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07/12/2018 | FRANCE | N°414928

France | France, Conseil d'État, 2ème - 7ème chambres réunies, 07 décembre 2018, 414928


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 octobre 2017 et 9 janvier et 19 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Agence mondiale antidopage demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 8 mars 2017 de l'Agence française de lutte contre le dopage prononçant la relaxe de M. B...A...;

2°) d'infliger à M. A...une sanction d'exclusion de deux ans des compétitions, manifestations et entraînements organisés par la fédération à laquelle il appartient et d

'étendre cette sanction aux fédérations voisines ;

3°) à défaut, d'enjoindre à l'Age...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 9 octobre 2017 et 9 janvier et 19 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Agence mondiale antidopage demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 8 mars 2017 de l'Agence française de lutte contre le dopage prononçant la relaxe de M. B...A...;

2°) d'infliger à M. A...une sanction d'exclusion de deux ans des compétitions, manifestations et entraînements organisés par la fédération à laquelle il appartient et d'étendre cette sanction aux fédérations voisines ;

3°) à défaut, d'enjoindre à l'Agence de se prononcer à nouveau sur son cas ;

4°) d'ordonner la publication de la décision du Conseil d'Etat aux bulletins visés à l'article 3 de la décision attaquée ;

5°) de mettre à la charge de l'Agence française de lutte contre le dopage une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu :

- le code du sport ;

- la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2015-1685 du 16 décembre 2015 ;

- la décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018 du Conseil constitutionnel ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Yves Doutriaux, conseiller d'Etat,

- les conclusions de Mme Sophie Roussel, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de l'Agence mondiale antidopage, à la SCP Leduc, Vigand, avocat de M. A... et à la SCP Matuchansky, Poupot, Valdelièvre, avocat de l'Agence française de lutte contre le dopage ;

1. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 61-1 de la Constitution : " Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation (...) " ; qu'aux termes du deuxième alinéa de son article 62 : " Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause " ; qu'enfin, aux termes du troisième alinéa du même article : " Les décisions du Conseil constitutionnel ne sont susceptibles d'aucun recours. Elles s'imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles " ;

2. Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 62 de la Constitution que lorsque le Conseil constitutionnel, saisi sur le fondement de l'article 61-1, use du pouvoir que lui confèrent les dispositions de l'article 62 en déterminant, après avoir déclaré inconstitutionnelle une disposition législative, les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause, il appartient au juge administratif, saisi d'un litige relatif aux effets produits par la disposition déclarée inconstitutionnelle, de les remettre en cause en écartant, pour la solution de ce litige, le cas échéant d'office, cette disposition, dans les conditions et limites fixées par le Conseil constitutionnel ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M.A..., licencié par la Fédération française de Kick boxing, muay thaï et disciplines associées, a été soumis dans la nuit du 12 au 13 mai 2016 à un contrôle antidopage à l'issue d'une manifestation sportive dénommée " La nuit des Titans " qui se déroulait à Tours (Indre-et-Loire) ; que les résultats de ce contrôle ont fait ressortir la présence, à une concentration estimée à 54 nanogrammes par millilitre, de furosémide, substance qui appartient à la classe des diurétiques et agents masquants et qui est inscrite comme substance interdite sur la liste annexée au décret du 16 décembre 2015 portant publication de l'amendement à l'annexe I de la convention internationale contre le dopage dans le sport adopté à Paris le 6 novembre 2015 ; que, par une décision du 17 mai 2016, l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de la Fédération française de Kick boxing, muay thaï et disciplines associées a infligé à M. A...la sanction de l'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération et a demandé à l'Agence française de lutte contre le dopage d'étendre les effets de cette interdiction aux activités de l'intéressé pouvant relever d'autres fédérations ; que, sur le fondement du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport, le collège de l'Agence française de lutte contre le dopage a décidé, le 15 septembre 2016, de se saisir de sa propre initiative des faits relevés à l'encontre de M. A...; que, par une décision du 8 mars 2017, dont l'Agence mondiale antidopage demande l'annulation, le collège de l'Agence, a relaxé l'intéressé ; que l'Agence mondiale antidopage demande au Conseil d'Etat d'annuler cette décision et de se substituer à l'Agence française de lutte contre le dopage en prononçant une sanction à l'encontre de M. A...ou de lui enjoindre de se prononcer à nouveau sur sa situation ;

4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 232-22 du code du sport : " En cas d'infraction aux dispositions des articles L. 232-9, L. 232-9-1, L. 232-10, L. 232-14-5, L. 232-15, L. 232-15-1 ou L. 232-17, l'Agence française de lutte contre le dopage exerce un pouvoir de sanction dans les conditions suivantes : / (...) 3° Elle peut réformer les décisions prises en application de l'article L. 232-21. Dans ces cas, l'agence se saisit, dans un délai de deux mois à compter de la réception du dossier complet, des décisions prises par les fédérations agréées " ;

5. Considérant que, par sa décision n° 2017-688 QPC du 2 février 2018, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les dispositions du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport ; que, s'il a reporté au 1er septembre 2018 la date de l'abrogation de ces dispositions et a décidé qu'il y avait lieu de juger que " pour préserver le rôle régulateur confié par le législateur à l'agence française de lutte contre le dopage jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu'au 1er septembre 2018, le 3° de l'article L. 232-22 du code du sport impose à l'agence française de lutte contre le dopage de se saisir de toutes les décisions rendues en application de l'article L. 232-21 du même code postérieurement à la présente décision et de toutes les décisions rendues antérieurement à cette décision dont elle ne s'est pas encore saisie dans les délais légaux ", il a expressément jugé que " la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans toutes les instances relatives à une décision rendue sur le fondement de l'article L. 232-21 dont l'agence s'est saisie en application des dispositions contestées et non définitivement jugées à la date de la présente décision " ;

6. Considérant que l'instance engagée par l'Agence mondiale antidopage avant que n'intervienne la décision du Conseil constitutionnel n'était pas définitivement jugée à la date de cette décision ; que l'Agence mondiale antidopage peut dès lors, conformément à ce qu'a jugé le Conseil constitutionnel, invoquer l'inconstitutionnalité des dispositions du 3° de l'article L. 232-22 du code du sport ; qu'elle est en conséquence fondée à demander l'annulation de la décision de l'Agence française de lutte contre le dopage qu'elle attaque, qui a été prise sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution ;

7. Considérant qu'en l'espèce l'irrégularité des conditions dans lesquelles l'Agence française de lutte contre le dopage s'est saisie des manquements imputés à M. A...l'empêche de statuer à nouveau sur cette affaire ; que, si l'Agence mondiale antidopage peut, en vertu du second alinéa de l'article L. 232-24 du code du sport, saisir le Conseil d'Etat d'un recours, qui a la nature d'un recours de pleine juridiction, contre l'une des décisions de l'Agence française de lutte contre le dopage prises en application de l'article L. 232-22 du même code, il n'appartient pas au Conseil d'Etat, dans les circonstances de l'espèce, après avoir annulé pour irrégularité la décision prise par l'Agence française de lutte contre le dopage, de se substituer à cette Agence pour apprécier s'il y a lieu d'infliger à l'intéressé une sanction à raison des faits reprochés à M. A...; que, par suite, les conclusions présentées par l'Agence mondiale antidopage tendant à ce que le Conseil d'Etat inflige lui-même une sanction à M. A...à raison de l'ensemble des circonstances du contrôle antidopage effectué dans la nuit du 12 au 13 mars 2016 ou, subsidiairement, à ce qu'il soit enjoint à l'Agence française de lutte contre le dopage de se prononcer à nouveau sur la situation de l'intéressé et à ce qu'il fasse procéder à la publication de la décision de sanction dans des publications sportives doivent être rejetées ;

8. Considérant, toutefois, que l'annulation par la présente décision de la décision du 8 mars 2017 de l'Agence française de lutte contre le dopage fait revivre la décision du 17 mai 2016 de l'organe disciplinaire de première instance de lutte contre le dopage de la Fédération française de Kick boxing, muay thaï et disciplines associées qui a prononcé à l'encontre de M. A...la sanction de l'interdiction de participer pendant deux ans aux manifestations sportives organisées ou autorisées par cette fédération ; qu'à la date à laquelle l'Agence française de lutte contre le dopage s'était autosaisie de la procédure disciplinaire contre M.A..., le délai de recours dont disposait l'Agence mondiale antidopage pour contester la sanction prononcée par l'organe disciplinaire de première instance de la fédération n'était pas expiré ; que, par suite, le délai de recours contentieux contre la décision de sanction prise par l'organe disciplinaire de première instance de la fédération court à nouveau à l'égard de l'Agence mondiale antidopage à compter de la notification de la présente décision ; qu'il appartient le cas échéant à l'Agence mondiale antidopage, si elle s'y croit fondée, d'introduire un recours contentieux contre cette décision ;

9. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'Agence française de lutte contre le dopage et de l'Agence mondiale antidopage au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur le fondement de ces dispositions par la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de M. A... ;

D E C I D E :

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Article 1er : La décision du 8 mars 2017 de l'Agence française de lutte contre le dopage est annulée.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'Agence mondiale antidopage, à l'Agence française de lutte contre le dopage, à M. B...A... et à la Fédération française de Kick boxing, muay thaï et disciplines associées. Copie en sera adressée à la ministre des sports.


Synthèse
Formation : 2ème - 7ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 414928
Date de la décision : 07/12/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 07 déc. 2018, n° 414928
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Yves Doutriaux
Rapporteur public ?: Mme Sophie Roussel
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE ; SCP MATUCHANSKY, POUPOT, VALDELIEVRE ; SCP LEDUC, VIGAND

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:414928.20181207
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