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18/07/2018 | FRANCE | N°410690

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 18 juillet 2018, 410690


Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 19 mai, 11 octobre et 21 décembre 2017 et 9 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société NRJ demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la mise en garde du président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 5 décembre 2016 concernant les conséquences de manquements à ses obligations conventionnelles de diffusion de titres et de nouveaux talents francophones, ensemble la décision implicite par laquelle le CSA a rejeté son rec

ours gracieux dirigé contre cette mise en garde ;

2°) d'annuler la communica...

Vu la procédure suivante :

Par une requête, un mémoire en réplique et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 19 mai, 11 octobre et 21 décembre 2017 et 9 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société NRJ demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler la mise en garde du président du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) du 5 décembre 2016 concernant les conséquences de manquements à ses obligations conventionnelles de diffusion de titres et de nouveaux talents francophones, ensemble la décision implicite par laquelle le CSA a rejeté son recours gracieux dirigé contre cette mise en garde ;

2°) d'annuler la communication du CSA du 23 novembre 2016 sur la méthode de vérification du respect par les radios de leurs obligations de diffusion de chansons d'expression française, ensemble la décision implicite par laquelle le CSA a rejeté sa demande tendant à l'abrogation de cette communication ;

3°) de mettre à la charge du CSA une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, notamment ses articles 34 et 56 ;

- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 ;

- la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Guillaume Leforestier, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

1. Considérant que l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication subordonne la délivrance de l'autorisation d'usage de la ressource radioélectrique à tout service diffusé par voie hertzienne terrestre, autre que ceux exploités par les sociétés nationales de programme, à la conclusion d'une convention passée entre le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) au nom de l'Etat et la personne qui demande l'autorisation ; qu'aux termes du premier alinéa du 2° bis de cet article, cette convention porte notamment sur " la proportion substantielle d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France, qui doit atteindre un minimum de 40 % de chansons d'expression française, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions, diffusées aux heures d'écoute significative par chacun des services de radio autorisés par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, pour la part de ses programmes composée de musique de variétés " ; que les alinéas suivants de ce même 2° bis prévoient, pour les radios répondant à certains critères, des règles de quotas dérogatoires portant notamment sur la programmation de nouveaux talents et de nouvelles productions ; que la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a complété le 2° bis par un alinéa introduisant un mécanisme dit de " plafonnement des rotations " ou " malus ", ainsi défini : " Dans l'hypothèse où plus de la moitié du total des diffusions d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France se concentre sur les dix oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France les plus programmées par un service, les diffusions intervenant au-delà de ce seuil ou n'intervenant pas à des heures d'écoute significative ne sont pas prises en compte pour le respect des proportions fixées par la convention pour l'application du présent 2° bis " ;

2. Considérant que la société NRJ demande l'annulation pour excès de pouvoir, d'une part, d'une communication du CSA du 23 novembre 2016 relative à la mise en oeuvre de ces dispositions législatives, ainsi que de la décision rejetant sa demande de retrait de cette communication, et, d'autre part, d'une mise en garde relative au respect des mêmes dispositions, contenue dans un courrier du président du conseil supérieur du 5 décembre 2016, ainsi que du rejet de son recours gracieux contre cette mise en garde ;

Sur la communication du 23 novembre 2016 :

3. Considérant que, par une communication du 23 novembre 2016, le CSA a indiqué la méthode qu'il entendait mettre en oeuvre pour vérifier le respect, par les éditeurs de services de radio, des dispositions citées au point 1 ; que cette communication constitue une prise de position de l'autorité de régulation revêtant le caractère de dispositions générales et impératives et ayant, de surcroît, pour objet d'influer sur le comportement des services de radio ; qu'elle peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ;

En ce qui concerne le respect des dispositions du 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 :

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de la communication attaquée : " Le "malus" s'applique à la fois :/ - au respect des engagements de quota global de chanson d'expression française ;/ - et au respect des engagements souscrits, en fonction du régime choisi, en matière de chansons d'expression française émanant soit de nouveaux talents, soit de nouvelles productions, soit de nouveaux talents ou nouvelles productions " ; qu'il résulte des dispositions du dernier alinéa du 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, cité au point 1, que la règle selon laquelle il n'est pas tenu compte des diffusions des dix oeuvres les plus programmées intervenant alors que les diffusions de ces oeuvres représentent déjà la moitié du total des diffusions ne concerne pas seulement l'appréciation du respect du quota de 40 % de titres francophones ; que, contrairement à ce que soutient la société requérante, elle concerne aussi l'appréciation du respect du quota de titres provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions ; que le CSA a fait sur ce point une exacte interprétation de ces dispositions législatives ;

5. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de la communication attaquée : " Pour vérifier le respect des quotas, le Conseil ne prend pas en compte les diffusions des dix titres francophones intervenant au-delà de 50 % du total des titres francophones diffusés. Ces diffusions sont par conséquent retirées du sous-total des diffusions des titres francophones, c'est-à-dire du numérateur " ; qu'il résulte des dispositions du 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986, citées au point 1, que les quotas qu'elles prévoient sont calculés en proportion de l'ensemble de la programmation de musique de variétés de chaque radio ; que par suite, en ne prévoyant pas la soustraction des diffusions excédentaires du total des diffusions qui figure au dénominateur servant au calcul du quota, le CSA n'a pas fait une inexacte application de ces dispositions ;

En ce qui concerne la compatibilité entre ces dispositions et le droit de l'Union européenne :

6. Considérant qu'aux termes de l'article 34 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " Les restrictions quantitatives à l'importation ainsi que toutes mesures d'effet équivalent, sont interdites entre les États membres " ; qu'aux termes de l'article 56 de ce traité : " Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États membres établis dans un État membre autre que celui du destinataire de la prestation (...) " ; que la société requérante soutient que la communication attaquée et les dispositions législatives qu'elle met en oeuvre méconnaissent ces stipulations en apportant aux importations et à la libre prestation des services dans l'Union des restrictions qui ne sont ni nécessaires pour atteindre l'objectif d'intérêt général défini par le législateur, ni proportionnées à cet objectif ;

7. Considérant que l'obligation faite aux titulaires d'autorisations d'usage de la ressource radioélectrique de diffuser une proportion substantielle d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France constitue un élément de politique culturelle défini par le législateur dans l'intérêt général et ayant pour but d'assurer à la fois la défense et la promotion de la langue française et des langues de France et le renouvellement du patrimoine musical francophone ; que le dispositif de " plafonnement des rotations " introduit au 2° bis de l'article 28 de la loi du 30 septembre 1986 et mis en oeuvre par la communication attaquée n'a pas pour objet d'augmenter la proportion de chansons d'expression française diffusées par les éditeurs de services de radio, mais vise seulement à favoriser la diversité des titres francophones programmés ; qu'à supposer même qu'il ait pour effet indirect de conduire les éditeurs qui maintiendraient un niveau important de rotation des mêmes titres à programmer une quantité plus importante de chansons d'expression française au détriment du répertoire en langue étrangère, la restriction quantitative à l'importation de marchandises ou la limitation à la libre prestation des services qui en résulteraient seraient justifiées par l'objectif d'intérêt général qui vient d'être rappelé, alors au surplus qu'elles trouveraient leur origine dans le choix des éditeurs concernés de ne pas diversifier la programmation francophone afin de maintenir une même part de chansons en langue étrangère ; qu'ainsi les dispositions de l'article 2° bis de l'article 28, telles qu'elles résultent de la loi du 7 juillet 2016 précitée, n'apparaissent pas disproportionnées par rapport à l'objectif poursuivi, dès lors qu'elles sont propres à en garantir la réalisation et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre ;

8. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 3 à 7 que la société NRJ n'est fondée à demander l'annulation ni de la communication attaquée, ni de la décision par laquelle le CSA a refusé de la retirer ;

Sur la mise en garde du 5 décembre 2016 :

9. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, le 5 décembre 2016, le président du CSA a adressé à la société NRJ un courrier aux termes duquel le conseil supérieur la " met en garde contre les conséquences que pourrait entraîner le renouvellement de (...) manquements " à ses obligations de diffusion de chansons d'expression française et lui " demande expressément de (se) conformer aux obligations de la convention " qui définit ces obligations ; que ce courrier, qui se borne à rappeler à son destinataire la nécessité de se conformer à ses obligations, n'a pas le caractère d'une décision faisant grief, susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir ; que les conclusions présentées par la société NRJ et tendant à l'annulation de cette mise en garde et du recours gracieux qu'elle a formé contre elle sont, par suite, irrecevables et doivent être rejetées pour ce motif ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge du CSA qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : La requête de la société NRJ est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société NRJ et au Conseil supérieur de l'audiovisuel.

Copie en sera adressée à la ministre de la culture.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 410690
Date de la décision : 18/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

56-04-01-02 RADIO ET TÉLÉVISION. SERVICES PRIVÉS DE RADIO ET DE TÉLÉVISION. SERVICES DE RADIO. CONDITIONS DE PROGRAMMATION ET DE DIFFUSION. - PROPORTION D'OEUVRES MUSICALES D'EXPRESSION FRANÇAISE OU INTERPRÉTÉES DANS UNE LANGUE RÉGIONALE EN USAGE EN FRANCE DIFFUSÉES PAR LES SERVICES DE RADIO (2° BIS DE L'ART. 28 DE LA LOI N° 86-1067 DU 30 SEPTEMBRE 1986) - MÉCANISME DIT DE PLAFONNEMENT DES ROTATIONS OU DE MALUS (DERNIER AL. DU 2° BIS DE CET ART.) [RJ1] - 1) MÉCANISME CONCERNANT NON SEULEMENT LE RESPECT DU QUOTA DE TITRES FRANCOPHONES, MAIS AUSSI L'APPRÉCIATION DU RESPECT DU QUOTA DE TITRES PROVENANT DE NOUVEAUX TALENTS OU DE NOUVELLES PRODUCTIONS - EXISTENCE - 2) CALCUL - SOUSTRACTION DES DIFFUSIONS EXCÉDENTAIRES DU TOTAL DES DIFFUSIONS QUI FIGURE AU DÉNOMINATEUR SERVANT AU CALCUL DU QUOTA - ABSENCE.

56-04-01-02 Le 2° bis de l'article 28 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 dispose que la convention qu'il prévoit porte notamment sur la proportion substantielle d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France, qui doit atteindre un minimum de 40 % de chansons d'expression française, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions, diffusées aux heures d'écoute significative par chacun des services de radio (...), pour la part de ses programmes composée de musique de variétés. Pour les radios répondant à certains critères, des règles de quotas dérogatoires, portant notamment sur la programmation de nouveaux talents et de nouvelles productions, sont prévues. La loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 a introduit, au dernier alinéa du 2° bis de cet article, un mécanisme dit de plafonnement des rotations ou malus, ainsi défini : dans l'hypothèse où plus de la moitié du total des diffusions d'oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France se concentre sur les dix oeuvres musicales d'expression française ou interprétées dans une langue régionale en usage en France les plus programmées par un service, les diffusions intervenant au-delà de ce seuil ou n'intervenant pas à des heures d'écoute significatives ne sont pas prises en compte pour le respect des proportions fixée par la convention (...).,,,1) D'une part, il résulte du dernier alinéa du 2° bis de cet article que la règle selon laquelle il n'est pas tenu compte des diffusions des dix oeuvres les plus programmées intervenant alors que les diffusions de ces oeuvres représentent déjà la moitié du total des diffusions ne concerne pas seulement l'appréciation du respect du quota de 40 % de titres francophones. Elle concerne aussi l'appréciation du respect du quota de titres provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions.,,,2) D'autre part, il résulte du 2° bis de cet article que les quotas qu'il prévoit sont calculés en proportion de l'ensemble de la programmation de musique de variétés de chaque radio. Par suite, cet article exclut que les diffusions excédentaires soient soustraites du total des diffusions qui figure au dénominateur servant au calcul du quota.


Références :

[RJ1]

Cf. décisions du même jour, Société SERC Fun Radio et autres, n°s 410896, 410963, 412296, Société Ado FM, n° 414527, inédites au Recueil.


Publications
Proposition de citation : CE, 18 jui. 2018, n° 410690
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Guillaume Leforestier
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion

Origine de la décision
Date de l'import : 18/06/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:410690.20180718
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