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26/07/2018 | FRANCE | N°422322

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 26 juillet 2018, 422322


Vu la procédure suivante :

M. C...A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de la décision du 4 juillet 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'étendre au département de l'Isère le périmètre au sein duquel il est assigné à résidence par une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance et, d'autre part, d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de modifier le périmè

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Vu la procédure suivante :

M. C...A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'une part, d'ordonner la suspension de la décision du 4 juillet 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé d'étendre au département de l'Isère le périmètre au sein duquel il est assigné à résidence par une mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance et, d'autre part, d'enjoindre au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, de modifier le périmètre de cette mesure pour l'étendre au département de l'Isère en le plaçant, si besoin, sous le régime de l'assignation à résidence électronique. Par une ordonnance n° 1804403 du 13 juillet 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.

Par une requête enregistrée le 17 juillet 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A...B..., demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :

1°) d'annuler l'ordonnance contestée ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est présumée remplie eu égard à la nature de la décision litigieuse ;

- la décision contestée porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit du travail visé par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, l'article 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 et l'article 15-1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et à sa liberté de travailler dès lors que le ministre lui a refusé d'exercer le seul emploi qu'il a été en mesure de trouver ces derniers mois compte tenu de son niveau d'études, de ses qualifications et du taux de chômage en vigueur à Echirolles ;

- la décision porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit à un procès équitable dès lors que, d'une part, elle fait obstacle à la bonne exécution d'une peine prononcée par le juge judiciaire l'obligeant à travailler, la privant de son caractère utile et effectif, et, d'autre part, elle l'expose à tout moment à la révocation de son sursis.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 juillet 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il soutient que la condition d'urgence n'est pas remplie et que les moyens soulevés par M. A...B...ne sont pas fondés.

Après avoir convoqué à une audience publique d'une part, M. C... A...B...et, d'autre part, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 23 juillet 2018 à 15 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- Me Galy, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. A... B...;

- le représentant de M. A...B... ;

- les représentants du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

et à l'issue de laquelle le juge des référés a reporté la clôture de l'instruction au mardi 24 juillet à 17 heures ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 24 juillet 2018, avant la clôture de l'instruction, présenté par M. A...B... ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 24 juillet 2018, avant la clôture de l'instruction, présenté par le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, et notamment son Préambule ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Aux termes de l'article L. 228-1 du code de la sécurité intérieure: " Aux seules fins de prévenir la commission d'actes de terrorisme, toute personne à l'égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace d'une particulière gravité pour la sécurité et l'ordre publics et qui soit entre en relation de manière habituelle avec des personnes ou des organisations incitant, facilitant ou participant à des actes de terrorisme, soit soutient, diffuse, lorsque cette diffusion s'accompagne d'une manifestation d'adhésion à l'idéologie exprimée, ou adhère à des thèses incitant à la commission d'actes de terrorisme ou faisant l'apologie de tels actes peut se voir prescrire par le ministre de l'intérieur les obligations prévues au présent chapitre ". Aux termes de l'article L. 228-2 du même code : " Le ministre de l'intérieur peut, après en avoir informé le procureur de la République de Paris et le procureur de la République territorialement compétent, faire obligation à la personne mentionnée à l'article L. 228-1 de : 1° Ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre géographique déterminé, qui ne peut être inférieur au territoire de la commune. La délimitation de ce périmètre permet à l'intéressé de poursuivre une vie familiale et professionnelle et s'étend, le cas échéant, aux territoires d'autres communes ou d'autres départements que ceux de son lieu habituel de résidence ; / 2° Se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie, dans la limite d'une fois par jour, en précisant si cette obligation s'applique les dimanches et jours fériés ou chômés ; / 3° Déclarer son lieu d'habitation et tout changement de lieu d'habitation. / Les obligations prévues aux 1° à 3° du présent article sont prononcées pour une durée maximale de trois mois à compter de la notification de la décision du ministre. Elles peuvent être renouvelées par décision motivée, pour une durée maximale de trois mois, lorsque les conditions prévues à l'article L. 228-1 continuent d'être réunies. Au-delà d'une durée cumulée de six mois, chaque renouvellement est subordonné à l'existence d'éléments nouveaux ou complémentaires. La durée totale cumulée des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article ne peut excéder douze mois. Les mesures sont levées dès que les conditions prévues à l'article L. 228-1 ne sont plus satisfaites. / Toute décision de renouvellement des obligations prévues aux 1° à 3° du présent article est notifiée à la personne concernée au plus tard cinq jours avant son entrée en vigueur. Si la personne concernée saisit le juge administratif d'une demande présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative dans un délai de quarante-huit heures à compter de la notification de la décision, la mesure ne peut entrer en vigueur avant que le juge ait statué sur la demande. / La personne soumise aux obligations prévues aux 1° à 3° du présent article peut, dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision ou à compter de la notification de chaque renouvellement, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision. Le tribunal administratif statue dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Ces recours s'exercent sans préjudice des procédures prévues aux articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ".

3. Il résulte de l'instruction que M. A...B..., de nationalité française et tunisienne, a été condamné en comparution immédiate par le tribunal correctionnel de Grenoble, le 12 août 2016, à une peine de dix-huit mois d'emprisonnement dont neuf mois avec sursis avec mandat de dépôt à l'audience, assortie d'une mise à l'épreuve de deux ans, pour avoir fait publiquement l'apologie d'actes de terrorisme en utilisant un service de communication au public en ligne. A l'issue de son incarcération, il a fait l'objet, le 17 février 2017, d'une assignation à résidence sur le fondement de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955. Cette assignation à résidence a été renouvelée par un arrêté du 13 juillet 2017. Le 19 juillet 2017, il a été interpellé sur la voie publique alors qu'il devait se trouver à son domicile et a été placé en détention provisoire. Il a été condamné de ce chef à une peine de deux mois d'emprisonnement par un jugement du tribunal correctionnel de Grenoble en date du 6 septembre 2017. A l'expiration de cette peine, il a fait l'objet, le 18 septembre 2017, d'un nouvel arrêté d'assignation à résidence qui a pris fin le 31 octobre 2017. Par un arrêté du 31 octobre 2017, le ministre de l'intérieur lui a fait obligation, pour une durée de trois mois, en application des dispositions des articles L. 228-1 et L. 228-2 du code de la sécurité intérieure, de ne pas se déplacer en dehors du territoire de la commune d'Echirolles sous réserve des déplacements liés à son obligation de présentation aux services de police, de se présenter tous les jours de la semaine à 19 h 30 à l'hôtel de police de Grenoble et de déclarer tout changement de son lieu d'habitation. La demande de suspension de l'exécution de cet arrêté présentée par M. A...B...a été rejetée par une ordonnance du 3 novembre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Grenoble statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, confirmée par une ordonnance du juge des référés du Conseil d'Etat du 14 décembre 2017. Le ministre de l'intérieur a renouvelé la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance pour une période de trois mois une première fois par arrêté du 26 janvier 2018 et une deuxième fois par arrêté du 24 avril 2018. M. A... B...a sollicité, le 26 juin 2018, un aménagement de la mesure afin d'occuper un emploi de chauffeur livreur et de pouvoir se déplacer dans l'ensemble des départements de la région Rhône Alpes. Cette demande a été rejetée par une décision du 28 juin 2018. Par email du 2 juillet 2018, M. A...B...a sollicité l'élargissement au département de l'Isère du périmètre à l'extérieur duquel il lui est interdit de se déplacer et a proposé son placement sous surveillance électronique. Cette demande a été rejetée par une décision du 4 juillet 2018. M. A...B...relève appel de l'ordonnance du 13 juillet 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande, présentée sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, tendant à la suspension de ce refus et à ce qu'il soit enjoint au ministre d'élargir au département de l'Isère le périmètre à l'extérieur duquel il lui est interdit de se déplacer afin de lui permettre d'exercer une activité de chauffeur-livreur pour laquelle il a obtenu une promesse d'embauche.

4. Il appartient au juge des référés de s'assurer, en l'état de l'instruction devant lui, que l'autorité administrative, opérant la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public notamment la sécurité publique, n'a pas porté d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale dans la détermination des modalités de la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance. Le juge des référés, s'il estime que les conditions définies à l'article L. 521-2 du code de justice administrative sont réunies, peut prendre toute mesure qu'il juge appropriée pour assurer la sauvegarde de la liberté fondamentale à laquelle il a été porté atteinte.

5. Il résulte de l'instruction qu'il a été constaté à deux reprises les 26 novembre 2017 et 13 mai 2018 que M. A...B...avait effectué dans la région Auvergne Rhône-Alpes des déplacements non signalés à l'extérieur du périmètre déterminé par la mesure dont il fait l'objet et que l'intéressé a été renvoyé pour ce motif devant le tribunal correctionnel de Grenoble pour comparution immédiate le 17 mai 2018. Il en résulte également que le jugement du tribunal correctionnel de Grenoble du 12 août 2016, qui a condamné M. A...B...à une peine d'emprisonnement de 18 mois dont 9 mois avec sursis, a assorti ce sursis d'une mise à l'épreuve d'une durée de 2 ans comportant notamment l'obligation d'exercice d'une activité professionnelle ou de suivi d'un enseignement ou d'une formation professionnelle sur le fondement de l'article 132-45 1° du code pénal et que, dans un rapport du 17 mai 2018, le juge de l'application des peines relève que le respect de cette obligation de travail n'est que partiel, les recherches d'emploi de l'intéressé " étant limitées du fait de son assignation à résidence " et préconise, compte tenu du non respect de son assignation, la révocation du sursis. Si M. A...B...invoque la circonstance que le marché de l'emploi à Echirolles serait saturé, il ne l'établit pas. Certes, il fait aussi valoir qu'il lui est particulièrement difficile de trouver un travail à Echirolles, en particulier un travail n'impliquant pas de déplacement hors de cette commune, compte tenu de la mesure individuelle de contrôle administratif et de surveillance dont il fait l'objet et de la publicité qui entoure localement sa surveillance, ce qui dissuade de très nombreux employeurs de recourir à ses services. Toutefois le travail pour lequel il a formulé sa demande d'élargissement du périmètre n'est pas un travail sédentaire, tel que serveur dans un restaurant pour lequel le ministère de l'intérieur lui avait délivré un sauf-conduit afin de pouvoir l'exercer à Béziers en janvier 2018 ou encore vendeur de fruits et légumes qu'il a exercé à Grenoble jusqu'en juin 2017, situé dans une commune autre qu'Echirolles mais un emploi de chauffeur-livreur le conduisant à se déplacer au moyen d'un camion en de multiples lieux du département de l'Isère, sans que l'administration puisse connaître à l'avance le planning quotidien de ces livraisons. L'administration fait valoir que, tout en restant dans le périmètre du département de l'Isère et même assorti du port d'un bracelet électronique permettant de le géolocaliser, les conditions d'exercice de ce travail serait en contradiction avec l'objectif poursuivi par la mesure dont il fait l'objet et dont il n'a pas contesté les motifs, compte tenu du risque qu'il représente pour la sécurité publique. Dans ces conditions, eu égard aux déplacements qui doivent être quotidiennement effectués par le titulaire de cet emploi et à leur caractère imprévisible, il n'apparaît pas qu'en l'état de l'instruction le refus du ministre d'Etat, ministre de l'intérieur d'élargir le périmètre de la mesure pour permettre à M. A...B...l'exercice de cet emploi aurait apporté une atteinte grave et manifestement illégale aux libertés fondamentales invoquées.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner si la condition d'urgence est en l'espèce remplie, que M. A...B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Par suite, il y a lieu de rejeter sa requête, y compris les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

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Article 1er : La requête de M. A...B...est rejetée.

Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C...A...B...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 422322
Date de la décision : 26/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2018, n° 422322
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : GALY

Origine de la décision
Date de l'import : 07/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:422322.20180726
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