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11/12/2018 | FRANCE | N°425230

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 11 décembre 2018, 425230


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. Romain Vuillaume demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 17 octobre 2018 par lequel le Président de la République lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code

de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est rem...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 6 novembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. Romain Vuillaume demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret du 17 octobre 2018 par lequel le Président de la République lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est remplie dès lors que la décision d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois, le laissant sans salaire pendant toute cette période avec une famille à charge, a une incidence grave, immédiate et durable sur sa situation financière ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité de la décision contestée ;

- la décision contestée est insuffisamment motivée en ce qu'elle est constituée d'affirmations générales imprécises ne le mettant pas en mesure de comprendre les motifs de la sanction ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance du principe d'impartialité dès lors que la présidente de la commission et un des membres, qui avaient participé à l'engagement de la procédure disciplinaire, avaient déjà une opinion tranchée et l'ont exprimée sans nuance au cours de la réunion de la commission administrative paritaire ;

- elle a été prise au terme d'une procédure irrégulière en méconnaissance des droits de la défense en ce que, dans un premier temps, la lettre de convocation à la réunion de la commission administrative paritaire lui a été remise en main propre et non par voie postale, dans un deuxième temps, à la suite de cette réunion de la commission, il est resté un an sans nouvelle, ce qui l'a laissé dans une situation incertaine angoissante, dans un troisième temps, il n'a pas reçu les documents utiles à sa défense lui permettant de vérifier quels visas étaient contestés et pourquoi et, enfin, il ne lui avait pas été communiqué qu'un témoin était convoqué pour la commission administrative paritaire ;

- il n'existe pas de faits permettant de caractériser une faute de nature à justifier une sanction dès lors que, d'une part, les lacunes et insuffisances du rapport disciplinaire révèlent l'absence de preuve dont dispose l'administration pour étayer ses allégations alors même que de nombreuses autorités ont reconnu la qualité et efficacité de son travail, et que, d'autre part, M. A...s'étant toujours contenté d'obéir aux ordres non manifestement illégaux de sa hiérarchie en prenant les mesures nécessaires pour assurer la délivrance des visas selon les règles prévues et n'ayant délivré qu'un seul visa en situation de conflit d'intérêt, son comportement ne saurait être constitutif d'une faute ;

- la sanction retenue est disproportionnée à la gravité des faits dans la mesure où, d'une part, elle lui porte un préjudice excessif et, d'autre part, elle ne prend pas en considération le contexte très difficile dans lequel s'est déroulée sa mission.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 novembre 2018, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête. Il soutient que, d'une part, la condition d'urgence n'est pas remplie et, d'autre part, les moyens soulevés par M. A... ne sont pas propres à créer un doute sérieux quant à la légalité des décisions attaquées.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le règlement européen n° 810/2009 du Parlement européen et du Conseil du 13 juin 2009 établissant un code communautaire des visas ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 modifiée portant droits et obligations des fonctionnaires ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat ;

- le décret n° 69-222 du 6 mars 1969 modifié relatif au statut particulier des agents diplomatiques et consulaires ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 modifié relatif à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de l'Etat ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, M. Romain Vuillaume et, d'autre part, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 3 décembre 2018 à 11 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... ;

- M.A... ;

- la représentante du ministre de l'Europe et des affaires étrangères ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ". Il résulte de ces dispositions que le prononcé de la suspension d'un acte administratif est subordonné notamment à une condition d'urgence justifiant l'intervention de mesures provisoires ordonnées en référé dans l'attente du jugement de la requête au fond. L'urgence justifie la suspension de l'exécution d'un acte administratif lorsque celui-ci porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre.

2. Il ressort de l'instruction que M. Romain Vuillaume, conseiller des affaires étrangères, a exercé les fonctions de premier conseiller de l'ambassade à Bangui en République centrafricaine du 24 août 2011 au 9 septembre 2015. A cette date, M. A...a été affecté au poste de rédacteur, adjoint au porte-parole, au sein de la direction de la communication du ministère de l'Europe et des affaires étrangères. M. A...a été informé, par une lettre du 24 août 2017, du fait que le ministère de l'Europe et des affaires étrangères engageait une procédure disciplinaire à son encontre. Le 14 septembre 2017, la commission administrative paritaire a voté à l'unanimité la proposition de sanction proposée par l'administration puis, par un décret du 17 octobre 2018, le Président de la République lui a infligé la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois. M. A...demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution de ce décret.

Sur la condition d'urgence :

3. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que l'exécution du décret du 17 octobre 2018 exclut temporairement M. A...de ses fonctions pour une durée de six mois avec suspension de sa rémunération pendant cette période. Une telle mesure le prive, lui et sa famille, de ressources financières, alors même qu'il fait face à des charges incompressibles et que sa compagne est en recherche d'emploi. Elle porte ainsi une atteinte suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant. Si le ministre de l'Europe et des affaires étrangères soutient que, d'une part, la situation de l'intéressé lui serait imputable dès lors qu'il avait la possibilité de chercher une autre source de rémunération pour pallier cette suspension de traitement, et que, d'autre part, l'intérêt général impliquerait la nécessité de responsabilisation des agents publics qui, tels M.A..., sont tenus à devoir d'exemplarité, ces éléments ne sont pas, dans les circonstances de l'espèce, de nature à retirer à la situation son caractère d'urgence. Il suit de là que la condition tenant à l'urgence au sens de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, est en l'espèce remplie.

Sur l'existence d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, une doute sérieux quant à la légalité du décret attaqué :

4. L'administration impute au requérant la délivrance " personnelle et directe " de 72 visas irréguliers parmi les 730 examinés au cours de l'enquête. M. A...fait valoir que la procédure disciplinaire le visant a méconnu les droits de la défense, en ce qu'il n'aurait eu accès ni aux dossiers individuels des personnes auxquelles il aurait accordé un visa à tort, ni même aux fiches d'analyse de ces dossiers établies par l'administration centrale, mais seulement au rapport d'enquête global établi sur la base de ces fiches d'analyse. Ce point n'est pas contesté par l'administration, qui soutient qu'il appartenait au requérant de demander l'accès à ces dossiers. Mais il résulte de l'instruction et des échanges lors de l'audience que le requérant, dans ses observations en défense présentées en amont du conseil de discipline, a expressément fait valoir que la communication du rapport de l'enquête administrative ne pouvait suffire à la préparation de sa défense alors que le refus de l'administration rendait impossible, tant à lui-même qu'au conseil de discipline, l'identification et la vérification des irrégularités alléguées pour chacun des visas mis en cause. Ces propos impliquaient clairement une demande de communication de ces dossiers qui n'a été suivie d'aucun effet. Si l'envoi de ces derniers n'était matériellement pas envisageable eu égard à leur nombre, il appartenait à l'administration de signaler au requérant en quel lieu et à quels horaires il pouvait y accéder alors, en outre, que l'envoi des fiches d'analyse de ces dossiers, sous forme d'un simple fichier électronique, d'ailleurs produit par le ministre de l'Europe et des affaires étrangères au cours de l'instruction, ne posait pas de difficulté matérielle. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence de communication de ces fiches d'analyses et de mise à disposition des dossiers individuels de visas litigieux, le moyen tiré du non respect des droits de la défense doit être regardé, en l'état de l'instruction, comme étant propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la sanction prononcée. Et l'autre motif tiré d'un unique visa délivré irrégulièrement à un mineur membre de la famille de sa compagne n'aurait pas suffi à justifier, à lui seul, la sanction de suspension sans traitement pendant six mois.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à demander la suspension de la décision qu'il conteste.

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. A...d'une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : L'exécution du décret du Président de la République du 17 octobre 2018 ayant infligé à M. A...la sanction d'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur les conclusions de ce dernier tendant à l'annulation de cette décision.

Article 2 : L'Etat versera à M. A...une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. Romain Vuillaume et au ministre de l'Europe et des affaires étrangères.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 425230
Date de la décision : 11/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 11 déc. 2018, n° 425230
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:425230.20181211
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