandent l'annulation pour excès de pouvoir du paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 et mis à jour les 5 juin 2014, 10 avril 2015, 6 juillet 2016 et 2 novembre 2016 au bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP) sous la référence BOI-PAT-ISF-40-30-10-20.

2. En vertu du I de l'article 885-0 V bis du code général des impôts, dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 2017, le redevable de l'impôt de solidarité sur la fortune pouvait imputer sur sa cotisation due au titre de cette imposition une somme égale à 50 % des versements effectués entre la date limite de dépôt de la déclaration de l'année précédente et la date limite de dépôt de la déclaration de l'année en cause, au titre d'investissements réalisés dans une petite ou moyenne entreprise répondant notamment aux conditions définies au 1 bis de cet article. Toutefois, selon le e) du 1 bis de ce I, les actifs de la société bénéficiaire des investissements ne devaient pas être constitués " (...) de façon prépondérante de métaux précieux, d'oeuvres d'art, d'objets de collection, d'antiquités, de chevaux de course ou de concours ou, sauf si l'objet même de son activité consiste en leur consommation ou en leur vente au détail, de vins ou d'alcools ".

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi (...) doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques. Si le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce que le législateur édicte pour des motifs d'intérêt général des mesures d'incitation par l'octroi d'avantages fiscaux, c'est à la condition qu'il fonde son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose et que l'avantage fiscal consenti ne soit pas hors de proportion avec l'effet incitatif attendu.

5. En premier lieu, en excluant du bénéfice de la réduction d'impôt prévue par l'article 885-0 V bis du code général des impôts les investissements réalisés dans les petites et moyennes entreprises dont les actifs sont constitués de façon prépondérante par des vins ou alcools, sauf si l'objet même de l'activité de l'entreprise consiste en leur consommation ou en leur vente au détail, le législateur a entendu ne favoriser l'investissement que dans les seules entreprises ayant objectivement des besoins en capitaux eu égard au risque d'exploitation qui caractérise leur activité. En admettant le bénéfice de la réduction d'impôt pour les investissements réalisés dans les entreprises dont l'activité consiste en la consommation de vins et d'alcools ou leur vente au détail et en la refusant pour ceux réalisés dans les autres entreprises dont les actifs sont constitués, de façon prépondérante, de vins ou d'alcools, dont l'activité implique la conservation ou la valorisation d'actifs, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en rapport direct avec les objectifs qu'il entendait poursuivre. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe d'égalité devant la loi ne présente pas un caractère sérieux.

6. En deuxième lieu, si la loi opère une distinction, s'agissant du bénéfice de la réduction d'impôt prévue par l'article 885-0 V bis du code général des impôts, entre les contribuables selon que la société dans laquelle ils ont fait le choix d'investir relève ou non du champ de l'exception prévue par le e) du 1 bis du I de l'article 885-0 V bis du code général des impôts, cette différence de traitement repose, pour les motifs énoncés précédemment, sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec les objectifs poursuivis par le législateur. Il s'ensuit que le grief tiré de la méconnaissance du principe de l'égalité des contribuables devant les charges publiques ne présente pas un caractère sérieux. Il ne peut, par ailleurs, être utilement soutenu qu'en opérant une telle distinction, le législateur aurait porté atteinte à l'égalité des entreprises devant les charges publiques, dès lors que les entreprises susceptibles de bénéficier des investissements encouragés par les dispositions en cause ne sont pas les redevables de l'imposition et que leurs facultés contributives ne sont pas affectées par les dispositions de l'article 885-0 V bis du code général des impôts. Il s'ensuit, en tout état de cause, que le grief tiré de ce que ces dispositions contestées institueraient une présomption irréfragable de fraude pour certaines de ces entreprises ne peut être regardé comme présentant un caractère sérieux.

7. En troisième lieu, le grief tiré de ce que les dispositions du e) du 1 bis du I de l'article 885-0 V bis du code général des impôts méconnaîtraient l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

8. Il résulte de ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

Sur les autres moyens de la requête :

9. En premier lieu, en précisant que " restent éligibles au bénéfice de la réduction d'impôt, les souscriptions au capital de sociétés dont l'objet même de l'activité consiste en la consommation ou la vente au détail de vins ou d'alcools ", les énonciations du § 200 des commentaires attaqués se bornent à réitérer, sans y ajouter, les dispositions du e) du 1 bis du I de l'article 885-0 V bis du code général des impôts. Par suite, le moyen tiré de ce que ces énonciations auraient interprété de manière illégalement restrictive le champ des activités de vente de vins et d'alcools au titre desquelles l'investissement réalisé par le contribuable ouvre droit au bénéfice de la réduction d'impôt prévue par l'article 885-0 V bis ne peut qu'être écarté.

10. En second lieu, le e) du 1 bis du I de l'article 885-0 V bis du code général des impôts prend en compte, pour déterminer le champ des investissements susceptibles de bénéficier de la réduction d'impôt, le caractère prépondérant de certains biens dans les actifs de l'entreprise bénéficiaire des investissements. Pour l'application de ces dispositions, ce caractère prépondérant doit être compris comme signifiant que les actifs en cause représentent plus de la moitié du total des actifs de l'entreprise. Le législateur n'a pas fait de distinction selon la nature des actifs en cause et leur inscription dans un compte d'immobilisations ou dans un compte d'actif circulant.

11. Les énonciations du § 200 des commentaires attaqués précisent que " le caractère prépondérant des actifs en question s'apprécie de la façon suivante : / - lorsque les actifs visés figurent à l'actif immobilisé, ils ne doivent pas représenter plus de la moitié de la somme constituée du montant brut des immobilisations incorporelles et des immobilisations corporelles telles que définies par l'article 211-1 du plan comptable général (PCG) ; / - lorsque les actifs visés figurent à l'actif circulant, ils ne doivent pas représenter plus de la moitié du montant brut des stocks tels que définis par l'article 211-1 du PCG ; / - lorsque les actifs visés figurent pour partie à l'actif immobilisé et pour partie à l'actif circulant, ils ne doivent pas représenter plus de la moitié de la somme constituée des immobilisations incorporelles, des immobilisations corporelles et des stocks tels que définis par l'article 211-1 du PCG (...) ". En distinguant, pour apprécier si les actifs de la société bénéficiaire des investissements sont constitués de façon prépondérante de métaux précieux, d'oeuvres d'art, d'objets de collection, d'antiquités, de chevaux de course ou de concours ou de vins ou d'alcools, selon que les actifs ainsi mentionnés sont inscrits dans un compte d'immobilisations, dans un compte d'actif circulant ou concomitamment dans l'un et l'autre de ces comptes, alors que le e) du 1 bis du I de l'article 885-0 V bis du code général des impôts ne prévoit ni n'implique cette distinction selon la nature des actifs de la société bénéficiaire des investissements, les commentaires en litige ont étendu la portée de ces dispositions législatives et ainsi illégalement ajouté à la loi.

12. Il résulte de ce qui précède que M. A...et Mme B...sont seulement fondés à demander l'annulation, au paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 et mis à jour les 5 juin 2014, 10 avril 2015, 6 juillet 2016 et 2 novembre 2016 au bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP) sous la référence BOI-PAT-ISF-40-30-10-20, des mots : " Le caractère prépondérant des actifs en question s'apprécie de la façon suivante " ainsi que des trois paragraphes qui suivent et des exemples chiffrés n°1 à 3.

13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. A...et Mme B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. A...et MmeB....

Article 2 : Au paragraphe n° 200 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 et mis à jour les 5 juin 2014, 10 avril 2015, 6 juillet 2016 et 2 novembre 2016 au bulletin officiel des finances publiques - impôts (BOFiP) sous la référence BOI-PAT-ISF-40-30-10-20 les mots : " Le caractère prépondérant des actifs en question s'apprécie de la façon suivante " ainsi que les trois paragraphes qui suivent et les exemples chiffrés n° 1 à 3 sont annulés.

Article 3 : L'Etat versera à M. A...et Mme B...une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M.C... A..., à Mme D... B... et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 424953
Date de la décision : 27/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 27 mar. 2019, n° 424953
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Domingo
Rapporteur public ?: Mme Karin Ciavaldini

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:424953.20190327
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