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03/10/2018 | FRANCE | N°406243

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 03 octobre 2018, 406243


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 406243, par une requête, enregistrée le 23 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Observatoire du nucléaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 12 décembre 2016 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant le redémarrage du réacteur Dampierre 3, situé à Dampierre-en-Burly, à compter du 20 décembre 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 4

06245, par une requête, enregistrée le 23 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 406243, par une requête, enregistrée le 23 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Observatoire du nucléaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 12 décembre 2016 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant le redémarrage du réacteur Dampierre 3, situé à Dampierre-en-Burly, à compter du 20 décembre 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 406245, par une requête, enregistrée le 23 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Observatoire du nucléaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 15 décembre 2016 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant le redémarrage du réacteur Tricastin 3, situé à Saint-Paul-Trois-Châteaux, à compter du 23 décembre 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de sûreté nucléaire la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3° Sous le n° 406247, par une requête, enregistrée le 23 décembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Observatoire du nucléaire demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la décision du 23 décembre 2016 de l'Autorité de sûreté nucléaire autorisant le redémarrage du réacteur Gravelines 2, située à Gravelines, à compter du 23 décembre 2016 ;

2°) de mettre à la charge de l'Autorité de sûreté nucléaire la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule ;

- le code de l'environnement ;

- le code de la santé publique ;

- l'arrêté du 7 février 2012 fixant les règles générales relatives aux installations nucléaires de base ;

- l'arrêté du 21 novembre 2014 portant homologation de la décision n° 2014-DC-0444 de l'Autorité de sûreté nucléaire du 15 juillet 2014 relative aux arrêts et redémarrages des réacteurs électronucléaires à eau sous pression ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à Me Occhipinti, avocat de l'association Observatoire du nucléaire et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la société Électricité de France ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes nos 406244, 406246 et 406248, introduites par la même association requérante, tendent à l'annulation des décisions des 12, 15 et 23 décembre 2016 de l'Autorité de sûreté nucléaire, prises sur le fondement de l'article 2-4.1 de l'annexe de la décision du 15 juillet 2014 de l'Autorité relative aux arrêts et redémarrages des réacteurs électronucléaires à eau sous pression, par lesquelles l'Autorité a donné son accord à l'engagement des opérations de recherche de criticité puis de divergence en vue du redémarrage du réacteur n° 3 de la centrale nucléaire de Dampierre à compter du 20 décembre 2016 et des réacteurs n° 3 de la centrale nucléaire de Tricastin et n° 2 de la centrale nucléaire de Gravelines à compter du 23 décembre 2016. Ces requêtes présentent à juger des questions semblables. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Aux termes de l'article L. 593-20 du code de l'environnement : " En cas de menace pour les intérêts mentionnés à l'article L. 593-1, et même si la menace est constatée après le déclassement de l'installation, l'Autorité de sûreté nucléaire peut, à tout moment, prescrire les évaluations et la mise en oeuvre des dispositions rendues nécessaires. Sauf en cas d'urgence, l'exploitant est préalablement mis à même de présenter ses observations. Elle les communique au ministre chargé de la sûreté nucléaire. ". Aux termes de l'article 2-4.1 de l'annexe de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire du 15 juillet 2014 relative aux arrêts et redémarrages des réacteurs électronucléaires à eau sous pression, homologuée par l'arrêté du 21 novembre 2014 du ministre chargé de l'écologie : " I. - Les opérations de recherche de criticité du réacteur puis de divergence après un arrêt au cours duquel tout ou partie du combustible présent dans la cuve a été renouvelé sont subordonnées à l'accord de l'Autorité de sûreté nucléaire dans les conditions fixées par la présente décision. / A cette fin, l'exploitant transmet une demande d'accord pour divergence du réacteur, dont le contenu est précisé à l'article 2-4.2 ci-dessous, quatre jours ouvrés avant la date de divergence prévue. ".

3. Il résulte de l'instruction que, après la découverte, à la fin de l'année 2014, d'un excès de carbone dans l'acier de certaines parties du réacteur à eau pressurisée de la centrale de Flamanville, l'Autorité de sûreté nucléaire a, sur le fondement de l'article L. 593-20 du code de l'environnement précité, interrogé la société Électricité de France (EDF), afin d'identifier les composants des réacteurs électronucléaires en exploitation susceptibles d'être affectés par une anomalie technique similaire. Par courrier du 22 avril 2016, l'Autorité de sûreté nucléaire a demandé à EDF, pour caractériser l'anomalie, de réaliser, pendant les arrêts en cours et à venir des réacteurs électronucléaires, des contrôles physiques sur chacun des " fonds primaires " des générateurs de vapeur concernés consistant en des mesures de la teneur en carbone en surface extérieure et en des contrôles par essais non destructifs destinés à vérifier l'absence de fissure dans le matériau. Au nombre de ces réacteurs, figuraient le réacteur n° 3 de la centrale de Dampierre, le réacteur n° 3 de la centrale de Tricastin et le réacteur n° 2 de la centrale de Gravelines, qui faisaient l'objet d'un arrêt programmé. Par courriers des 7 octobre et 15 novembre 2016, EDF a transmis à l'Autorité de sûreté nucléaire un " dossier générique " destiné à justifier l'aptitude au service de ces " fonds primaires ". Ces dossiers ont fait l'objet d'une instruction par l'Autorité de sûreté nucléaire et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire. Par courriers du 5 décembre 2016, l'Autorité de sûreté nucléaire a informé EDF de l'acceptabilité des justifications génériques apportées pour les réacteurs concernés, sous réserve de la prise en compte d'un certain nombre de demandes formulées en annexe et dans l'attente de la soumission à l'Autorité de sûreté nucléaire de dossiers spécifiques en vue du redémarrage de chacun des réacteurs concernés. Après avoir autorisé EDF, par une décision du 9 décembre 2016, au vu des mesures compensatoires proposées par l'exploitant, à modifier de manière notable les règles générales d'exploitation (RGE) des sites électronucléaires concernés, en assortissant cette autorisation de diverses prescriptions et exigences, l'Autorité de sûreté nucléaire a, par les décisions mentionnées au point 1, autorisé le redémarrage de ces trois réacteurs

Sur la régularité des décisions attaquées :

4. D'une part, aux termes de l'article 3 de la décision de l'Autorité de sûreté nucléaire du 21 juin 2016 portant délégation de pouvoir au président pour prendre certaines décisions : " Délégation est donnée au président de l'ASN pour prendre au nom du collège, avec possibilité de déléguer sa signature au directeur général et, dans l'ordre décroissant de la hiérarchie, à d'autres agents : / (...) / V. - Dispositions communes à l'ensemble des domaines (INB, TSR et NPx) : / (...) / 25) les décisions individuelles relevant de la compétence de l'ASN prévues dans les décisions à caractère réglementaire de l'ASN prises en application du code de l'environnement, du code de la santé publique et du code du travail, sauf mention expresse dans les décisions et à l'exclusion des décisions de dispense prévues à l'article 27 du décret du 2 novembre 2007 susvisé (...) ". Aux termes de l'article 4 de la décision du président de l'Autorité de sûreté nucléaire du 6 juillet 2016 portant délégation de signature aux agents : " En cas d'absence ou d'empêchement de M. D...A..., directeur général, M. C...B..., directeur général adjoint, est habilité à signer, au nom du président : (...) / 2°) tous actes et décisions mentionnés au point 2) de l'article 2 et à l'article 3 de la décision n° 2016-DC-0540 du 21 janvier 2016 susvisée. ". Il résulte de ces dispositions combinées que M. C...B..., directeur général adjoint de l'Autorité de sûreté nucléaire, avait compétence pour signer les décisions attaquées.

5. D'autre part, contrairement à ce qui est soutenu par l'association requérante, les dispositions de l'article L. 592-1 du code de l'environnement, en vertu desquelles l'Autorité de sûreté nucléaire participe à l'information du public et à la transparence dans ses domaines de compétence, n'imposaient pas, en tout état de cause, que les décisions attaquées soient publiées.

Sur le bien-fondé des décisions attaquées :

En ce qui concerne le respect de la " règle fondamentale de sûreté " n° V.2.c :

6. Il résulte de l'instruction que les réacteurs litigieux ont été fabriqués dans les années 1990 en respectant la teneur maximale en carbone figurant alors dans un référentiel technique, dit " RCC-M ", élaboré par les professionnels de l'industrie nucléaire française et validé par l'Autorité de sûreté nucléaire dans sa règle fondamentale de sûreté n° V.2.c du 12 septembre 1986. D'une part, à la différence des prescriptions que l'Autorité de sûreté nucléaire peut édicter sur le fondement de l'article L. 592-20 du code de l'environnement afin de compléter les dispositions des décrets et arrêtés pris en matière de sûreté nucléaire, les " règles fondamentales de sûreté " que cette Autorité élabore, qui sont progressivement remplacées par des " guides de l'Autorité de sûreté nucléaire ", sont dépourvues de caractère impératif. D'autre part, la règle fondamentale de sûreté précitée a été abrogée et remplacée par le guide n° 8 du 31 mars 2009 de l'Autorité de sûreté nucléaire relatif à l'évaluation de la conformité des équipements sous pression nucléaires, qui se borne à prévoir que les fabricants de ces équipements peuvent appliquer un référentiel technique dont il est prouvé que les spécifications garantissent le respect des exigences essentielles de sécurité en vigueur, sans imposer de concentration limite de l'acier en carbone. Si le juge peut prendre en compte ces " règles " ou ces " guides " pour apprécier l'évaluation et la maîtrise des risques par l'exploitant, la circonstance que celui-ci s'écarte de certaines de ces prescriptions ne saurait, à elle seule, permettre de caractériser l'existence d'un risque de nature à rendre illégale la poursuite de l'exploitation. Par suite, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées seraient entachées d'erreur de droit en ce qu'elles autoriseraient le redémarrage de réacteurs dans lesquels la teneur en carbone de l'acier dépasserait la concentration maximale fixée par le référentiel " RCC-M " et la règle fondamentale de sûreté de l'Autorité de sûreté nucléaire du 12 septembre 1986 précitée ne peut qu'être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le respect du principe de précaution :

7. Aux termes de l'article 5 de la Charte de l'environnement : " Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage ". Les conditions d'application de ces dispositions sont notamment précisées à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui définit le principe de précaution dans les termes suivants : " (...) Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable (...) ". Il résulte de ces dispositions que le principe de précaution est applicable lorsqu'il existe des éléments circonstanciés de nature à accréditer l'hypothèse de risques de dommages graves et irréversibles pour l'environnement ou d'atteintes à l'environnement susceptibles de nuire de manière grave à la santé, en dépit des incertitudes subsistant sur leur réalité et leur portée en l'état des connaissances scientifiques. Il ne saurait, en revanche, être utilement invoqué lorsque la réalité et la portée de tels risques ne présentent pas, en l'état des connaissances scientifiques, un caractère hypothétique mais sont, au contraire, connues et évaluées.

8. L'accroissement du risque de rupture brutale de certains composants des réacteurs électronucléaires à la suite d'une sollicitation excessive des matériaux en cause lié à une augmentation de la concentration de l'acier en carbone et les risques de dommages graves et irréversibles pour l'environnement ou d'atteintes à l'environnement susceptibles de nuire de manière grave à la santé qui découleraient d'une telle rupture ne présentent pas, en l'état des connaissances scientifiques, un caractère hypothétique. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que le moyen tiré de ce que les décisions attaquées de l'Autorité de sûreté nucléaire méconnaîtraient le principe de précaution prévu à l'article 5 de la Charte de l'environnement ne peut qu'être écarté comme inopérant.

En ce qui concerne le principe d'action préventive et de correction :

9. Aux termes de l'article 3 de la Charte de l'environnement : " Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences. ". Les conditions d'application de ces dispositions sont notamment prévues à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui définit le principe dit " de prévention " dans les termes suivants : " (...) Le principe d'action préventive et de correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement, en utilisant les meilleures techniques disponibles à un coût économiquement acceptable. Ce principe implique d'éviter les atteintes à la biodiversité et aux services qu'elle fournit ; à défaut, d'en réduire la portée ; enfin, en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n'ont pu être évitées ni réduites, en tenant compte des espèces, des habitats naturels et des fonctions écologiques affectées ; / Ce principe doit viser un objectif d'absence de perte nette de biodiversité, voire tendre vers un gain de biodiversité ; (...) ". Les dispositions du titre IX du livre V du code de l'environnement précisent, pour la sécurité nucléaire et les installations nucléaires de base, la portée de ce principe.

10. Il résulte de l'instruction, notamment des éléments recueillis lors de l'audience d'instruction du 14 mai 2018, que l'évolution des connaissances scientifiques sur l'hétérogénéité de la concentration en carbone de l'acier et sur l'excès de carbone dans certaines zones du matériau ainsi que sur leurs conséquences mécaniques sur la ténacité du métal a rendu nécessaire un réexamen particulier des réacteurs susceptibles d'être affectés par cette anomalie. Cet examen a confirmé que les fonds des générateurs de vapeur des réacteurs n° 3 de la centrale de Dampierre, n° 3 de la centrale nucléaire de Tricastin et n° 2 de la centrale de Gravelines présentaient une teneur en carbone pouvant atteindre 0,39 % dans certaines zones, alors que la teneur maximale prévue par les référentiels en vigueur lors de leur fabrication était de 0,22 %. Pour se prononcer sur la demande d'autorisation de redémarrage de ces réacteurs, l'Autorité de sûreté nucléaire a demandé à EDF de lui soumettre un " dossier générique ", qui a été transmis durant les mois d'octobre et de novembre 2016. Ce dossier faisait état de la recherche, dans les générateurs de vapeur des réacteurs litigieux, de zones de concentration anormale en carbone et d'éventuels défauts de l'acier, tels que des fissures. Les mesures nécessaires pour cette recherche, que l'Autorité de sûreté nucléaire n'était pas tenue d'effectuer elle-même, ont fait l'objet, lors de leur réalisation par l'exploitant, de plusieurs inspections et contrôles sur place de cette Autorité, dont il ne résulte pas de l'instruction qu'ils auraient été insuffisants, afin de vérifier, d'une part, la documentation sur le chantier, le calibrage et la façon de mesurer et de préparer les équipements et, d'autre part, les compétences et les habilitations des personnes réalisant les contrôles. Le " dossier générique " comportait, en outre, une étude mécanique du risque de rupture brutale de l'acier en raison de chocs thermiques et de pression reposant sur des hypothèses conservatrices au regard des mesures de concentration en carbone et de la taille des fissures recherchées. Le dossier a été instruit par l'Autorité de sûreté nucléaire avec l'expertise de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), lequel a en outre sollicité une contre-expertise de son homologue belge. L'IRSN s'est assuré de la validité de l'analyse et des hypothèses fournies au regard de l'état des connaissances scientifiques et de ses propres calculs et a rendu un avis positif sur ce point le 30 novembre 2016.

11. Cette instruction a fait apparaître que, dans certaines conditions de fonctionnement des réacteurs en cause, les marges de sûreté pour la résistance des matériaux concernés pouvaient ne plus être respectées, en particulier en cas de changements trop brutaux de température et de pression lors des phases de mise à l'arrêt et de redémarrage, pendant lesquelles l'acier est plus sensible à de tels changements.

12. A la suite de cette instruction, l'Autorité de sûreté nucléaire a prescrit la modification des règles générales d'exploitation des réacteurs concernés en imposant des mesures dites " de compensation " visant à réduire le risque de rupture brutale des cuves en restaurant les marges de sûreté mentionnées au point précédent. Ces mesures prévoient notamment de nouvelles contraintes en termes de vitesse de montée en température et de refroidissement du réacteur ainsi que le débranchement, lors de la mise à l'arrêt ou de la mise en redémarrage, des pompes du circuit primaire, afin d'éviter l'injection intempestive de masses d'eau plus froide dans le circuit, sans qu'il résulte de l'instruction que la mise en oeuvre de ces mesures serait susceptible de créer, par elle-même, un risque d'exploitation supplémentaire. Le redémarrage des réacteurs a ensuite été autorisé par l'Autorité de sûreté nucléaire après l'examen d'un dossier spécifique pour chaque réacteur.

13. Enfin, il résulte de l'instruction que les règles générales d'exploitation, modifiées ainsi qu'il a été dit ci-dessus, font l'objet de contrôles de l'Autorité de sûreté nucléaire lors de ses inspections, comme celle qu'elle a effectuée pour le réacteur n° 2 de Gravelines depuis son redémarrage. Il incombera en outre à l'exploitant de mettre à jour, dès que nécessaire, ces règles générales, sous le contrôle de l'Autorité de sûreté nucléaire, afin de tirer les conséquences de l'évolution des connaissances scientifiques et des résultats des études en cours sur le phénomène de la ségrégation du carbone dans l'acier.

14. Compte tenu de l'ensemble des éléments mentionnés aux points précédents, il ne résulte pas de l'instruction qu'en donnant son accord au redémarrage des réacteurs n° 3 de la centrale de Dampierre, n° 3 de la centrale nucléaire de Tricastin et n° 2 de la centrale de Gravelines, l'Autorité de sûreté nucléaire se serait livrée à une inexacte évaluation des risques ou de la capacité des mesures prescrites à les compenser. Le moyen tiré de ce que les décisions attaquées méconnaîtraient le principe d'action préventive et de correction doit donc être écarté.

En ce qui concerne le principe de justification :

15. Aux termes de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 10 février 2016 portant diverses dispositions en matière nucléaire : " Les activités nucléaires satisfont aux principes suivants : / 1° Le principe de justification, selon lequel une activité nucléaire ne peut être entreprise ou exercée que si elle est justifiée par les avantages qu'elle procure sur le plan individuel ou collectif, notamment en matière sanitaire, sociale, économique ou scientifique, rapportés aux risques inhérents à l'exposition aux rayonnements ionisants auxquels elle est susceptible de soumettre les personnes ; (...) ". Ces dispositions sont applicables aux installations nucléaires de base, telles que les réacteurs nucléaires, en vertu des dispositions combinées des articles L. 1333-7 et L. 1333-9 du même code, ce dernier prévoyant que les actes réglementaires ou individuels pris en application du régime des installations nucléaires de base assurent la prise en compte des obligations qui en découlent.

16. Eu égard à ce qui a été dit ci-dessus au point 14 et compte tenu de l'intérêt général qui s'attache, en l'état actuel du parc de production d'électricité français, à la reprise du fonctionnement des installations en cause, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées méconnaîtraient le principe de justification prévu par l'article L. 1333-2 du code de la santé publique ne peut qu'être écarté.

17. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées par la société EDF, que les requêtes de l'association Observatoire du nucléaire doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par la société EDF au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

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Article 1er : Les requêtes de l'association Observatoire du nucléaire sont rejetées.

Article 2 : Les conclusions présentées par la société Electricité de France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Observatoire du nucléaire, à l'Autorité de sûreté nucléaire et à la société Électricité de France.

Copie en sera adressée au ministre de la transition écologique et solidaire.


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 406243
Date de la décision : 03/10/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 03 oct. 2018, n° 406243
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : OCCHIPINTI ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:406243.20181003
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