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12/07/2018 | FRANCE | N°419933

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 12 juillet 2018, 419933


Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Altho a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des rappels de taxe spéciale sur les huiles végétales et alimentaires auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013 à concurrence de la différence des sommes mises à sa charge et, à titre principal, de celles qui résultent de l'application de la méthode forfaitaire prévue au 3ème alinéa du II de l'article 1609 vicies du code général des impôts ou, à titre subsidiaire, de celles qui résultent d'une taxa

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Vu la procédure suivante :

La société par actions simplifiée (SAS) Altho a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des rappels de taxe spéciale sur les huiles végétales et alimentaires auxquels elle a été assujettie au titre des années 2011 à 2013 à concurrence de la différence des sommes mises à sa charge et, à titre principal, de celles qui résultent de l'application de la méthode forfaitaire prévue au 3ème alinéa du II de l'article 1609 vicies du code général des impôts ou, à titre subsidiaire, de celles qui résultent d'une taxation de la quantité d'huile effectivement présente dans sa production ou, à titre infiniment subsidiaire, de celles qui découlent de l'application des exonérations des huiles utilisées pour un usage autre qu'alimentaire.

La société Altho, à l'appui de sa demande tendant à obtenir la décharge partielle des rappels de taxe spéciale sur les huiles végétales et alimentaires, a produit un mémoire, enregistré le 25 janvier 2018 au greffe de ce même tribunal, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel elle soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1704003 du 17 avril 2018, enregistrée le 18 avril 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 2ème chambre de ce tribunal, avant qu'il ne soit statué sur la demande de la société Altho, a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article 1609 vicies du code général des impôts.

Dans la question prioritaire de constitutionnalité transmise, la société Altho soutient que l'article 1609 vicies du code général des impôts, applicable au litige, méconnaît le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques tels qu'ils découlent des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789.

Par un mémoire, enregistré le 16 mars 2018, le directeur de la direction spécialisée de contrôle fiscal Centre-Ouest soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux.

Par un mémoire, enregistré le 3 mai 2018 au secrétariat de la section du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics soutient que les conditions posées par l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question, qui n'est pas nouvelle, est dépourvue de caractère sérieux.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code général des impôts, notamment l'article 1609 vicies ;

- la loi n° 99-1172 du 30 décembre 1999, notamment son article 53 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville, auditeur,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Célice, Soltner, Texidor, Perier, avocat de la société Altho.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiée Altho a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre des années 2011 à 2013, à l'issue de laquelle l'administration lui a notifié des rappels de taxe spéciale sur les huiles végétales, en application des dispositions de l'article 1609 vicies du code général des impôts, à raison d'acquisitions intra-communautaires d'huiles taxables qu'elle aurait omis de déclarer. La société Altho a saisi le tribunal administratif de Rennes d'une demande tendant à la décharge partielle de ces impositions supplémentaires. Par mémoire distinct, elle a demandé à ce même tribunal de transmettre au Conseil d'Etat la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 1609 vicies du code général des impôts. Par une ordonnance du 17 avril 2018, le président de la 2ème chambre de ce tribunal a transmis la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société requérante et sursis à statuer jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette dernière.

2. Il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'Etat a transmis à ce dernier, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité à la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux.

3. Aux termes de l'article 1609 vicies du code général des impôts dans sa version applicable au litige : " I. Il est institué au profit de l'organisme mentionné à l'article L. 731-1 du code rural et de la pêche maritime, en France continentale et en Corse, une taxe spéciale sur les huiles végétales, fluides ou concrètes, effectivement destinées, en l'état ou après incorporation dans tous produits alimentaires, à l'alimentation humaine. / Cette taxe est due : / a) Pour les huiles fabriquées en France continentale et en Corse, sur toutes les ventes ou livraisons à soi-même de ces huiles par les producteurs ; / b) Pour les huiles importées en France continentale et en Corse (y compris les huiles d'animaux marins qui, pour l'assujettissement à la taxe spéciale, sont assimilées aux huiles végétales alimentaires), lors de l'importation ; / c) Pour les huiles qui font l'objet d'une acquisition intracommunautaire lors de l'acquisition. / II. Les taux de la taxe sont révisés chaque année au mois de décembre, par arrêté du ministre chargé du budget publié au Journal officiel, en fonction de l'évolution prévisionnelle en moyenne annuelle pour l'année suivante des prix à la consommation de tous les ménages hors les prix du tabac. Les évolutions prévisionnelles prises en compte sont celles qui figurent au rapport économique, social et financier annexé au dernier projet de loi de finances. / Pour les produits alimentaires importés ou qui font l'objet d'une acquisition intracommunautaire incorporant des huiles imposables, la taxation est effectuée selon les quantités et les natures d'huile entrant dans la composition. / Toutefois, pour les produits autres que la margarine, le redevable peut demander l'application d'un tarif forfaitaire, fixé par arrêté du ministre du budget sur des bases équivalentes à celles qui sont retenues pour les produits similaires d'origine nationale. / III. Les huiles, y compris celles qui sont contenues dans les produits alimentaires visés ci-dessus, exportées de France continentale et de Corse, qui font l'objet d'une livraison exonérée en vertu du I de l'article 262 ter ou d'une livraison dans un lieu situé dans un autre Etat membre de la Communauté européenne en application de l'article 258 A, ne sont pas soumises à la taxe spéciale. / IV. La taxe spéciale est établie et recouvrée selon les modalités, ainsi que sous les sûretés, garanties et sanctions applicables aux taxes sur le chiffre d'affaires. / Sont toutefois fixées par décret les mesures particulières et prescriptions d'ordre comptable notamment, nécessaires pour que la taxe spéciale ne frappe que les huiles effectivement destinées à l'alimentation humaine, pour qu'elle ne soit perçue qu'une seule fois, et pour qu'elle ne soit pas supportée en cas d'exportation, de livraison exonérée en vertu du I de l'article 262 ter ou de livraison dans un lieu situé dans un autre Etat membre de la Communauté européenne en application de l'article 258 A ".

4. Il résulte de ces dispositions que sont redevables de la taxe les producteurs et importateurs d'huiles destinées à être incorporées dans des produits élaborés pour l'alimentation humaine, à raison des quantités d'huiles produites ou importées, ainsi que les importateurs de produits destinés à l'alimentation humaine qui contiennent des huiles taxables, à raison des quantités d'huiles effectivement présentes dans le produit fini. Elles prévoient par ailleurs la possibilité, pour ces derniers redevables, d'opter pour une imposition, non à raison de la teneur exacte en huile, mais par application d'un tarif forfaitaire en fonction de l'huile présente dans le produit fini. La société requérante soutient que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques en ce qu'elles traitent différemment les producteurs français de produits alimentaires qui y incorporent des huiles taxables et les importateurs de tels produits contenant ces mêmes huiles, d'une part, en faisant supporter par les premiers une taxe assise sur les volumes d'huiles acquis par eux, y compris l'huile perdue pendant le processus de fabrication, alors que les seconds ne sont taxés qu'à raison des seules quantités d'huiles effectivement présentes dans le produit fini et, d'autre part, en réservant aux seconds seulement le bénéfice de l'imposition au forfait.

5. En premier lieu, le IV de l'article 1609 vicies précité renvoie au pouvoir règlementaire le soin de prendre des mesures garantissant que seules les huiles effectivement destinées à être incorporées dans des produits d'alimentation humaine consommés en France, qu'ils y aient été élaborés ou qu'ils aient été importés, donnent lieu, une seule fois, à imposition à la taxe spéciale sur les huiles. En application de ces dispositions, les fabricants français de produits alimentaires contenant des huiles taxables peuvent notamment demander, dans des conditions précisées par les articles 331 N et suivants de l'annexe III au code général des impôts, la restitution de la fraction du montant de la taxe qu'ils ont supportée correspondant aux volumes d'huiles qu'ils ont acquis sans les incorporer effectivement dans les produits. Il suit de là que ces dispositions n'instaurent aucune différence de traitement entre les fabricants de produits alimentaires et les importateurs de tels produits pour la détermination de l'assiette de la taxe. Par ailleurs, si, en application du II de cet article, les importateurs de produits alimentaires sont taxés à raison des volumes nets incorporés dans les produits là où les fabricants français supportent la taxe à raison des volumes d'huiles qu'ils achètent, avant d'obtenir le cas échéant, ainsi qu'il a été dit, le remboursement de la fraction de l'impôt ainsi supporté correspondant à des huiles non incorporées dans des produits d'alimentation humaine, une telle différence dans les modalités d'imposition est justifiée par la différence de situation tenant à l'impossibilité de taxer en France les importateurs de produits alimentaires à raison des volumes d'huiles acquis par les producteurs étrangers de ceux-ci. Il en résulte que la société requérante n'est pas fondée à soutenir que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d'égalité devant la loi ou au principe d'égalité devant les charges publiques en tant qu'elles régissent le mode de taxation des huiles respectivement contenues dans les produits alimentaires fabriqués en France et dans les produits importés.

6. En second lieu, le dernier alinéa du II de l'article 1609 vicies réserve la possibilité, pour les seuls importateurs de produits alimentaires, de choisir entre une imposition déterminée, ainsi qu'il a été rappelé au point 5, selon les quantités et les natures d'huile entrant dans la composition des produits importés ou une imposition par application d'un tarif forfaitaire fixé par arrêté du ministre chargé du budget. La société requérante soutient qu'en réservant aux seuls importateurs de produits alimentaires cette seconde possibilité, les dispositions en cause méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et le principe d'égalité devant les charges publiques, tels qu'ils découlent des articles 6 et 13 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen. Toutefois, dès lors que ces dispositions impliquent que le ministre, afin précisément de préserver l'égalité de traitement entre produits domestiques et produits importés à teneur oléique comparable, arrête et, en tant que de besoin, actualise les tarifs " sur des bases équivalentes à celles retenues pour les produits similaires d'origine nationale ", le moyen tiré de ce qu'elles instaureraient une différence injustifiée de traitement entre producteurs français et importateurs ne peut qu'être écarté. Si la société Altho soutient en outre que le législateur a insuffisamment encadré l'intervention du pouvoir règlementaire pour la fixation des tarifs, la méconnaissance par le législateur de l'étendue de sa compétence dans la détermination de l'assiette ou du taux d'une imposition n'affecte, par elle-même, aucun droit ou liberté que la Constitution garantit.

7. Il suit de là que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société requérante, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux. Par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.

D E C I D E :

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Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société par actions simplifiée Altho.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société par actions simplifiée Altho et au ministre de l'action et des comptes publics.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 419933
Date de la décision : 12/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 12 jui. 2018, n° 419933
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Vincent Ploquin-Duchefdelaville
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP CELICE, SOLTNER, TEXIDOR, PERIER

Origine de la décision
Date de l'import : 17/07/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:419933.20180712
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