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03/10/2018 | FRANCE | N°421964

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 03 octobre 2018, 421964


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société de l'Hôtel de la Cité demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes n°s 70 à 80 des commentaires administratifs publiés le 6 juin 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CVAE-LIQ-10 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du do

ssier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le cod...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 4 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société de l'Hôtel de la Cité demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les paragraphes n°s 70 à 80 des commentaires administratifs publiés le 6 juin 2018 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-CVAE-LIQ-10 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- le code général des impôts, notamment son article 1586 quater ;

- la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017, notamment son article 15 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Emmanuelle Petitdemange, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. En vertu du I de l'article 1586 quater du code général des impôts, les entreprises redevables de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises bénéficient d'un dégrèvement dont le montant est égal à une fraction de cette cotisation. Cette fraction décroît en fonction de leur chiffre d'affaires, de sorte que, symétriquement, le taux effectif d'imposition à cette cotisation croît en fonction du chiffre d'affaires. Aux termes du I bis de cet article dans sa rédaction issue de la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 : " Lorsqu'une entreprise, quels que soient son régime d'imposition des bénéfices, le lieu d'établissement, la composition du capital et le régime d'imposition des bénéfices des entreprises qui la détiennent, remplit les conditions de détention fixées au I de l'article 223 A pour être membre d'un groupe, le chiffre d'affaires à retenir pour l'application du I du présent article s'entend de la somme de son chiffre d'affaires et des chiffres d'affaires des entreprises qui remplissent les mêmes conditions pour être membres du même groupe. / Le premier alinéa du présent I bis s'applique, y compris lorsque les entreprises mentionnées à ce même premier alinéa ne sont pas membres d'un groupe mentionné aux articles 223 A ou 223 A bis (...) ". Aux termes du I de l'article 223 A du code général des impôts : " Une société, ci-après désignée par les mots : " société mère ", peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés ou d'établissements stables membres du groupe, ci-après désignés par les mots : " sociétés du groupe ", ou de sociétés ou d'établissements stables, ci-après désignés par les mots : " sociétés intermédiaires ", détenus à 95 % au moins par la société mère de manière continue au cours de l'exercice, directement ou indirectement par l'intermédiaire de sociétés du groupe ou de sociétés intermédiaires (...).

2. La société de l'Hôtel de la Cité demande l'annulation pour excès de pouvoir des paragraphes n°s 70 à 80 des commentaires administratifs publiés le 6 juin 2018 au BOFiP - Impôts sous la référence BOI-CVAE-LIQ-10, qui réitèrent les dispositions du I bis de l'article 1586 quater précité. Au soutien de sa requête, elle soulève un moyen unique, présenté dans un mémoire distinct, tiré de l'absence de conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de ce I bis.

Sur la question prioritaire de constitutionnalité :

3. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

4. La société de l'Hôtel de la Cité soutient que le I bis de l'article 1586 quater précité, en réservant un traitement différent, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, aux sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts pour être membres d'un groupe fiscalement intégré et aux sociétés qui ne remplissent pas ces conditions, méconnaissent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant les charges publiques garantis respectivement par les articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Elle soutient également qu'en tant qu'elle s'applique à des groupes de sociétés constitués avant son entrée en vigueur, la disposition contestée porte atteinte à la garantie des droits protégée par l'article 16 de la même Déclaration.

5. D'une part, le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la loi qui l'établit. D'autre part, en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d'égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu'il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques garantie par l'article 13 de la Déclaration de 1789.

6. En premier lieu, la société requérante fait valoir que la différence de traitement entre les sociétés qui remplissent les conditions de détention fixées par le I de l'article 223 A du code général des impôts et celles qui ne les remplissent pas, les premières étant imposées à la cotisation sur la valeur ajoutée selon un taux effectif d'imposition tenant compte du chiffre d'affaires consolidé du groupe économique auquel elles appartiennent, alors que les secondes sont imposées selon un taux effectif tenant compte de leur seul chiffre d'affaires propre et de ce fait moins élevé, n'est pas justifiée par une différence de situation entre ces sociétés au regard de l'objet de cette imposition, ni par un motif d'intérêt général.

7. Il résulte toutefois des travaux préparatoires à la loi du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 de laquelle sont issues les dispositions contestées qu'en les adoptant, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d'opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises dû par l'ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d'affaires en son sein. La différence de traitement ainsi instituée par ces dispositions repose sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l'objet du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises prévu au I de l'article 1586 quater précité, dès lors que toutes les entreprises remplissant les conditions de détention requises pour être membres d'un groupe fiscalement intégré, susceptible d'être structuré en vue de réduire le montant total de la cotisation dûe par les sociétés du groupe, sont soumises aux mêmes règles de calcul de ce dégrèvement, qu'elles soient membres ou non d'un tel groupe au regard de l'impôt sur les sociétés. A cet égard, la circonstance que le législateur aurait, ainsi que le soutient la société, également poursuivi un objectif de rendement budgétaire, n'est pas de nature à caractériser par elle-même une atteinte au principe d'égalité devant la loi. Par suite, les dispositions critiquées du I bis de l'article 1586 quater ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant la loi.

8. En second lieu, la société de l'Hôtel de la Cité fait valoir que le I bis de l'article 1586 quater méconnaît le principe d'égalité devant les charges publiques en raison, d'une part, de l'effet de seuil provoqué par le recours au critère de détention de 95 % du capital d'une filiale par sa société mère et, d'autre part, de la présomption irréfragable de fraude ou d'optimisation fiscale qu'il conduirait à faire peser sur les sociétés membres d'un groupe.

9. Cependant, en adoptant les dispositions critiquées, le législateur a entendu tenir compte de la situation particulière des groupes de sociétés, indépendamment de la date de leur constitution, au regard de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour leur appliquer les règles de droit commun pour la détermination, en fonction de leur chiffre d'affaires, du taux effectif d'imposition correspondant à leurs facultés contributives. En se fondant, pour définir le champ d'application des règles en litige, sur le seuil de détention prévu par le I de l'article 223 A du code général des impôts, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi. En outre, les dispositions contestées ne pouvant être regardées comme instituant une présomption de fraude ou d'évasion fiscale, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le législateur aurait dû prévoir la possibilité pour les contribuables d'établir que les opérations de restructuration qu'ils ont réalisées ne l'ont pas été dans le seul but d'éluder l'impôt. Il en résulte que ces dispositions ne méconnaissent pas le principe d'égalité devant les charges publiques.

10. En troisième lieu, il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, d'adopter des dispositions nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, dès lors que, dans l'exercice de ce pouvoir, il ne prive pas de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel. Les dispositions contestées, qui modifient à compter de leur entrée en vigueur, pour les entreprises membres d'un groupe économique, les règles de détermination du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises en fonction du chiffre d'affaires, n'affectent pas des situations légalement acquises et ne sont, dès lors, pas contraires à la garantie des droits proclamée par l'article 16 de la Déclaration de 1789.

11. Par suite, la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que les dispositions contestées portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

Sur le recours pour excès de pouvoir :

12. Il résulte de ce qui précède que la société de l'Hôtel de la Cité, qui ne soulève à l'appui de sa requête aucun moyen autre que celui tiré ce que les commentaires administratifs attaqués réitèreraient une règle législative portant atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, n'est pas fondée à demander l'annulation de ces commentaires. Ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société de l'Hôtel de la Cité.

Article 2 : La requête de la société de l'Hôtel de la Cité est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société de l'Hôtel de la Cité et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 421964
Date de la décision : 03/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 03 oct. 2018, n° 421964
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Emmanuelle Petitdemange
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 23/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:421964.20181003
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