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11/01/2019 | FRANCE | N°426227

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 janvier 2019, 426227


Vu la procédure suivante :

M. A...C...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner au préfet des Alpes-Maritimes la restitution de son passeport et de sa carte nationale d'identité en cours de validité ou de lui en délivrer de nouveaux, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 1804800 du 22 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa

demande.

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2018 au secré...

Vu la procédure suivante :

M. A...C...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Nice, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'ordonner au préfet des Alpes-Maritimes la restitution de son passeport et de sa carte nationale d'identité en cours de validité ou de lui en délivrer de nouveaux, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir. Par une ordonnance n° 1804800 du 22 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Par une requête, enregistrée le 12 décembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de décider que son ordonnance sera exécutoire dès qu'elle aura été rendue, en application de l'article R. 522-13 du code de justice administrative ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que, dépourvu de ses papiers d'identité, il se trouve dans une situation juridique de plus en plus précaire ;

- il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d'aller et venir dès lors que la décision lui refusant la restitution de ses papiers d'identité est dépourvue de base légale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 janvier 2019, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et qu'il n'est porté aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. B...et, d'autre part, le ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience du 4 janvier 2019 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Stoclet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- le représentant de M.B... ;

- la représentante du ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a décidé de reporter la clôture de l'instruction au mardi 8 janvier 2019 à 12 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 7 janvier 2019, par lequel M. B... conclut aux mêmes fins que sa requête ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 7 janvier 2019, par lequel le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de procédure civile ;

- le code général des impôts ;

- le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 ;

- le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 ;

- le décret n° 2016-1460 du 28 octobre 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale " ;

2. Il ressort des pièces du dossier que M. B...s'est vu délivrer par le tribunal d'instance de Nice, le 28 juin 2010, un certificat de nationalité française, en application de l'article 18 du code civil, aux termes duquel : " Est français l'enfant dont l'un des parents au moins est français ". A la suite de l'intervention de ce jugement, M. B...a obtenu une carte nationale d'identité, le 20 juillet 2010, et un passeport, le 1er février 2011. Toutefois, par un jugement du 18 novembre 2015, le tribunal de grande instance de Marseille, sur saisine du Procureur de la République a, d'une part, déclaré fondée la demande en annulation du certificat de nationalité délivré à M. B... et, d'autre part, constaté son extranéité. Ce jugement n'a pu être signifié à l'intéressé. Le ministre de la justice l'a transmis au ministre de l'intérieur, le 29 mars 2016, en l'informant de ce qu'il était devenu définitif. Le préfet des Alpes-Maritimes a alors décidé, le 31 mai 2016, de retirer les titres d'identité de M. B...et l'a convoqué à la préfecture afin que celui-ci les restitue. Le courrier de convocation étant revenu avec la mention " destinataire inconnu ", le préfet a procédé à l'invalidation informatique de la carte d'identité et du passeport de M. B...et a demandé l'inscription de ce dernier au fichier des personnes recherchées, afin qu'en cas de contrôle ces titres puissent lui être retirés. De fait, à la suite d'un contrôle par la police aux frontières de l'aéroport de Nice le 10 décembre 2017, le passeport et la carte nationale d'identité de M. B...lui ont été retirés. Celui-ci, ayant appris à cette occasion l'existence du jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 18 novembre 2015, a demandé au président de la cour d'appel d'Aix-en-Provence de le relever de la forclusion afin de pouvoir faire appel de ce jugement. Par une ordonnance en date du 30 mars 2018, le président de la cour d'appel de Marseille, après avoir constaté que l'huissier en charge de la signification du jugement avait entaché celle-ci d'irrégularité, a relevé de la forclusion encourue M.B..., qui a ainsi pu faire appel de ce jugement le 11 avril 2018. M.B..., se prévalant de l'effet suspensif de cet appel, a alors demandé au préfet des Alpes-Maritimes de lui restituer sa carte d'identité et son passeport, ou, à défaut, de lui délivrer de nouveaux titres. Devant le silence opposé par le préfet à cette demande, il a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nice, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui restituer ses titres ou de lui en délivrer de nouveaux. Par une ordonnance en date du 22 novembre 2018, dont M. B... relève appel, le juge des référés du tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.

Sur l'urgence :

3. Le juge des référés du tribunal administratif de Nice, pour rejeter la demande dont il était saisi, a estimé que la condition d'urgence exigée par l'article L. 521-2 n'était, en l'espèce, pas remplie. Il résulte cependant de l'instruction que M.B..., privé de ses titres d'identité français, n'est aujourd'hui titulaire que d'un passeport malgache, sans pouvoir justifier, en cas de contrôle, d'un titre de séjour en qualité d'étranger, ni pouvoir effectuer les actes de la vie courante. Il soutient, sans que ce point soit contesté par le ministre de l'intérieur, avoir dû renoncer à exercer, de ce fait, son activité professionnelle antérieure et être dans l'incapacité de retrouver un travail. Il indique également qu'il est, pour les mêmes raisons, empêché de se rendre à Madagascar, alors qu'il entend rechercher les documents prouvant sa filiation française, dans la perspective de la procédure pendante devant la cour d'appel de Marseille, puisqu'il risquerait de ne plus pouvoir revenir en France. Au regard de ces éléments, M. B...est fondé à soutenir que c'est à tort que le juge des référés a rejeté sa demande pour défaut d'urgence.

Sur l'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :

4. La décision initiale de retrait des titres prise par le préfet, auquel il avait été indiqué que le jugement du tribunal de grande instance de Marseille du 18 novembre 2015 revêtait un caractère définitif, ne saurait être regardée comme manifestement illégale. Il n'est, en revanche, pas contesté que l'appel qu'a pu finalement former M. B...contre ce jugement est suspensif de son exécution et prive, en principe, de fondement juridique le refus du préfet de restituer à l'intéressé sa carte d'identité et son passeport. Le ministre de l'intérieur soutient, il est vrai, d'une part, que l'invalidation informatique de ces documents dans le fichier des " titres électroniques sécurisés " serait irréversible et, d'autre part, qu'il ne serait possible de délivrer de nouveaux titre pour la durée restant à courir des titres initialement délivrés à M. B... que dans le cas du passeport, non dans celui de la carte d'identité. En effet, selon le ministre, si l'article 953 du code général des impôts prévoit une telle possibilité, pour le passeport, en cas d'" erreur imputable à l'administration ", il n'en va pas de même pour la carte d'identité, en l'absence de disposition analogue dans le décret du 22 octobre 1955 instituant la carte nationale d'identité. Toutefois, les dispositions de l'article 1er de ce décret, aux termes desquelles la carte nationale d'identité a une durée de validité de quinze ans lorsqu'elle est délivrée à une personne majeure, ne sauraient être interprétées comme faisant obstacle à ce qu'un tel titre soit délivré pour une durée inférieure dans le cas particulier où l'administration, tenue de restituer la carte d'identité qu'elle a retirée à son titulaire, ne peut, pour des raisons matérielles, procéder à cette restitution. Par suite, M. B...est fondé à soutenir qu'en s'abstenant de lui restituer sa carte d'identité et son passeport, ou, à défaut, de lui délivrer de nouveaux titres pour la durée restant à courir de ceux qui lui ont été retirés, le préfet des Alpes-Maritimes a porté une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté personnelle et à sa liberté d'aller et venir.

5. Il résulte de tout ce qui précède que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice doit être annulée. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de restituer à M. B...sa carte d'identité et son passeport ou, si une telle restitution se révèle impossible, de lui délivrer une carte d'identité et un passeport d'une durée de validité coïncidant avec la durée restant à courir des titres qui lui ont été retirés, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte, ni de décider que la présente ordonnance sera exécutoire aussitôt qu'elle aura été rendue. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. B...d'une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 22 novembre 2018 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de restituer à M. B...sa carte d'identité et son passeport ou, si une telle restitution se révèle impossible, de lui délivrer une carte d'identité et un passeport d'une durée de validité coïncidant avec la durée restant à courir des titres qui lui ont été retirés, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente ordonnance.

Article 3 : L'Etat versera à M. B...une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A...C...B...et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet des Alpes-Maritimes.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 426227
Date de la décision : 11/01/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 11 jan. 2019, n° 426227
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP MONOD, COLIN, STOCLET

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2019:426227.20190111
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