La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

12/10/2018 | FRANCE | N°422427

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 12 octobre 2018, 422427


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 juillet et 17 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Inter Invest et M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes n° 190 et 220 des commentaires administratifs publiés le 1er juin 2016 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-20-10-20-50 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de j

ustice administrative.

Ils soutiennent que les commentaires attaqués réitèrent un...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un nouveau mémoire, enregistrés les 20 juillet et 17 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Inter Invest et M. et Mme A...demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes n° 190 et 220 des commentaires administratifs publiés le 1er juin 2016 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-20-10-20-50 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que les commentaires attaqués réitèrent une disposition législative qui méconnaît les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 août 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête. Il soutient que le moyen soulevé par les requérants n'est pas fondé.

Par des mémoires distincts, enregistrés les 20 juillet et 17 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Inter Invest et M. et Mme A... demandent au Conseil d'État, en application de l'article 23-5 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir, de renvoyer au Conseil constitutionnel la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de la 7ème phrase du 26ème alinéa du I de l'article 199 undecies B du code général des impôts.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code général des impôts ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Domingo, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

Vu la note en délibéré, enregistrée le 1er octobre 2018, présentée par la société Inter Invest.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 199 undecies B du code général des impôts : " I. Les contribuables domiciliés en France au sens de l'article 4 B peuvent bénéficier d'une réduction d'impôt sur le revenu à raison des investissements productifs neufs qu'ils réalisent dans les départements d'outre-mer, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, dans les îles Wallis-et-Futuna et les Terres australes et antarctiques françaises, dans le cadre d'une entreprise exerçant une activité agricole ou une activité industrielle, commerciale ou artisanale relevant de l'article 34 (...) / L'octroi de la réduction d'impôt prévue au premier alinéa est subordonné au respect par les entreprises réalisant l'investissement et, le cas échéant, les entreprises exploitantes de leurs obligations fiscales et sociales et de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce à la date de réalisation de l'investissement (...) ".

2. La société Inter Invest et M. et Mme A...demandent l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes n° 190 et 220 des commentaires administratifs publiés le 1er juin 2016 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-BIC-RICI-20-10-20-50, par lesquels l'administration a fait connaître son interprétation de ces dispositions, en indiquant que : " L'article 21 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer précise que l'octroi de la réduction d'impôt prévue au premier alinéa de l'article 199 undecies B du code général des impôts est subordonné au respect par les entreprises réalisant l'investissement et, le cas échéant, les entreprises exploitantes de leurs obligations fiscales et sociales et de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues à l'article L. 232-21 du code de commerce, à l'article L. 232-22 du code de commerce et à l'article L. 232-23 du code de commerce à la date de réalisation de l'investissement " et qu'" en cas de non-respect de ces obligations, la réduction d'impôt n'est pas attribuée ".

3. Pour demander l'annulation de ces commentaires, la société Inter Invest et M. et Mme A...soutiennent qu'ils réitèrent une disposition législative qui méconnaît les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789. Ils soulèvent à l'appui de leur recours, par un mémoire distinct, la question de la conformité des dispositions citées au point 1 aux droits et libertés garantis par la Constitution.

4. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

5. Aux termes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : " La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse ". Le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. Aux termes de l'article 13 de cette Déclaration : " Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ". En vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

6. En premier lieu, en subordonnant l'octroi de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B du code général des impôts au respect par les entreprises réalisant l'investissement et, le cas échéant, les entreprises exploitantes de l'obligation de dépôt de leurs comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce, le législateur a entendu imposer le respect de cette obligation aux seules entreprises qui entrent dans le champ d'application de ces dispositions du code de commerce. Les dispositions critiquées de la 7ème phrase du 26ème alinéa du I de l'article 199 undecies B du code général des impôts ne sauraient en revanche être regardées, contrairement à ce qui est soutenu, comme imposant aux entités qui ne relèvent pas de ces dispositions du code de commerce, pour bénéficier de la réduction d'impôt prévu par cet article, de déposer des comptes annuels au greffe du tribunal de commerce. S'il en résulte une différence de traitement entre les entreprises réalisant l'investissement ou l'exploitant au regard de l'obligation de dépôt des comptes annuels, celle-ci, qui résulte du champ d'application des dispositions du code de commerce, est justifiée par une différence de situation en rapport direct avec l'objet de la loi. Par suite, le grief tiré de ce que les dispositions contestées subordonneraient le bénéfice de la réduction d'impôt à une obligation de dépôt de comptes annuels dans des conditions méconnaissant le principe d'égalité devant la loi ne présente pas un caractère sérieux.

7. En second lieu, en subordonnant le bénéfice de la réduction d'impôt prévue à l'article 199 undecies B du code général des impôts au respect d'une telle obligation de dépôt des comptes annuels selon les modalités prévues aux articles L. 232-21 à L. 232-23 du code de commerce, le législateur a seulement entendu, par des dispositions qui ne méconnaissent pas, en tout état de cause, l'objectif d'intelligibilité de la norme, que l'entreprise réalisant l'investissement et, le cas échéant, l'entreprise exploitante respectent les seules obligations qu'elles ne sauraient méconnaître, pour se conformer aux dispositions du code de commerce, à la date de réalisation de l'investissement. En retenant la date de réalisation de l'investissement, le législateur, qui s'est fixé comme objectif de renforcer la transparence des opérations de défiscalisation, s'est ainsi fondé sur un critère objectif et rationnel au regard du but poursuivi. La circonstance qu'au moment où il souscrit au capital d'une entreprise d'investissement, le contribuable ne peut avoir la certitude que la condition de dépôt des comptes annuels sera satisfaite par cette entreprise ou par la société exploitante, quel que soit le nombre de sociétés exploitant le cas échéant cet investissement, au moment de la réalisation de l'investissement résulte du risque inhérent à l'investissement envisagé et ne saurait affecter la pertinence du critère retenu par le législateur.

8. La question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente ainsi pas un caractère sérieux. Il n'y a donc pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel. La requête de la société Inter Invest et de M. et Mme A...doit, par suite, être rejetée, y compris les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Inter Invest et M. et MmeA....

Article 2 : La requête de la société Inter Invest et de M. et Mme A...est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Inter Invest, à M. et Mme A...et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 422427
Date de la décision : 12/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 12 oct. 2018, n° 422427
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Domingo
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 16/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:422427.20181012
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award