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26/07/2018 | FRANCE | N°420946

France | France, Conseil d'État, 8ème chambre, 26 juillet 2018, 420946


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 420946, par une requête, enregistrée le 25 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les énonciations des paragraphes 70 et 180 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-CF-COM-20-20 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous l

e n° 420947, par une requête, enregistrée le 25 mai 2018 au secrétariat du contentieux ...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 420946, par une requête, enregistrée le 25 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A... B...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les énonciations des paragraphes 70 et 180 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-CF-COM-20-20 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 420947, par une requête, enregistrée le 25 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, la SARL Tawak demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler pour excès de pouvoir les énonciations des paragraphes 70 et 180 des commentaires administratifs publiés au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP)- impôts le 12 septembre 2012 sous la référence BOI-CF-COM-20-20 ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales, notamment son article L. 16 B ;

- la décision n° 2010-19/27 QPC du Conseil constitutionnel du 30 juillet 2010 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Alexandre Koutchouk, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. Les requêtes visées ci-dessus sont dirigées contre les énonciations des mêmes commentaires administratifs et présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. En vertu de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, l'autorité judiciaire, saisie par l'administration fiscale, peut, lorsqu'elle estime qu'il existe des présomptions qu'un contribuable se soustrait frauduleusement à l'établissement ou au paiement des impôts sur le revenu ou sur les bénéfices ou des taxes sur le chiffre d'affaires, autoriser les agents de l'administration des impôts habilités à cet effet à rechercher la preuve de ces agissements, en effectuant des visites en tous lieux, même privés, où les pièces et documents s'y rapportant sont susceptibles d'être détenus ou d'être accessibles ou disponibles et procéder à leur saisie, dans les conditions prévues au II de cet article, aux termes duquel, dans sa version applicable au litige : " Chaque visite doit être autorisée par une ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel sont situés les lieux à visiter. / (...) Le juge doit vérifier de manière concrète que la demande d'autorisation qui lui est soumise est bien fondée ; cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite. / L'ordonnance comporte : / a) L'adresse des lieux à visiter ; / b) Le nom et la qualité du fonctionnaire habilité qui a sollicité et obtenu l'autorisation de procéder aux opérations de visite ; / c) L'autorisation donnée au fonctionnaire qui procède aux opérations de visite de recueillir sur place, dans les conditions prévues au III bis, des renseignements et justifications auprès de l'occupant des lieux ou de son représentant et, s'il est présent, du contribuable (...), ainsi que l'autorisation de demander à ceux-ci de justifier pendant la visite de leur identité et de leur adresse, dans les mêmes conditions. / d) La mention de la faculté pour le contribuable de faire appel à un conseil de son choix. / L'exercice de cette faculté n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie. / Le juge motive sa décision par l'indication des éléments de fait et de droit qu'il retient et qui laissent présumer, en l'espèce, l'existence des agissements frauduleux dont la preuve est recherchée. / (...) La visite et la saisie de documents s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. À cette fin, il donne toutes instructions aux agents qui participent à ces opérations. / Il désigne un officier de police judiciaire chargé d'assister à ces opérations et de le tenir informé de leur déroulement. / Il peut, s'il l'estime utile, se rendre dans les locaux pendant l'intervention. / À tout moment, il peut décider la suspension ou l'arrêt de la visite. / L'ordonnance est exécutoire au seul vu de la minute. / L'ordonnance est notifiée verbalement et sur place au moment de la visite, à l'occupant des lieux ou à son représentant (...). / Le délai et la voie de recours sont mentionnés dans l'ordonnance. / L'ordonnance peut faire l'objet d'un appel devant le premier président de la cour d'appel. (...) / L'ordonnance du premier président de la cour d'appel est susceptible d'un pourvoi en cassation (...). " Aux termes du III bis du même article : " Au cours de la visite, les agents des impôts habilités peuvent recueillir, sur place, des renseignements et justifications concernant les agissements du contribuable (...) auprès de l'occupant des lieux ou de son représentant et, s'il est présent, de ce contribuable, après les avoir informés que leur consentement est nécessaire. Ces renseignements et justifications sont consignés dans un compte rendu annexé au procès-verbal (...) et qui est établi par les agents des impôts et signé par ces agents, les personnes dont les renseignements et justifications ont été recueillis ainsi que l'officier de police judiciaire présent. / Les agents des impôts peuvent demander à l'occupant des lieux ou à son représentant et au contribuable, s'ils y consentent, de justifier de leur identité et de leur adresse. / Mention des consentements est portée au compte rendu ainsi que, le cas échéant, du refus de signer ".

Sur les conclusions des requêtes tendant à l'annulation des énonciations du paragraphe 180 des commentaires administratifs attaqués :

3. Le paragraphe 180 des commentaires administratifs publiés le 12 septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - impôts sous la référence BOI-CF-COM-20-20, relatif aux conditions préalables au recueil de renseignements et de justifications dans le cadre de l'exercice du droit de visite et de saisie comme procédure de recherche et de lutte contre la fraude fiscale, énonce que : " La personne interrogée est préalablement informée que son consentement est nécessaire, tant pour le recueil de renseignements que pour la justification d'adresse et d'identité ".

4. Les requérants contestent la légalité de ce paragraphe, qui a pour objet d'éclairer la portée des dispositions du III bis de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales citées au point 2, en tant qu'il ne précise pas que la personne qui fait l'objet de la visite domiciliaire a le droit de garder le silence. Toutefois, dès lors qu'il ne comporte aucune mention relative au droit dont disposerait ou non le contribuable de garder le silence au cours des opérations de visite domiciliaire et ne prend nullement position sur cette question, le paragraphe en cause ne peut être regardé comme comportant dans cette mesure une interprétation de la loi susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir. Les conclusions tendant à leur annulation sont, par suite, irrecevables. Il en résulte, sans qu'il soit besoin pour le Conseil d'État de se prononcer sur le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par chacun des requérants, tirée de ce que le III bis de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, qu'elles doivent être rejetées.

Sur les conclusions des requêtes tendant à l'annulation des énonciations du paragraphe 70 des commentaires administratifs attaqués :

5. Le paragraphe 70 des commentaires administratifs mentionnés au point 3, relatif aux conditions de forme de l'exercice du droit de visite et de saisie, notamment au rôle de l'autorité judiciaire à cet égard, rappelle que le juge des libertés et de la détention (JLD) du tribunal de grande instance (TGI), qui peut seul délivrer une ordonnance de visite dans les lieux qui ressortissent à la compétence du tribunal, doit vérifier de manière concrète le bien-fondé de la demande qui lui est faite par l'administration fiscale. Les commentaires indiquent que cette demande doit comporter tous les éléments d'information en possession de l'administration de nature à justifier la visite. Ils précisent que l'ordonnance de visite doit notamment comporter la mention de la faculté pour le contribuable de faire appel à un conseil de son choix et indiquent, à titre de remarque, que : " L'exercice de cette faculté par le contribuable n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie. Ainsi, si le contribuable n'arrive pas à joindre son conseil, cela n'entraîne aucune conséquence sur le déroulement et sur la validité de la procédure de visite et de saisie. Il en va de même dans le cas où le conseil ne peut se rendre sur les lieux avant la fin de la visite (...) ".

En ce qui concerne la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par chacun des deux requérants :

6. Aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (...) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'État (...) ". Il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

7. Les requérants soutiennent que les dispositions du II de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales citées au point 2, en tant qu'elles prévoient que l'exercice par le contribuable de sa faculté de faire appel à un conseil de son choix n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie, portent atteinte au principe du respect des droits de la défense qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

8. Toutefois, les dispositions du II de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, dans leur version issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, qui prévoient notamment que l'exercice par le contribuable de sa faculté de faire appel à un conseil de son choix n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie, ont été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010, sans qu'aucun changement de circonstances de droit ou de fait ne soit depuis lors intervenu qui, affectant la portée des dispositions législatives critiquées applicables au litige, en justifierait le réexamen. Par suite, les conditions auxquelles les dispositions de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel subordonnent le renvoi au Conseil constitutionnel de la question prioritaire de constitutionnalité ne sont pas satisfaites. Ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, le moyen tiré de ce que le II de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doit être écarté.

En ce qui concerne l'autre moyen des requêtes :

9. Les requérants soulèvent, à l'appui de leur recours pour excès de pouvoir dirigé contre les énonciations, citées au point 5, du paragraphe 70 des commentaires administratifs attaqués, un moyen tiré de la méconnaissance du principe constitutionnel des droits de la défense. Dès lors que ces énonciations se bornent à réitérer des dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales déclarées, ainsi qu'il a été dit au point 8, conformes à la Constitution dans leur version applicable au litige, ce moyen ne peut qu'être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que les requêtes de M. B... et de la société Tawak doivent être rejetées, y compris leurs conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. B... et par la SARL Tawak, relative aux dispositions du II de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, en tant qu'elles prévoient que l'exercice par le contribuable de sa faculté de faire appel à un conseil de son choix n'entraîne pas la suspension des opérations de visite et de saisie.

Article 2 : Les requêtes de M. B... et de la SARL Tawak sont rejetées.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A... B...et à la société à responsabilité limitée Tawak.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au ministre de l'action et des comptes publics.


Synthèse
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 420946
Date de la décision : 26/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 26 jui. 2018, n° 420946
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Alexandre Koutchouk
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert

Origine de la décision
Date de l'import : 31/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:420946.20180726
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