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26/12/2018 | FRANCE | N°425872

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 décembre 2018, 425872


Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, outre de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'une part, d'enjoindre au préfet de police de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile ainsi que le dossier à présenter à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de trois jours à compter de l'ordonnance à intervenir so

us astreinte de 100 euros par jour de retard et, d'autre part, d'enjoindr...

Vu la procédure suivante :

M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, outre de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire, d'une part, d'enjoindre au préfet de police de procéder à l'enregistrement de sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile ainsi que le dossier à présenter à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, dans un délai de trois jours à compter de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, d'autre part, d'enjoindre à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil et de lui verser l'allocation pour demandeur d'asile à titre rétroactif à compter de la date de sa suspension, dans un délai de trois jours à compter de l'ordonnance à intervenir sous astreinte de 50 euros par jour de retard. Par une ordonnance n° 1819800 du 3 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a admis M. B...à l'aide juridictionnelle provisoire, a enjoint au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile dans un délai de sept jours et a enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dans un délai de sept jours et de réexaminer sa demande tendant au paiement rétroactif de l'allocation pour demandeur d'asile dans un délai de quinze jours.

Par un recours, enregistré le 30 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'intérieur demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de rejeter la demande de première instance présentée par M.B....

Il soutient que :

- son appel n'est pas tardif, faute que l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris lui ait été notifiée ;

- la situation d'urgence dont se prévaut M. B...est imputable à sa propre attitude ;

- le préfet de police n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile de M. B...en refusant d'enregistrer sa demande d'asile au-delà du délai de six mois suivant l'acceptation de son transfert par l'Italie, le délai de transfert ayant été porté à dix-huit mois dès lors que l'intéressé doit être regardé comme en fuite au sens de l'article 29 du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- M. B...n'établit pas qu'il existerait une défaillance systémique dans la prise en charge des demandeurs d'asile par les autorités italiennes, ni qu'il aurait fait l'objet en Italie de mauvais traitements ou y aurait été dans l'impossibilité de bénéficier des garanties attachées à l'exercice du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 décembre 2018, M. B... conclut au rejet de la requête. Il soutient que :

- faute que le ministre de l'intérieur justifie que l'ordonnance du juge de référés du tribunal administratif ne lui aurait pas été notifiée, son appel devra être rejeté comme tardif ;

- M. B...ne saurait être considéré comme en fuite dès lors qu'il s'est présenté à trois convocations postérieurement à son refus d'embarquer et qu'en le plaçant en rétention sans justification dès le 24 avril 2018, l'administration ne peut être regardée comme ayant respecté les obligations qui sont les siennes dans le cadre d'un départ contrôlé ;

- il est exposé à un risque de traitement inhumain ou dégradant en cas de retour en Italie.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'intérieur et, d'autre part, M. B...;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du jeudi 20 décembre 2018 à 16 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'intérieur ;

- Me Bouzidi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;

- M.B..., assisté d'une interprète assermentée ;

- la représentante de M.B... ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au 21 décembre 2018 à 19 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 21 décembre 2018 avant la clôture de l'instruction, présenté par le ministre de l'intérieur, qui reprend les conclusions de son recours ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Vu la note en délibérée, enregistrée le 21 décembre 2018 après la clôture de l'instruction, présentée par la représentante de M.B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Le droit constitutionnel d'asile, qui a le caractère d'une liberté fondamentale, a pour corollaire le droit de solliciter le statut de réfugié. S'il implique que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande, ce droit s'exerce dans les conditions définies par les articles L. 741-1 et suivants du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'article L. 742-3 de ce code prévoit que l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat qui est responsable de cet examen en application des dispositions du règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013.

3. Il résulte de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 que le transfert peut avoir lieu pendant une période de six mois à compter de l'acceptation de la demande de prise en charge ou, le cas échéant, de la décision définitive sur le recours contre la décision de transfert, cette période étant susceptible d'être portée à dix-huit mois si l'intéressé " prend la fuite ". Aux termes de l'article 7 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 : " 1. Le transfert vers l'Etat responsable s'effectue de l'une des manières suivantes : a) à l'initiative du demandeur, une date limite étant fixée ; b) sous la forme d'un départ contrôlé, le demandeur étant accompagné jusqu'à l'embarquement par un agent de l'Etat requérant et le lieu, la date et l'heure de son arrivée étant notifiées à l'Etat responsable dans un délai préalable convenu : c) sous escorte, le demandeur étant accompagné par un agent de l'Etat requérant, ou par le représentant d'un organisme mandaté par l'Etat requérant à cette fin, et remis aux autorités de l'Etat responsable (...) ". Il résulte de ces dispositions que le transfert d'un demandeur d'asile vers un Etat membre qui a accepté sa prise ou sa reprise en charge, sur le fondement du règlement du 26 juin 2013, s'effectue selon l'une des trois modalités définies à l'article 7 cité ci-dessus : à l'initiative du demandeur, sous la forme d'un départ contrôlé ou sous escorte.

4. Il résulte clairement des dispositions mentionnées au point précédent que, d'une part, la notion de fuite doit s'entendre comme visant le cas où un ressortissant étranger se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative en vue de faire obstacle à une mesure d'éloignement le concernant. D'autre part, dans l'hypothèse où le transfert du demandeur d'asile s'effectue sous la forme d'un départ contrôlé, il appartient, dans tous les cas, à l'Etat responsable de ce transfert d'en assurer effectivement l'organisation matérielle et d'accompagner le demandeur d'asile jusqu'à l'embarquement vers son lieu de destination. Une telle obligation recouvre la prise en charge du titre de transport permettant de rejoindre l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile depuis le territoire français ainsi que, le cas échéant et si nécessaire, celle du pré-acheminement du lieu de résidence du demandeur au lieu d'embarquement. Enfin, dans l'hypothèse où le demandeur d'asile se soustrait intentionnellement à l'exécution de son transfert ainsi organisé, il doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 rappelées au point 3.

5. Il résulte de l'instruction que M.B..., ressortissant soudanais, a déclaré être entré irrégulièrement en France le 15 août 2017. Il a sollicité l'asile le 1er septembre 2017 et le relevé de ses empreintes a alors fait apparaître qu'il avait été précédemment identifié en Italie. Le 7 septembre 2017, l'administration française a saisi les autorités italiennes d'une demande de prise en charge, qui a été acceptée implicitement le 7 novembre 2017 en vertu de l'article 22 du règlement du 26 juin 2013. Par un arrêté du 16 février 2018, notifié le même jour à M.B..., le préfet de police a décidé son transfert vers l'Italie. M. B...a formé le 2 mars 2018 un recours contre cet arrêté, rejeté le 14 mars 2018 par le tribunal administratif de Paris. Le 6 mars 2018, M. B...a refusé l'aide au transfert proposée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration. Placé en rétention administrative le 25 avril 2018 en vue de son éloignement, M. B... n'a pas embarqué le 26 avril 2018 sur le vol à destination de Venise sur lequel une place lui avait été réservée. Le 27 avril 2018, les autorités italiennes ont été informées de la prolongation du délai de transfert à dix-huit mois à compter de leur accord, soit jusqu'au 7 mai 2019, en raison de la fuite de l'intéressé. M. B...a présenté une nouvelle demande d'enregistrement de sa demande d'asile le 24 octobre 2018, à laquelle un refus a été opposé. Le 2 novembre 2018, M. B...a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Paris d'un recours sollicitant, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, l'enregistrement de sa demande d'asile en procédure normale en raison de l'expiration du délai de six mois dans lequel la France pouvait procéder à son transfert. Par une ordonnance du 3 novembre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile dans un délai de sept jours et a enjoint à l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui rétablir le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dans un délai de sept jours et de réexaminer sa demande tendant au paiement rétroactif de l'allocation pour demandeur d'asile dans un délai de quinze jours. Eu égard aux moyens qu'il invoque et ainsi qu'il l'a confirmé à l'audience, le ministre de l'intérieur doit être regardé comme relevant appel de l'article 2 de cette ordonnance enjoignant au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de M. B...et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile dans un délai de sept jours.

6. Il résulte de ce qui est indiqué au point 4 que, dans l'hypothèse où l'administration a respecté les obligations qui sont les siennes dans l'organisation d'un départ contrôlé et où l'intéressé s'est soustrait intentionnellement à l'exécution de ce départ, puis a demandé à nouveau l'enregistrement de sa demande après l'expiration du délai de transfert de six mois, le demandeur doit être regardé comme en fuite au sens des dispositions de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013. Il résulte de l'instruction que l'administration a procédé à l'acheminement de M.B..., qui avait refusé l'aide qui lui avait été proposée par l'Office français de l'immigration et d'intégration pour l'exécution de son transfert, en vue de son embarquement vers l'Italie par un vol organisé le 26 avril 2018. Il résulte des termes de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris qu'à l'audience devant ce juge, le préfet de police, qui n'avait pas présenté de défense écrite, a fait valoir que M. B...avait alors refusé d'embarquer. M. B...a contesté lors de l'audience d'appel que son absence d'embarquement sur ce vol ait été due à son obstruction et le ministre de l'intérieur a admis, à la suite de cette audience, que le procès-verbal établi le 26 avril 2018 par l'agent de police judiciaire du groupe d'appui à l'éloignement qu'il avait versé en cause d'appel comportait des mentions ne correspondant pas aux instructions données et aux mesures prises à l'égard de l'intéressé quant au maintien de son placement en rétention à la suite de son absence d'embarquement. Ces éléments ne permettent toutefois pas de douter sérieusement que l'absence d'embarquement de M. B...soit due à son refus eu égard, d'une part, à la circonstance qu'il a constamment indiqué qu'il ne voulait pas retourner en Italie et n'a jamais contesté avant l'audience d'appel la matérialité de son refus d'embarquer, y compris dans ses écritures présentées devant le Conseil d'Etat avant l'audience, dans lesquelles il l'admettait au contraire et, d'autre part, que, nonobstant le caractère erroné des mentions du procès-verbal quant à la poursuite du placement en rétention de l'intéressé après son défaut d'embarquement, aucune des pièces versées au dossier ni aucun élément de l'instruction, écrite et orale, ne permet de supposer que l'absence d'embarquement de l'intéressé, qui disposait d'une place réservée à son nom sur ce vol et y avait été accompagné, avec l'instruction de le laisser libre en cas de refus d'embarquer, ait pu avoir un autre motif que le refus d'embarquer mentionné par le procès-verbal. Dans ces conditions, et alors même que M. B...a déféré aux convocations qui lui ont été faites par l'administration, y compris postérieurement au 26 avril 2018, le ministre de l'intérieur est fondé, en raison de l'obstruction qu'il a opposée le jour de son transfert, à estimer que M. B...était en fuite au sens de l'article 29 du règlement du 26 juin 2013 et à prolonger pour ce motif le délai de son transfert, sans qu'ait d'incidence sur l'appréciation de cette situation la circonstance, à la supposer établie, que son placement en rétention administrative la veille de son transfert n'ait pas été justifiée. C'est, dès lors, à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a jugé que M. B... n'était pas en fuite et pouvait se prévaloir du délai de six mois prévu par les dispositions du règlement précité.

7. Il appartient toutefois au juge des référés du Conseil d'Etat d'examiner, au titre de l'effet dévolutif de l'appel, les moyens présentés par M. B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris à l'appui de ses conclusions présentées contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. L'intéressé soutient qu'il ne peut être transféré en Italie en raison du risque de mauvais traitements et de renvoi au Soudan qu'il y court. Toutefois et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que les autorités italiennes seraient dans l'incapacité structurelle d'examiner la demande d'asile de M. B...et si celui-ci fait valoir qu'il a subi des mauvais traitements lors de son séjour en Italie, sans d'ailleurs indiquer qu'il aurait cherché à y déposer une demande d'asile, cette allégation ne peut, en l'état des éléments peu circonstanciés dont elle est assortie, suffire à caractériser le risque dont il se prévaut.

8. Il résulte de tout ce qui précède qu'en refusant d'enregistrer la demande d'asile de M. B...au motif que le délai de transfert n'était pas expiré, l'administration n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile de l'intéressé. Par suite, le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'article 2 de l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de M. B...et de lui délivrer l'attestation de demandeur d'asile dans un délai de sept jours et à demander, pour ce motif, l'annulation de cet article 2 de l'ordonnance attaquée et le rejet les conclusions présentées par M. B...contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'article 2 de l'ordonnance du 3 novembre 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. B...contre l'Etat sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et à M. A...B....


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 425872
Date de la décision : 26/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 déc. 2018, n° 425872
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP BOUZIDI, BOUHANNA

Origine de la décision
Date de l'import : 15/01/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:425872.20181226
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