Vu la procédure suivante :
La société Les Peupliers a demandé à la cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 4 juin 2014 par laquelle la commission nationale d'aménagement commercial a, sur recours des sociétés Distribution Casino France, Passag et Pydaust, rejeté sa demande de création d'un ensemble commercial de 1 529 m2 de surface de vente sur la commune de Brax (Lot-et-Garonne). Par un arrêt n° 14BX02733 du 9 juin 2016, la cour administrative d'appel a annulé cette décision et enjoint à la commission nationale de réexaminer le recours de la société Pydaust dans un délai de quatre mois.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 9 août et 9 novembre 2016 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Distribution Casino France demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de rejeter la requête de la société Les Peupliers ;
3°) de mettre à la charge de la société Les Peupliers la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de commerce ;
- la loi n°73-1193 du 27 décembre 1973 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean-François de Montgolfier, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Frédéric Dieu, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Foussard, Froger, avocat de la société Distribution Casino France et à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la société Les Peupliers ;
1. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, par une décision du 12 février 2014, la commission départementale d'aménagement commercial du Lot-et-Garonne a autorisé la société Les Peupliers à créer un ensemble commercial de 1529 m² à Brax (Lot-et-Garonne) ; que, sur recours des sociétés Distribution Casino France, Passag et Pydaust, la commission nationale d'aménagement commercial a, par une décision du 4 juin 2014, qui s'est substituée à la décision de la commission départementale, rejeté la demande de la société Les Peupliers ; que la société Les Peupliers a saisi la cour administrative d'appel de Bordeaux, d'une part de conclusions tendant à l'annulation de cette décision de refus et, d'autre part, de conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à la commission nationale de réexaminer sa demande ; que par son arrêt du 9 juin 2016, contre lequel la société Distribution Casino France se pourvoit en cassation, la cour a, par l'article 1er, annulé la décision de refus d'autorisation et, par l'article 2, enjoint à la commission nationale de " procéder au réexamen du recours de la société Pydaust " ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il annule la décision du 4 juin 2014 de la commission nationale d'aménagement commercial :
2. Considérant qu'il appartient aux commissions d'aménagement commercial, lorsqu'elles se prononcent sur un projet d'exploitation commerciale soumis à autorisation en application de l'article L. 752-1 du code de commerce, d'apprécier la conformité de ce projet aux objectifs prévus à l'article 1er de la loi du 27 décembre 1973 d'orientation du commerce et de l'artisanat et à l'article L. 750-1 du code de commerce, au vu des critères d'évaluation mentionnés à l'article L. 752-6 du même code ; que ces commissions ne pouvaient, en vertu des textes applicables au présent litige, refuser l'autorisation demandée que si, eu égard à ses effets, il compromettait la réalisation de ces objectifs ;
3.Considérant qu'en estimant que les nuisances alléguées et l'imperméabilisation des sols ne compromettaient pas, compte tenu des mesures de compensation prévues, notamment des dispositifs de protection visuelle et sonore et des dispositifs de récupération des eaux pluviales, les objectifs énoncés à l'article L. 752-6 du code de commerce, la cour a porté sur les pièces du dossier qui lui était soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'elle n'a pas omis de répondre sur ce point aux moyens en défense présentés par la société Distribution Casino France et n'a, par suite, entaché son arrêt ni d'erreur de droit ni d'insuffisance de motivation ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société Distribution Casino France n'est pas fondée à demander l'annulation de l'article 1er de l'arrêt qu'elle attaque ;
Sur l'arrêt attaqué en tant qu'il enjoint à la commission nationale de réexaminer le seul recours de la société Pydaust :
5. Considérant qu'aux termes des premier et deuxième alinéas de l'article L.752-17 du code de commerce, dans leur rédaction applicable à l'espèce : " A l'initiative (...) de toute personne ayant intérêt à agir, la décision de la commission départementale d'aménagement commercial peut, dans un délai d'un mois, faire l'objet d'un recours devant la commission nationale d'aménagement commercial. (...) / La saisine de la commission nationale est un préalable obligatoire à un recours contentieux à peine d'irrecevabilité de ce dernier " ; que, régulièrement saisie d'un recours administratif contre une décision de la commission départementale d'aménagement commercial, il appartient à la commission nationale de se prononcer à nouveau elle-même, au vu des circonstances de droit et de fait à la date de sa propre décision, sur la demande initialement formée devant la commission départementale ;
6. Considérant qu'il ressort des termes mêmes de l'arrêt attaqué que, avant de statuer sur le bien-fondé de la décision du 4 juin 2014 par laquelle la commission nationale d'aménagement commercial avait, sur le recours de la société Pydaust, refusé à la société Les Peupliers l'autorisation qui lui avait été précédemment accordée par la commission départementale, la cour administrative d'appel a jugé que le recours administratif également présenté, contre cette même décision de la commission départementale, par la société Distribution Casino France, n'était pas recevable, faute d'intérêt pour agir ; que, par suite, l'article 2 de l'arrêt attaqué doit être regardé comme faisant injonction à la commission nationale d'examiner à nouveau la demande de la société Les Peupliers sur le seul recours de la société Pydaust, à l'exclusion du recours formé aux mêmes fins par la société Distribution Casino France ;
7. Considérant qu'aux termes du I de l'article R. 752-8 du code de commerce, dans sa rédaction alors applicable, ultérieurement reprise à l'article R. 752-3 du même code : " (...) la zone de chalandise d'un équipement faisant l'objet d'une demande d'autorisation d'exploitation commerciale correspond à l'aire géographique au sein de laquelle cet équipement exerce une attraction sur la clientèle. / Cette zone est délimitée en tenant compte notamment de la nature et de la taille de l'équipement envisagé, des temps de déplacement nécessaires pour y accéder, de la présence d'éventuelles barrières géographiques ou psychologiques, de la localisation et du pouvoir d'attraction des équipements commerciaux existants ainsi que de la localisation des magasins exploités sous la même enseigne que celle de l'établissement concerné " ;
8. Considérant que, pour l'application de l'article L. 752-17 du code de commerce cité au point 5, tout professionnel dont l'activité, exercée dans les limites de la zone de chalandise d'un projet, est susceptible d'être affectée par celui-ci, a intérêt à former un recours devant la commission nationale d'aménagement commercial contre l'autorisation donnée à ce projet par la commission départementale puis, en cas d'autorisation à nouveau donnée par la commission nationale, un recours contentieux ; que s'il en va ainsi lorsque le professionnel requérant est implanté dans la zone de chalandise du projet, un tel intérêt peut également résulter de ce que, alors même que le professionnel requérant n'est pas implanté dans la zone de chalandise du projet, ce dernier est susceptible, en raison du chevauchement de sa zone de chalandise et de celle de l'activité commerciale du requérant, d'avoir sur cette activité une incidence significative ;
9. Considérant que, pour juger que la société Distribution Casino France n'avait pas intérêt à saisir la commission nationale d'aménagement commercial du recours prévu par l'article L.752-17 du code de commerce, la cour administrative d'appel s'est exclusivement fondée sur la circonstance que les magasins exploités par cette société sont situés hors de la zone de chalandise du projet présenté par la société Les Peupliers ; qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus qu'elle a commis une erreur de droit ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen de son pourvoi, la société Distribution Casino France est fondée à demander l'annulation de l'article 2 de l'arrêt qu'elle attaque ;
11. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler dans cette mesure l'affaire au fond en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par la société Les Peupliers devant la cour administrative d'appel ;
12. Considérant que l'annulation, par l'article 1er de l'arrêt du 9 juin 2016 de la cour administrative d'appel de Bordeaux, de la décision du 4 juin 2014 de la commission nationale d'aménagement commercial, qui revêt un caractère irrévocable en raison de ce qui a été dit au point 4, a eu pour effet de saisir à nouveau cette commission des recours administratifs introduits, devant elle, contre la décision du 12 février 2014 de la commission départementale d'aménagement commercial du Lot-et-Garonne ; qu'il résulte de l'instruction que la commission nationale a examiné à nouveau les recours des sociétés Distribution Casino France, Passag et Pydaust dirigés contre cette décision et les a rejetés, par une décision du 22 décembre 2016 ;
13. Considérant qu'il ressort toutefois des termes mêmes de cette nouvelle décision de la commission nationale, prise pour l'exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux, que le rejet, pour irrecevabilité, du recours administratif de la société Distribution Casino France est fondé sur l'autorité de la chose jugée par la cour administrative d'appel ; que, par suite, il résulte de l'annulation de l'article 2 de l'arrêt de la cour par la présente décision qu'il appartient à la commission nationale d'examiner à nouveau la recevabilité du recours de la société Distribution Casino France, conformément aux principes mentionnés aux point 8 et, dans l'hypothèse où elle le jugerait recevable, de retirer sa décision du 22 décembre 2016 et de se prononcer à nouveau sur la demande de la société Les Peupliers, dans un délai de quatre mois à compter de la présente décision ;
Sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Considérant que les dispositions de cet article font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Distribution Casino France, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande à ce titre la société Les Peupliers ; qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Les Peupliers la somme que demande, au même titre, la société Distribution Casino France ;
D E C I D E :
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Article 1er : L'article 2 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 9 juin 2016 est annulé.
Article 2 : Il est enjoint à la commission nationale d'aménagement commercial de procéder au réexamen du recours de la société Distribution Casino France dans un délai de quatre mois à compter de la notification de la présente décision au ministre de l'économie et des finances.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Distribution Casino France est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la société Les Peupliers au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la société Distribution Casino France et à la société Les Peupliers.
Copie en sera adressée au ministre de l'économie et des finances.