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25/09/2018 | FRANCE | N°423715

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 25 septembre 2018, 423715


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 29 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), l'Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transexuelles à l'immigration et au séjour (ARDHIS), l'Action syndicale libre office français des réfugiés et apatrides (ASYL OFPRA), le Comité pour la santé des exilés (COMEDE), Dom'Asile, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s

les immigré-e-s (FASTI), le Groupe d'information et de soutien des immigré...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 29 août 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), l'Association des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT), l'Association pour la reconnaissance des droits des personnes homosexuelles et transexuelles à l'immigration et au séjour (ARDHIS), l'Action syndicale libre office français des réfugiés et apatrides (ASYL OFPRA), le Comité pour la santé des exilés (COMEDE), Dom'Asile, la Fédération des associations de solidarité avec tou-te-s les immigré-e-s (FASTI), le Groupe d'information et de soutien des immigré.e.s (GISTI), la Ligue des droits de l'homme (LDH) et le Secours catholique - Caritas français (SCCF) demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :

1°) de suspendre l'exécution du décret n° 2018-385 du 23 mai 2018 portant expérimentation de certaines modalités de traitement des demandes d'asile en Guyane ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Les associations requérantes soutiennent que :

- elles ont intérêt à agir contre le décret litigieux au regard de leur statut ;

- la condition d'urgence est remplie dès lors que le décret litigieux, dont la mise en oeuvre le 3 septembre 2018 est imminente, porte une atteinte grave et immédiate aux intérêts que les associations requérantes entendent défendre en ce qu'il prévoit une réduction drastique des délais applicables à la procédure de demande d'asile susceptible de placer les demandeurs d'asile de la Guyane dans une situation d'extrême vulnérabilité ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité du décret contesté ;

- le décret contesté a été pris au terme d'une procédure irrégulière faute d'avoir été précédé de la consultation du conseil d'administration de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ;

- il est entaché d'une erreur de droit dès lors qu'il a été pris en application de l'article L. 723-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui méconnaît les objectifs et les dispositions de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 ;

- il est entaché d'une erreur de droit en ce que la réduction du délai, de vingt et un à sept jours, pour introduire une demande d'asile, prévue par son article 1er, 1°, méconnaît tant le principe d'égalité que la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation en instituant l'introduction, par dépôt en main propre, de la demande d'asile dans les locaux de l'OFPRA sans tenir compte des spécificités du territoire de la Guyane ;

- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il méconnaît la marge d'appréciation accordée à l'OFPRA pour la détermination de la procédure à suivre ;

- il est entaché d'une erreur de droit en ce qu'il prévoit que la décision du directeur général de l'OFPRA est réputée notifiée quand bien même le demandeur d'asile ne s'est pas présenté à la convocation pour en recevoir notification en main propre ;

- il a été pris en méconnaissance du droit au recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 46-4 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013, en ce qu'il supprime le délai de distance pour effectuer un recours contre les décisions de rejet de l'OFPRA devant la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) sans tenir compte des spécificités du département et des modalités de dépôt d'une requête devant la CNDA ;

- il méconnaît l'article 13 combiné à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en ce qu'il n'assure pas un équilibre entre, d'une part, l'impératif de traitement rapide et efficace des demandes d'asile et, d'autre part, la nécessité de garantir les droits fondamentaux des demandeurs d'asile, ainsi que les obligations nationales et internationales qui en découlent relatives à l'accès à une procédure équitable d'accès et de traitement des demandes d'asile en Guyane.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 septembre 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, conclut au rejet de la requête. Il soutient que, en premier lieu, l'ASYL n'a pas intérêt à agir, en deuxième lieu, la condition d'urgence n'est pas remplie, en troisième lieu, le décret du 23 mai 2018 ne fait naître aucun doute sérieux quant à sa légalité et, en dernier lieu, les moyens des associations requérantes ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive n° 2013/32/UE du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, les associations requérantes et, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et le directeur général de l'OFPRA ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du mercredi 19 septembre 2018 à 10 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Gury, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, avocat de la Cimade et autres ;

- les représentants de la Cimade et autres ;

- les représentants du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a clos l'instruction ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".

2. La CIMADE, l'ACAT, l'ARDHIS, l'ASYL OFPRA, le COMEDE, Dom'Asile, la FASTI, le GISTI, la LDH et le SCCF demandent au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution du décret du 23 mai 2018 portant expérimentation de certaines modalités de traitement des demandes d'asile en Guyane.

3. En premier lieu, par dérogation au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les 2°, 3° et 6° de l'article 1er du décret du 23 mai 2018 imposent à l'étranger sollicitant l'asile en Guyane de se présenter en personne auprès d'un agent de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, d'une part, pour l'introduction de sa demande, l'étranger se faisant délivrer en main propre, lorsque son dossier est complet, la lettre d'introduction de sa demande et sa convocation à un entretien, d'autre part, pour la notification de la décision du directeur général de l'office qui lui est remise en main propre contre récépissé, la date à laquelle il doit se présenter pour cette notification lui étant indiquée par convocation remise lors de l'introduction de sa demande ou à l'issue de l'entretien. Le 6° de l'article 1er du décret attaqué précise que " La décision est réputée notifiée à la date à laquelle le demandeur a été convoqué si, sans motif légitime, il ne s'est pas présenté à cette convocation ".

4. S'il est vrai que ces dispositions obligent l'étranger sollicitant l'asile en Guyane à se présenter plusieurs fois à l'antenne locale de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, située à Cayenne, imposant dans certains cas plusieurs heures de trajet, il résulte cependant de l'instruction que ces modalités particulières de procédure ont été adoptées à titre expérimental pour faire face aux difficultés de notification par courrier postal en Guyane, et pour permettre d'accélérer et de fiabiliser les échanges avec les demandeurs. Ces dispositions prévoient, par ailleurs, que, si le demandeur ne se présente pas au rendez-vous qui lui a été fixé pour la notification en main propre de la décision du directeur général de l'office prise sur sa demande, il peut faire valoir un motif légitime justifiant son absence. Il appartiendra dans ce cas à l'office d'en apprécier la validité afin d'être en mesure d'informer le demandeur de la date à laquelle elle considère que la décision lui est notifiée. Par suite, les moyens tirés de l'erreur manifeste d'appréciation et de l'erreur de droit ne sont pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité des 2°, 3° et 6° de l'article 1er du décret.

5. En second lieu, en vertu de l'article L. 723-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, " L'office peut prendre une décision de clôture d'examen d'une demande dans les cas suivants : / 1° Le demandeur, sans motif légitime, n'a pas introduit sa demande à l'office dans les délais prévus par décret en Conseil d'Etat et courant à compter de la remise de son attestation de demande d'asile ou ne s'est pas présenté à l'entretien à l'office ; (...) ", ce délai étant fixé à vingt et un jours par l'article R. 723-1 du même code. En vertu des 1° et 4° de l'article 1er du décret du 23 mai 2018, ce délai est, dans le cadre de l'expérimentation contestée, ramené à sept jours, assorti d'un délai supplémentaire de trois jours pour compléter la demande. Ces délais ne sont cependant pas imposés sous peine de rejet, mais conduisent à la clôture d'examen de la demande, cette dernière pouvant être rouverte ou une demande de nouveau déposée dans un délai de neuf mois en application des dispositions de l'article L. 723-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des objectifs de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 et du principe d'égalité ne sont pas propres à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de ces dispositions.

6. En troisième lieu, en vertu du 5° de l'article 1er du décret attaqué, l'office statue sur la demande d'asile dans un délai de quinze jours à compter de l'introduction de la demande, ces dispositions ne faisant pas obstacle à ce que l'office puisse décider de ne pas statuer dans ce délai lorsque cela lui paraît nécessaire pour assurer un examen approprié de la demande. Il résulte des articles R. 723-2 et R. 723-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le délai d'examen n'est pas impératif, mais constitue un objectif fixé en application de l'article 31 de la directive du 26 juin 2013 visée ci-dessus, dans le but que " la procédure d'examen soit menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice d'un examen approprié et exhaustif ". Si le délai de 15 jours apparaît particulièrement bref, et sensiblement inférieur aux délais actuellement constatés, il résulte de l'instruction et notamment des précisions apportées par l'administration à l'occasion de l'audience, que ce délai constitue un objectif réaliste dès lors que, au vu des demandes examinées ces dernières années, une large proportion d'entre elles sont manifestement mal fondées. L'office conserve par ailleurs la faculté de fixer un délai supérieur pour les demandes qui le justifient. Par suite, le moyen tiré de ce que ces dispositions sont entachées d'une erreur manifeste d'appréciation n'est pas propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à leur légalité.

7. En quatrième lieu, le 7° de l'article 1er du décret du 23 mai 2018 dispose : " Par dérogation au second alinéa de l'article R. 733-7, le délai de recours devant la Cour nationale du droit d'asile n'est pas augmenté d'un mois ". Il impose aux demandeurs d'asile demeurant en Guyane un délai de recours identique à celui des demandeurs qui demeurent en métropole, dérogeant ainsi à l'article R. 733-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui institue un supplément de délai d'un mois, dit " délai de distance ", pour les requérants qui demeurent en Guadeloupedemeurent en Guyane un délai de recours identique à celui des demandeurs qui demeurent en métropole, dérogeant ainsi à l'article R. 733-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui institue un supplément de délai d'un mois, dit " délai de distance ", pour les requérants qui demeurent en Guadeloupedemeurent..., en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises. Bien que la disposition contestée oblige les requérants à anticiper des délais d'envoi postal adapté, il ne résulte pas de l'instruction que le moyen tiré de ce qu'elle méconnaît le droit au recours effectif garanti par l'article 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 46-4 de la directive 2013/32/UE du 26 juin 2013 est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à sa légalité, eu égard notamment à la possibilité d'adresser le recours par voie de télécopie, dans les conditions prévues à l'article 1er de l'arrêté du 18 février 2016 relatif aux modes de dépôt ou de transmission des recours, des mémoires, des pièces et des actes de procédure devant la Cour nationale du droit d'asile, et à la faculté de compléter le recours par un mémoire complémentaire jusqu'à la date de clôture de l'instruction écrite.

8. Aucun des autres moyens de la requête visés ci-dessus n'étant de nature à créer, en l'état de l'instruction, un tel doute, il suit de là, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non recevoir opposée à la requête en tant qu'elle émane de l'association ASYL, ni de se prononcer sur la condition d'urgence, qu'il y a lieu de rejeter la requête de la CIMADE et autres, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de la CIMADE et autres est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée au Comité inter-mouvements auprès des évacués (CIMADE), premier dénommé, pour l'ensemble des requérants, et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 423715
Date de la décision : 25/09/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 25 sep. 2018, n° 423715
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP SPINOSI, SUREAU

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:423715.20180925
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