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09/07/2018 | FRANCE | N°410817

France | France, Conseil d'État, 6ème et 5ème chambres réunies, 09 juillet 2018, 410817


Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2013-005 du 24 avril 2014, la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne a déclaré M. C...E..., M. D...B..., Mme C... B...et la SCI Les Lauriers conjointement et solidairement comptables de fait des deniers de la commune d'Epinal (Vosges) et leur a demandé de produire un compte unique de la gestion de fait dans un délai de deux mois ainsi que la preuve du reversement du solde dans les caisses du comptable public.

Par un arrêt n° S 2017-0389 du 23 mars 2017, la Cour des comptes a rejeté l'appel formé par MM. E...etB.

.., A...B...et la SCI les Lauriers contre ce jugement.

Par un pourvo...

Vu la procédure suivante :

Par un jugement n° 2013-005 du 24 avril 2014, la chambre régionale des comptes de Champagne-Ardenne a déclaré M. C...E..., M. D...B..., Mme C... B...et la SCI Les Lauriers conjointement et solidairement comptables de fait des deniers de la commune d'Epinal (Vosges) et leur a demandé de produire un compte unique de la gestion de fait dans un délai de deux mois ainsi que la preuve du reversement du solde dans les caisses du comptable public.

Par un arrêt n° S 2017-0389 du 23 mars 2017, la Cour des comptes a rejeté l'appel formé par MM. E...etB..., A...B...et la SCI les Lauriers contre ce jugement.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 23 mai et 23 août 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. E...demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cet arrêt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des juridictions financières ;

- la loi n° 63-156 du 23 février 1963 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Baraduc, Duhamel, Rameix, avocat de M.E....

Considérant ce qui suit :

1. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, par une délibération du 28 septembre 2000, le conseil municipal d'Epinal (Vosges) a décidé d'inscrire la fonction de directeur général des services de la commune sur la liste des emplois pour lesquels un logement de fonction peut être attribué par nécessité absolue de service. Par un contrat du 27 septembre 2001, régulièrement renouvelé par la suite, M.B..., qui occupait alors un logement lui appartenant situé en dehors d'Epinal, a été recruté en qualité de directeur général des services de la ville d'Epinal. Par un bail du 6 août 2002, la commune d'Epinal a loué auprès de la SCI " Les Lauriers ", détenue et gérée par M. et MmeB..., un bien immobilier destiné au logement du directeur général des services. Par un arrêté du 30 août 2002, l'adjoint au maire d'Epinal en charge du personnel a, par délégation du maire, M.E..., concédé ce logement à M.B.... Enfin, par un jugement du 24 avril 2014, la chambre régionale des comptes Champagne-Ardenne, Lorraine a déclaré M.E..., M. et Mme B...et la SCI " Les Lauriers " conjointement et solidairement comptables de fait des deniers de la commune d'Epinal et leur a demandé de produire un compte unique de la gestion de fait dans un délai de deux mois ainsi que la preuve du reversement du solde dans les caisses du comptable public. M. E...se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 mars 2017 par lequel la Cour des comptes a rejeté leur appel formé contre ce jugement.

2. En vertu du XI de l'article 60 de la loi de finances du 23 février 1963, toute personne qui reçoit ou manie directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement d'une caisse publique doit rendre compte au juge financier de l'emploi des fonds ou valeurs qu'elle a irrégulièrement détenus ou maniés. L'extraction irrégulière des fonds ou valeurs d'une caisse publique inclut notamment les cas où l'objet de la dépense revêt un caractère fictif ou frauduleux.

3. Pour juger que l'opération de dépense ayant conduit à déclarer M. E... gestionnaire de fait revêtait un caractère fictif et était, dès lors, constitutive d'une extraction irrégulière de deniers publics de la caisse du comptable, la Cour des comptes s'est fondée sur les motifs tirés de ce que le bénéficiaire du logement de fonction était en mesure de se loger par ses propres moyens, de ce que l'occupation du logement en cause ne revêtait pas un caractère précaire et de ce que la SCI à laquelle étaient versés les loyers était transparente.

4. Toutefois, en premier lieu, il résulte de l'article 21 de la loi du 28 novembre 1990 relative à la fonction publique territoriale et portant modification de certains articles du code des communes que l'avantage que constitue l'attribution d'un logement de fonction, gratuitement ou moyennant une redevance, à l'agent occupant un emploi figurant sur la liste des emplois pour lequel cet avantage est prévu, arrêtée par l'organe délibérant de la collectivité en cause, est justifiée par les seules contraintes liées à l'exercice de ces fonctions. La circonstance que l'agent serait en mesure de se loger par ses propres moyens ne fait, dès lors, pas obstacle à la concession d'un tel logement.

6. En deuxième lieu, il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué et des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'avantage en cause, consistant non pas dans l'occupation du logement de fonction mais dans son attribution gratuite, était subordonné à l'exercice par l'intéressé de ses fonctions de directeur général des services et revêtait ainsi un caractère provisoire. La circonstance que l'intéressé pourrait se maintenir dans les lieux en qualité de propriétaire, dès lors que l'arrêté du 30 août 2002 lui attribuant le logement prévoyait un préavis de six mois pour le quitter, identique à celui stipulé par le bail pour le cas où la SCI souhaiterait reprendre le logement à la commune, n'est, en revanche, pas de nature à rendre fictive la décision d'attribution d'un logement de fonction.

7. En troisième et dernier lieu, compte tenu de ce qui a été dit aux deux points précédents, les seules circonstances que la SCI bénéficiaire des loyers était transparente, en ce que M. B...en était le gérant et un des associés, et qu'ainsi les sommes en cause devaient être regardées comme lui étant directement versées, ne pouvaient rendre fictifs les mandats adressés au comptable, dès lors qu'il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que la commune louait effectivement le logement à la SCI, que l'avantage consistant en l'attribution d'un logement de fonctions était subordonné à l'exercice des fonctions par l'intéressé et que la cour n'a pas caractérisé un complément de rémunération irrégulier s'ajoutant à cet avantage.

8. Il résulte de ce qui a été dit aux trois points précédents qu'en se fondant, pour regarder comme fictifs les mandats adressés au comptable, sur les motifs rappelés au point 3, la Cour des comptes a entaché son arrêt d'erreur de droit.

9. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, M. E...est fondé, pour ce motif et compte tenu du caractère d'ordre public de l'obligation de rendre compte du maniement de deniers publics ainsi que des principes d'indivisibilité des opérations de gestion de fait et de solidarité des comptables, à demander l'annulation de l'arrêt qu'il attaque, dans son entier.

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 500 euros à verser à M. E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'arrêt du 23 mars 2017 de la Cour des comptes est annulé.

Article 2 : L'affaire est renvoyée à la Cour des comptes.

Article 3 : L'Etat versera à M. E...la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. C...E...et au procureur général près la Cour des comptes.

Copie en sera adressée à M. et Mme D...B....


Synthèse
Formation : 6ème et 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 410817
Date de la décision : 09/07/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 09 jui. 2018, n° 410817
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe
Avocat(s) : SCP BARADUC, DUHAMEL, RAMEIX

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:410817.20180709
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