Vu la procédure suivante :
Mme C...H..., MM. B...D..., I...F..., N...E..., J...D...et T...S...-Q... D...ont demandé au juge des référés du tribunal administratif de Melun, d'une part, d'ordonner au Grand Hôpital de l'Est Francilien de suspendre l'exécution de la décision du 13 juillet 2018 de procéder à des mesures de limitations thérapeutiques concernant leur parente, Mme K...D..., d'autre part, d'ordonner le rétablissement des soins et, enfin, de prescrire une expertise médicale afin d'éclairer la juridiction. Le juge des référés du tribunal administratif de Melun, après avoir ordonné une expertise le 31 juillet 2018 avant de statuer sur la requête, et statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative a rejeté leur demande par une ordonnance n° 1806657 du 27 août 2018.
Par une requête enregistrée le 11 septembre 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme H...et les autres requérants, demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler l'ordonnance contestée ;
2°) de faire droit à leur demande de première instance ;
3°) de mettre à la charge du Grand Hôpital de l'Est Francilien la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Les requérants soutiennent que :
- l'ordonnance est entachée d'un vice de forme en ce qu'elle n'est pas suffisamment motivée dès lors qu'elle considère que la seule circonstance que les lésions cérébrales de Mme D...seraient irréversibles justifierait la décision de limitation des traitements ;
- L'ordonnance est entachée d'illégalité interne en ce que les conditions légales pour que soit prise une décision de limitation des traitements de Mme D...n'étaient pas réunies ;
- La décision du 13 juillet 2018 a été prise suite à une procédure irrégulière, car elle ne repose nullement sur la reconstitution de la volonté antérieurement exprimée de MmeD... ;
- La décision attaquée est entachée d'erreur de droit en ce qu'elle n'est fondée que sur le caractère irréversible des lésions ;
- Enfin, la décision litigieuse est entachée d'une autre erreur de droit, procédurale, en ce qu'elle est intervenue à l'issue d'un délai très bref donc insuffisant au regard des exigences précitées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 septembre 2018, le Grand Hôpital de l'Est Francilien conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la ministre des solidarités et de la santé qui n'a pas produit d'observations.
Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, Mme H... et les autres requérants et, d'autre part, le Grand Hôpital de l'Est Francilien et la ministre des solidarités et de la santé ;
Vu le procès-verbal de l'audience du 1er octobre 2018 à 11heures, qui s'est tenue à huis clos, au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Molinié, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de Mme H...et des autres requérants ;
- Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;
- Mme C...H..., Mme S...-Q... D...et M. B...D... ;
- Les représentants du Grand Hôpital de l'Est Francilien ;
et à l'issue de laquelle le juge des référés a prolongé l'instruction jusqu'au 5 octobre 2018 à 16 heures ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 2 octobre 2018, présenté par le Grand Hôpital de l'Est Francilien qui communique le compte-rendu de l'examen de Mme K...D...effectué le 2 octobre 2018 par le service de réanimation ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 2 octobre 2018, présenté par Mme H...et les autres requérants qui transmettent le jugement du juge des tutelles du tribunal d'instance de Melun du 28 septembre 2017 ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 4 octobre 2018, présenté par Mme H...et les autres requérants qui maintiennent leurs précédentes conclusions ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 5 octobre 2018, présenté par le Grand Hôpital de l'Est Francilien qui maintient ses précédentes conclusions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de la santé publique ;
- la décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017 du Conseil constitutionnel ;
- le code de justice administrative ;
1. Considérant que l'article L. 521-2 du code de justice administrative dispose que : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures " ; que le juge administratif des référés, saisi d'une demande en ce sens justifiée par une urgence particulière, peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté une atteinte grave et manifestement illégale ; que ces dispositions législatives confèrent au juge des référés, qui se prononce en principe seul et qui statue, en vertu de l'article L. 511-1 du code de justice administrative, par des mesures qui présentent un caractère provisoire, le pouvoir de prendre, dans les délais les plus brefs et au regard de critères d'évidence, les mesures de sauvegarde nécessaires à la protection des libertés fondamentales ;
2. Considérant toutefois qu'il appartient au juge des référés d'exercer ses pouvoirs de manière particulière, lorsqu'il est saisi, comme en l'espèce, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une décision, prise par un médecin, dans le cadre défini par le code de la santé publique, et conduisant à arrêter ou ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, un traitement qui apparaît inutile ou disproportionné ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, dans la mesure où l'exécution de cette décision porterait de manière irréversible une atteinte à la vie ; qu'il doit alors, le cas échéant en formation collégiale conformément à ce que prévoit le troisième alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, prendre les mesures de sauvegarde nécessaires pour faire obstacle à son exécution lorsque cette décision pourrait ne pas relever des hypothèses prévues par la loi, en procédant à la conciliation des libertés fondamentales en cause, que sont le droit au respect de la vie et le droit du patient de consentir à un traitement médical et de ne pas subir un traitement qui serait le résultat d'une obstination déraisonnable ;
Sur le cadre juridique applicable au litige :
3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1110-1 du code la santé publique : " Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. " ; que l'article L. 1110-2 de ce code dispose que : " La personne malade a droit au respect de sa dignité " ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1110-5 du même code : " Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l'urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir, sur l'ensemble du territoire, les traitements et les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l'efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire et le meilleur apaisement possible de la souffrance au regard des connaissances médicales avérées. Les actes de prévention, d'investigation ou de traitements et de soins ne doivent pas, en l'état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1110-5-1 du même code : " Les actes mentionnés à l'article L. 1110-5 ne doivent pas être mis en oeuvre ou poursuivis lorsqu'ils résultent d'une obstination déraisonnable. Lorsqu'ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou lorsqu'ils n'ont d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris, conformément à la volonté du patient et, si ce dernier est hors d'état d'exprimer sa volonté, à l'issue d'une procédure collégiale définie par voie réglementaire. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1110-5-2 du même code : " (...) Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et, au titre du refus de l'obstination déraisonnable mentionnée à l'article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, celui-ci applique une sédation profonde et continue provoquant une altération de la conscience maintenue jusqu'au décès, associée à une analgésie. / La sédation profonde et continue associée à une analgésie prévue au présent article est mise en oeuvre selon la procédure collégiale définie par voie réglementaire qui permet à l'équipe soignante de vérifier préalablement que les conditions d'application prévues aux alinéas précédents sont remplies. (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 1111-4 du même code : " (...) Lorsque la personne est hors d'état d'exprimer sa volonté, la limitation ou l'arrêt de traitement susceptible d'entraîner son décès ne peut être réalisé sans avoir respecté la procédure collégiale mentionnée à l'article L. 1110-5-1 et les directives anticipées ou, à défaut, sans que la personne de confiance prévue à l'article L. 1111-6 ou, à défaut la famille ou les proches, aient été consultés. (...) " ; que le III de l'article R. 4127-37-2 du même code précise que : " La décision de limitation ou d'arrêt de traitement est prise par le médecin en charge du patient à l'issue de la procédure collégiale. Cette procédure collégiale prend la forme d'une concertation avec les membres présents de l'équipe de soins, si elle existe, et de l'avis motivé d'au moins un médecin, appelé en qualité de consultant. Il ne doit exister aucun lien de nature hiérarchique entre le médecin en charge du patient et le consultant. L'avis motivé d'un deuxième consultant est recueilli par ces médecins si l'un d'eux l'estime utile. / Lorsque la décision de limitation ou d'arrêt de traitement concerne un mineur ou un majeur protégé, le médecin recueille en outre l'avis des titulaires de l'autorité parentale ou du tuteur, selon les cas, hormis les situations ou l'urgence rend impossible cette consultation " ;
5. Considérant qu'il résulte des dispositions législatives citées au point 4, ainsi que de l'interprétation que le Conseil constitutionnel en a donnée dans sa décision n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, qu'il appartient au médecin en charge d'un patient hors d'état d'exprimer sa volonté d'arrêter ou de ne pas mettre en oeuvre, au titre du refus de l'obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ; qu'en pareille hypothèse, le médecin ne peut prendre une telle décision qu'à l'issue d'une procédure collégiale, destinée à l'éclairer sur le respect des conditions légales et médicales d'un arrêt du traitement, et, sauf dans les cas mentionnés au troisième alinéa de l'article L. 1111-11 du code de la santé publique, dans le respect des directives anticipées du patient, ou, à défaut de telles directives, après consultation de la personne de confiance désignée par le patient ou, à défaut, de sa famille ou de ses proches, ainsi que, le cas échéant, de son ou ses tuteurs ;
Sur le litige en référé :
6. Considérant que, pour apprécier si les conditions d'un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies s'agissant d'un patient victime de lésions cérébrales graves, quelle qu'en soit l'origine, qui se trouve dans un état végétatif ou dans un état de conscience minimale le mettant hors d'état d'exprimer sa volonté, le médecin en charge doit se fonder sur un ensemble d'éléments, médicaux et non médicaux, dont le poids respectif ne peut être prédéterminé et dépend des circonstances particulières à chaque patient, le conduisant à appréhender chaque situation dans sa singularité ; que les éléments médicaux doivent couvrir une période suffisamment longue, être analysés collégialement et porter notamment sur l'état actuel du patient, sur l'évolution de son état depuis la survenance de l'accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique ; qu'une attention particulière doit être accordée à la volonté que le patient peut avoir exprimée, par des directives anticipées ou sous une autre forme ;
7. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme K...D..., née le 22 février 1963, a été admise aux urgences du Grand hôpital de l'Est Francilien, le 30 juin 2018, à la suite d'un accident vasculaire cérébral ; que selon l'avis donné par la grande garde de neurochirurgie de l'hôpital Lariboisière, une intervention chirurgicale a été écartée en raison des accidents neurologiques antérieurs importants de MmeD..., déjà victime de trois accidents du même type, l'ayant laissée hémiplégique et sans autonomie depuis cinq ans ; que le 1er juillet 2018, son état de santé s'est dégradé, a nécessité une intubation d'urgence après son transfert dans le service de réanimation et la confirmation de l'absence d'indication chirurgicale utile par les services de neurochirurgie de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière et de la fondation Alphonse de Rotschild ; que le 13 juillet 2018 a été prise la décision " de ne pas traiter de nouvelles complications " ou " défaillances d'organes " et " de procéder à une extubation sans réintubation " ;
8. Considérant que, saisi notamment par M. B...D...son mari et Mme B...-Q... D...sa fille, tuteurs de Mme K...D...et Mme C...H..., sa soeur, le tribunal administratif de Melun a, le 31 juillet 2018, ordonné une expertise visant notamment à décrire l'état clinique de l'intéressée et son évolution, de déterminer si elle est en mesure de communiquer, de se prononcer sur le caractère irréversible de ses lésions neurologiques, le pronostic clinique et son niveau de souffrance ; que l'expert, qui a examiné Mme D...le 6 août 2018, a estimé que l'état de l'intéressée, ventilée mécaniquement et nourrie par sonde, ne s'était pas amélioré, qu'elle présentait des déficits neurologiques majeurs entraînant des positions anormales de mains et des pieds ainsi que des troubles majeurs de la communication, en l'absence de réaction aux stimulations par des gestes et des paroles ; qu'au vu de ces différents éléments l'expert, constatant ainsi " des troubles irréversibles " et une " immobilité totale " a estimé qu'il est " légitime de proposer une extubation " ; que par une ordonnance du 27 août 2018, dont les requérants relèvent régulièrement appel, le juge des référés du tribunal administratif de Melun, statuant dans les conditions prévues au dernier alinéa de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, a rejeté la demande de suspension de l'exécution de la décision du 13 juillet 2018 ;
9. Considérant qu'il résulte de l'instruction et des échanges ayant eu lieu au cours de l'audience que depuis l'expertise effectuée au début du mois d'août 2018, MmeD..., qui reste intubée, a progressivement récupéré la possibilité de respirer, en journée, sans l'aide du respirateur ; que si un examen clinique récent confirme, selon l'équipe médicale, que toute communication avec Mme D...est impossible, les membres de sa famille ont constaté des manifestations comportementales susceptibles d'être interprétées, selon eux, comme des réactions autres que réflexives à des stimulations ; qu'au regard de l'évolution de l'état de Mme D...depuis l'expertise comme de ces appréciations contradictoires, il est, en l'état de l'instruction, nécessaire, avant que le Conseil d'Etat statue sur l'appel dont il est saisi, que soit ordonnée une expertise médicale, confiée à un praticien disposant de compétences reconnues en neurosciences, aux fins de se prononcer, après avoir examiné la patiente, rencontré l'équipe médicale et le personnel soignant en charge de ce dernier ainsi que les tuteurs de Mme D...et pris connaissance de l'ensemble de son dossier médical, sur l'état actuel de Mme D...et de donner au Conseil d'Etat toutes indications utiles, en l'état de la science, sur les perspectives d'évolution qu'il pourrait connaître ; que, par suite, la décision du 13 juillet 2018 ne saurait être mise en oeuvre avant qu'il soit statué sur la requête ;
O R D O N N E :
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Article 1er : Avant de statuer sur la requête, il sera procédé à une expertise, diligentée de manière contradictoire, aux fins :
- de décrire l'état clinique actuel de MmeD..., son évolution ainsi que le niveau de souffrance de l'intéressée ;
- de se prononcer sur le caractère irréversible des lésions cérébrales de Mme D... et sur le pronostic clinique ;
- de déterminer si Mme D...est en mesure de communiquer, de quelque manière que ce soit, avec son entourage.
Article 2 : L'expert devra procéder à l'examen de Mme K...D..., rencontrer l'équipe médicale et le personnel soignant en charge de celle-ci ainsi que ses tuteurs et prendre connaissance de l'ensemble de son dossier médical. Il pourra consulter tous documents, procéder à tous examens et vérifications utiles et entendre toute personne compétente. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : Cette expertise est confiée à Mme R...G..., professeur émérite de neurologie, ancien chef de service à l'hôpital Lariboisière, qui prêtera serment par écrit ou devant le secrétaire du contentieux du Conseil d'Etat et déposera son rapport avant le 30 novembre 2018 au secrétariat du contentieux.
Article 4 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 5 : La décision du 13 juillet 2018 de limitation des soins thérapeutiques apportés à Mme K...D...est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué sur la requête.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme C...H..., M. B...D..., M. I...F..., M. N...E..., M. J...D..., Mme P...D...et au Grand Hôpital de l'Est Francilien.
Copie en sera adressée pour information à la ministre des solidarités et de la santé.
Délibéré à l'issue de la séance du 1er octobre 2018 où siégeaient : M. Nicolas Boulouis, conseiller d'Etat, juge des référés, présidant ; Mme L...M...et Mme A...O..., conseillers d'Etat, juges des référés.