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21/11/2018 | FRANCE | N°405409

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 21 novembre 2018, 405409


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 30 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 novembre 2016 de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat et du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt portant dérogation, pour les départements des Vosges et de Meurthe-et-Moselle, à une disposition de l'arrêté

du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lu...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 30 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 novembre 2016 de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat et du ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt portant dérogation, pour les départements des Vosges et de Meurthe-et-Moselle, à une disposition de l'arrêté du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761- 1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup (Canis lupus) ;

- l'arrêté du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Laurence Franceschini, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Eu égard à son objet statutaire et à la nature du litige, l'Association de secours et de placement des animaux Vosges justifie d'un intérêt suffisant à l'annulation de la décision attaquée. Par suite, son intervention est admise.

2. Aux termes du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvage, dite " directive habitats " : " Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation (...) d'espèces animales non domestiques (...) et de leurs habitats, sont interdits : 1° (...) la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces (...) ". L'article L. 411-2 du même code, également pris pour la transposition de la directive habitats, prévoit que : " Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : 1° La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques (...) ainsi protégés ; 2° La durée et les modalités de mise en oeuvre des interdictions prises en application du I de l'article L. 411-1 ; 3° La partie du territoire sur laquelle elles s'appliquent (...) ; 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage (...) et à d'autres formes de propriété ".

3. Les articles R. 411-1 et R. 411-2 du code de l'environnement, pris pour l'application de ces dispositions législatives, renvoient à un arrêté conjoint des ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture le soin de fixer la liste des espèces animales non domestiques faisant l'objet des interdictions définies à l'article L. 411-1 du même code. Le loup (Canis lupus) fait partie des mammifères terrestres protégés dont la liste est fixée par l'arrêté du 23 avril 2007 sur le fondement de ces dispositions. Par ailleurs, l'article R. 411-13 du code de l'environnement dispose que les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent par arrêté conjoint pris après avis du Conseil national de la protection de la nature : "1° Les modalités de présentation et la procédure d'instruction des demandes de dérogations (...) ; 2° Si nécessaire, pour certaines espèces dont l'aire de répartition excède le territoire d'un département, les conditions et limites dans lesquelles les dérogations sont accordées afin de garantir le respect des dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. ".

4. Dans le cadre juridique qui vient d'être rappelé, l'article 2 de l'arrêté du 30 juin 2015 fixant les conditions et limites dans lesquelles des dérogations aux interdictions de destruction peuvent être accordées par les préfets concernant le loup prévoit que le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction est autorisée, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets, est fixé chaque année par arrêté ministériel. Par ailleurs, cet arrêté encadre les conditions dans lesquelles il peut être recouru, sur autorisation préfectorale, à des tirs pour défendre les troupeaux, dits tirs de défense, ainsi qu'à des tirs dits de prélèvement. En application de ces dispositions, un arrêté ministériel du 5 juillet 2016 fixe à trente-six le nombre maximum de spécimens de loups dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017, en application de l'ensemble des dérogations qui pourront être accordées par les préfets. Le II de son article 2 prévoit toutefois qu'à compter de la date à laquelle trente deux spécimens de loups auront été détruits dans le cadre des dérogations accordées par les préfets, ou du fait d'actes de destruction volontaires, les tirs de prélèvement décrits aux articles 23 à 34 de l'arrêté du 30 juin 2015 susvisé seront interdits, seule la mise en oeuvre de tirs de défense pouvant continuer à être autorisée.

5. L'article 1er de l'arrêté attaqué du 28 novembre 2016 portant dérogation, pour les départements des Vosges et de Meurthe-et-Moselle, à l'arrêté du 5 juillet 2016 prévoit que " jusqu'à la date éventuelle à laquelle un spécimen de loups aura été détruit dans le cadre de la dérogation accordée par le préfet des Vosges ou le préfet de Meurthe-et-Moselle, l'interdiction mentionnée au premier alinéa du II de l'alinéa 2 de l'arrêté du 5 juillet 2016 susvisé ne s'applique pas dans ces départements ". L'Association pour la protection des animaux sauvages demande au Conseil d'Etat l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté.

6. Il résulte, d'une part, des dispositions de l'article R. 133-1 du code de l'environnement alors en vigueur que le Conseil national de la protection de la nature, qui est placé auprès du ministre chargé de la protection de la nature, a notamment pour missions d'éclairer l'administration sur les conditions de préservation et de restauration de la diversité de la faune sauvage et des habitats naturels et d'étudier les mesures réglementaires et les travaux scientifiques afférents. D'autre part, les dispositions de l'article R. 411-13 du même code, rappelées au point 3, imposent de consulter cet organe préalablement à l'édiction des arrêtés conjoints par lesquels les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture fixent les conditions et limites dans lesquelles les dérogations à l'interdiction de destruction des espèces protégées sont accordées.

7. L'arrêté attaqué a pour objet, dans les départements de la Meurthe-et-Moselle et des Vosges, de modifier, en les assouplissant, les conditions et limites réglementaires de mise en oeuvre des tirs de prélèvement prévues par le II de l'article 2 de l'arrêté du 5 juillet 2016 précité. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent qu'il devait être soumis à l'avis du Conseil national de la protection de la nature préalablement à son édiction.

8. Il est constant que le Conseil national de la protection de la nature n'a pas été consulté avant la signature de l'arrêté attaqué. Eu égard à l'objet et à la portée de cet arrêté et compte tenu des missions dévolues au Conseil national de protection de la nature, l'omission de la consultation de cet organe doit être regardée, dans les circonstances de l'espèce, comme ayant été susceptible d'exercer une influence sur le contenu des dispositions attaquées et de nature à priver le public d'une garantie. Par suite, l'arrêté attaqué est intervenu au terme d'une procédure irrégulière.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'ASPAS est fondée, pour ce motif, à demander l'annulation de l'arrêté qu'elle attaque.

10. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par l'ASPAS qui n'a pas eu recours au ministère d'un avocat et n'a pas justifié des frais qu'elle aurait exposés, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : L'intervention de l'Association de secours et de placement des animaux Vosges est admise.

Article 2 : L'arrêté du 28 novembre 2016 portant dérogation, pour les départements des Vosges et de Meurthe-et-Moselle, à une disposition de l'arrêté du 5 juillet 2016 fixant le nombre maximum de spécimens de loups (Canis lupus) dont la destruction pourra être autorisée pour la période 2016-2017, est annulé.

Article 3 : Le surplus des conclusions de l'Association pour la protection des animaux sauvages est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à l'Association pour la protection des animaux sauvages, à l'Association de secours et de placement des animaux Vosges, au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 405409
Date de la décision : 21/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 21 nov. 2018, n° 405409
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Laurence Franceschini
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:405409.20181121
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