La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/10/2018 | FRANCE | N°414484

France | France, Conseil d'État, 6ème chambre, 19 octobre 2018, 414484


Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 414484, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 septembre et 18 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A...B...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire JUSB1719538C du 17 juillet 2017 de la garde des sceaux, ministre de la justice, relative à l'organisation de l'élection annuelle 2017 des juges des tribunaux de commerce ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice

administrative.

2° Sous le n° 414789, par une requête sommaire et un mémoire com...

Vu les procédures suivantes :

1° Sous le n° 414484, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 21 septembre et 18 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. A...B...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la circulaire JUSB1719538C du 17 juillet 2017 de la garde des sceaux, ministre de la justice, relative à l'organisation de l'élection annuelle 2017 des juges des tribunaux de commerce ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 900 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 414789, par une requête sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 2 octobre et 3 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, M. D...C...demande au Conseil d'État :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir la même circulaire ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 ;

- le code de commerce ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

- les arrêts C-159/10, C-160/10 du 21 juillet 2011 et C-286/12 du 6 novembre 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne ;

- la décision du 28 décembre 2017 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux n'a pas renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B...et M. C...;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Coralie Albumazard, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de M.C....

Considérant ce qui suit :

1. Le d du 3° du I de l'article 95 de la loi du 6 août 2015 de modernisation de la justice du XXIe siècle a ajouté à l'article L. 723-7 du code de commerce l'alinéa suivant : " Les juges des tribunaux de commerce ne peuvent siéger au-delà de l'année civile au cours de laquelle ils ont atteint l'âge de soixante-quinze ans. " Aux termes du XII de l'article 114 de la même loi : " Le d du 3° du I de l'article 95 entre en vigueur le 31 décembre 2017 ". Le 17 juillet 2017, la garde des sceaux, ministre de la justice, a adressé aux préfets de département, aux premiers présidents des cours d'appel et aux procureurs généraux près ces cours une circulaire relative à l'organisation de l'élection annuelle 2017 des juges des tribunaux de commerce tirant les conséquences, notamment, des modifications issues de ces articles. MM. B...et C...demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette circulaire. Il y a donc lieu de joindre leurs requêtes pour statuer par une seule décision.

2. L'interprétation que par voie, notamment, de circulaires ou d'instructions l'autorité administrative donne des lois et règlements qu'elle a pour mission de mettre en oeuvre n'est pas susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu'en soit le bien-fondé, faire grief. En revanche, les dispositions impératives à caractère général d'une circulaire ou d'une instruction doivent être regardées comme faisant grief. Le recours formé à leur encontre doit être accueilli si ces dispositions fixent, dans le silence des textes, une règle nouvelle entachée d'incompétence ou si, alors même qu'elles ont été compétemment prises, il est soutenu à bon droit qu'elles sont illégales pour d'autres motifs. Il en va de même s'il est soutenu à bon droit que l'interprétation qu'elles prescrivent d'adopter, soit méconnaît le sens et la portée des dispositions législatives ou réglementaires qu'elle entendait expliciter, soit réitère une règle contraire à une norme juridique supérieure.

3. En premier lieu, si l'article L. 312-2 du code des relations entre le public et l'administration imposait la publication de la circulaire attaquée, faite au bulletin officiel du ministère de la justice du 31 juillet 2017, il ne résulte d'aucun principe ni d'aucune disposition législative ou réglementaire que celle-ci aurait dû être notifiée aux juges consulaires atteints par la limite d'âge au cours de l'année 2017.

4. En deuxième lieu, la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail a pour objet, en vertu de ses articles 1er et 2, de proscrire les discriminations professionnelles directes et indirectes, y compris les discriminations fondées sur l'âge, notamment dans les conditions d'accès à l'emploi, aux activités non salariées ou au travail. Toutefois, aux termes du paragraphe 1 de l'article 6 de la même directive : " (...) les Etats membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l'âge ne constituent pas une discrimination lorsqu'elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l'emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires (...) ".

5. Un régime imposant une limite d'âge pour l'exercice d'un emploi constitue une différence de traitement selon l'âge affectant les conditions d'emploi et de travail au sens des dispositions précitées des articles 1er et 2 de la directive 2000/78 CE du Conseil du 27 novembre 2000, ainsi que l'a notamment jugé la Cour de justice de l'Union européenne par son arrêt du 21 juillet 2011 (aff. C-159/10, C-160/10). Une telle mesure peut cependant être justifiée si, en vertu du paragraphe 1 de l'article 6 de la directive, elle est objectivement et raisonnablement justifiée par des objectifs légitimes de politique sociale ou de l'emploi et constitue un moyen approprié et nécessaire pour atteindre ces objectifs.

6. Il résulte des travaux préparatoires de l'article 95 de la loi du 6 août 2015 précitée qu'en prévoyant que les juges des tribunaux de commerce ne peuvent siéger au-delà de l'année civile au cours de laquelle ils ont atteint l'âge de soixante-quinze ans, le législateur a poursuivi l'objectif d'un rapprochement entre le statut des membres des tribunaux de commerce et celui des magistrats judiciaires, pour les fonctions desquels une limite d'âge est prévue par l'ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature et fixée notamment, pour les magistrats exerçant à titre temporaire, à soixante-quinze ans, et de favoriser le renouvellement des juges consulaires en permettant l'accès de personnes plus jeunes à ces fonctions, dont le nombre est limité, dans la perspective de maintenir une structure d'âge équilibrée. Un tel objectif est légitime et justifie objectivement et raisonnablement une différence de traitement fondée sur l'âge. Eu égard par ailleurs à la limite d'âge retenue, dont l'article 114 de la même loi a fixé l'entrée en vigueur au 31 décembre 2017, soit plus d'un an après sa publication, et à la circonstance que les fonctions de juge consulaire sont exercées à titre bénévole et accessoire et ne peuvent, dès lors, être regardées comme une activité professionnelle dont les intéressés tireraient des bénéfices économiques et financiers, les dispositions précitées du dernier alinéa de l'article L. 723-7 du code de commerce, que la circulaire attaquée réitère au point 2 de son chapitre II, peuvent être regardées comme revêtant un caractère approprié et nécessaire. Par suite, les moyens tirés de ce que les dispositions de la loi que la circulaire réitère seraient incompatibles avec les objectifs de la directive du 27 novembre 2000 et avec le principe général du droit de l'Union européenne de la non-discrimination en fonction de l'âge qu'elle concrétise ainsi qu'avec le principe de confiance légitime doivent être écartés.

7. Enfin, il résulte des dispositions des articles 95 et 114 de la loi du 6 août 2015 précitée, éclairées par leurs travaux préparatoires, que le législateur a entendu que les juges consulaires atteints par la limite d'âge au cours d'une année civile cessent leurs fonctions à la fin de cette année, le cas échéant en cours de mandat, et que cette limite d'âge s'applique aux juges consulaires ayant plus de soixante-quinze ans au 31 décembre 2017. Par suite, en précisant que le terme " siéger " employé par ces dispositions recouvrait l'ensemble des fonctions des juges consulaires et que les sièges des juges concernés devraient être déclarés vacants au 1er janvier 2018 et pourvus à ce titre par l'élection annuelle de 2017, la circulaire attaquée s'est bornée, sans édicter de règle nouvelle, à interpréter ces dispositions dont elle n'a méconnu ni le sens ni la portée. M. C...n'est, par suite, pas fondé à soutenir qu'elle serait entachée d'incompétence.

8. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées aux requêtes par le garde des sceaux, ministre de la justice, que MM. B... et C...ne sont pas fondés à demander l'annulation de la circulaire qu'ils attaquent. Leurs requêtes ne peuvent donc qu'être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Les requêtes de MM. B...et C...sont rejetées.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à MM. A...B...et D...C...ainsi qu'à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 414484
Date de la décision : 19/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 19 oct. 2018, n° 414484
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Coralie Albumazard
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 06/11/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:414484.20181019
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award