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19/12/2018 | FRANCE | N°415241

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 19 décembre 2018, 415241


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 octobre 2017 et le 23 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI du Ruisseau, la SociétéB..., M. D...B..., Mme C...B...et M. A...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice sur leur recours gracieux tendant à l'abrogation de l'article L. 231-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 24 octobre 2017 et le 23 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la SCI du Ruisseau, la SociétéB..., M. D...B..., Mme C...B...et M. A...B...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice sur leur recours gracieux tendant à l'abrogation de l'article L. 231-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

2°) d'enjoindre au garde des sceaux d'abroger cet article L. 231-1 sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

3°) à titre subsidiaire de renvoyer, à titre préjudiciel, à la Cour européenne des droits de l'homme la question de la conventionalité de l'article L. 231-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et de surseoir à statuer jusqu'à la réception de son avis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;

- la loi n° 2013-1005 du 12 novembre 2003 ;

- l'ordonnance n° 2014-1345 du 6 novembre 2014 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Fanélie Ducloz, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des pièces du dossier que la SCI du Ruisseau et autres ont saisi le 28 juin 2017 le garde des sceaux, ministre de la justice d'une demande tendant à l'abrogation de l'article L. 231-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique issu de l'ordonnance du 6 novembre 2014 relative à la partie législative du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique prise sur le fondement de la loi du 12 novembre 2013 habilitant le Gouvernement à simplifier les relations entre l'administration et les citoyens. La SCI du Ruisseau et autres, dont les parcelles cadastrées section AN n° 414 et 416 sur la commune de Beauzelle ont fait l'objet d'une ordonnance d'expropriation du tribunal de grande instance de Toulouse du 17 août 2017 frappée d'appel, demandent l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur leur demande.

2. En premier lieu, l'article 38 de la Constitution dispose, dans son premier alinéa, que le gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, " pendant un délai limité ", des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Selon le deuxième alinéa de l'article 38, les ordonnances sont prises en Conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Cet alinéa précise qu'elles entrent en vigueur dès leur publication et deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement " avant la date fixée par la loi d'habilitation ". En vertu du troisième alinéa de l'article 38 de la Constitution, à l'expiration du délai consenti par la loi d'habilitation, " les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'une ordonnance prise sur le fondement de l'article 38 de la Constitution conserve, aussi longtemps que le Parlement ne l'a pas ratifiée, le caractère d'un acte administratif. Cependant, celles de ses dispositions qui relèvent du domaine de la loi ne peuvent plus, après l'expiration du délai de l'habilitation conférée au gouvernement, être modifiées ou abrogées que par le législateur ou sur le fondement d'une nouvelle habilitation qui serait donnée au gouvernement. Dès lors, si l'autorité compétente, saisie d'une demande tendant à l'abrogation d'un règlement illégal, est tenue d'y déférer, soit que ce règlement ait été illégal dès la date de sa signature, soit que l'illégalité résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures à cette date, l'expiration du délai fixé par la loi d'habilitation fait obstacle à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire fasse droit à une demande d'abrogation portant sur les dispositions d'une ordonnance relevant du domaine de la loi.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'habilitation donnée au pouvoir réglementaire pour prendre des mesures nécessaires à la modification du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique a cessé de produire effet le 30 novembre 2014. L'article L. 231-1 de ce code étant issu de l'ordonnance du 6 novembre 2014 prise sur le fondement de cette habilitation et non ratifiée, et relevant du domaine de la loi en ce qu'il fixe le délai offert aux personnes expropriées pour quitter les lieux, la demande par laquelle la SCI du Ruisseau et autres ont, le 28 juin 2017, sollicité l'abrogation de ce texte, ne peut, quels qu'en soient les motifs, être accueillie. Si les requérants soutiennent que l'absence de ratification par le Parlement, au-delà d'un délai raisonnable, des dispositions prises par ordonnance est de nature à porter atteinte au principe de sécurité juridique dans la mesure où il ne permet pas la saisine du Conseil constitutionnel d'une question prioritaire de constitutionnalité, un tel moyen ne peut être utilement soulevé devant le juge administratif à l'encontre de la décision implicite de rejet de leur demande d'abrogation par le garde des sceaux, ministre de la justice des dispositions de l'article L. 231-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer en renvoyant une question préjudicielle à la Cour européenne des droits de l'homme, que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision attaquée.

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de la SCI du Ruisseau et autres est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la SCI du Ruisseau, première dénommée pour l'ensemble des requérants, au Premier ministre et à la garde des sceaux, ministre de la justice.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 415241
Date de la décision : 19/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 déc. 2018, n° 415241
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Fanélie Ducloz
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 25/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415241.20181219
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