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14/06/2018 | FRANCE | N°408261

France | France, Conseil d'État, 6ème - 5ème chambres réunies, 14 juin 2018, 408261


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 408261, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 17 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale en tant qu'il crée l'article 1146 du code de procédure civile.

2° Sous le n° 408431, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en

réplique, enregistrés les 27 février et 29 mai 2017 et le 9 février 2018 au secrétar...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 408261, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 février et 17 octobre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. B...A...demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale en tant qu'il crée l'article 1146 du code de procédure civile.

2° Sous le n° 408431, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 février et 29 mai 2017 et le 9 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'ordre des avocats au barreau de Paris demande au Conseil d'Etat :

1) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale ;

2) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

3°) Sous le n° 408435, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 février et 29 mai 2017 et le 9 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer demande au Conseil d'Etat :

1) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale ;

2) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

4°) Sous le n° 409256, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 mars, 21 juin et 28 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Polynésie française demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale, en tant qu'il prévoit, au VI son article 41, l'applicabilité de ses articles 3 à 7 et 39 et 40 en Polynésie française.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;

- le code civil, notamment son article 229-1 ;

- le code de procédure civile ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 94-665 du 4 août 1994 ;

- la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 ;

- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Cyrille Beaufils, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Louis Dutheillet de Lamothe, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'ordre des avocats au barreau de Paris et de la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer et à la SCP de Chaisemartin, Doumic-Seiller, avocat de la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. L'article 229-1 du code civil, issu de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle dispose que : " Lorsque les époux s'entendent sur la rupture du mariage et ses effets, ils constatent, assistés chacun par un avocat, leur accord dans une convention prenant la forme d'un acte sous signature privée contresigné par leurs avocats et établi dans les conditions prévues à l'article 1374. / Cette convention est déposée au rang des minutes d'un notaire, qui contrôle le respect des exigences formelles prévues aux 1° à 6° de l'article 229-3. Il s'assure également que le projet de convention n'a pas été signé avant l'expiration du délai de réflexion prévu à l'article 229 4. / Ce dépôt donne ses effets à la convention en lui conférant date certaine et force exécutoire. ". Le décret du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale a été pris, notamment, pour l'application de ces dispositions. Les requêtes de M. A..., de l'ordre des avocats au barreau de Paris, de la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer et de la Polynésie française sont dirigées contre ce décret. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

Sur la légalité externe :

2. Il ressort des pièces des dossiers que le conseil national de l'aide juridictionnelle a été consulté sur l'ensemble des questions traitées par le décret attaqué, et, notamment, sur la production, par l'avocat, de correspondances échangées au cours de la procédure afin d'établir l'importance et le sérieux des diligences accomplies pour obtenir le paiement de la contribution de l'Etat ainsi que sur la réduction de la contribution due en cas de non-aboutissement de la procédure de divorce par consentement mutuel prévue à l'article 229-1 du code civil. Le moyen tiré de ce que les modifications apportées au projet de décret avant la consultation du Conseil d'Etat auraient rendu nécessaire une nouvelle consultation du conseil national de l'aide juridictionnelle doit être écarté.

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne l'article 4 :

3. L'article 4 du décret attaqué insère, au titre Ier du livre III du code de procédure civile, un chapitre V bis intitulé " Le divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire ". Il crée l'article 1146 de ce code, aux termes duquel : " La convention de divorce et ses annexes sont transmises au notaire, à la requête des parties, par l'avocat le plus diligent, aux fins de dépôt au rang des minutes du notaire, dans un délai de sept jours suivant la date de la signature de la convention. / Lorsqu'elles sont rédigées en langue étrangère, la convention et ses annexes sont accompagnées d'une traduction effectuée par un traducteur habilité au sens de l'article 7 du décret n° 2007-1205 du 10 août 2007. / Le dépôt de la convention intervient dans un délai de quinze jours suivant la date de la réception de la convention par le notaire. ".

4. Aux termes de l'article 2 de la Constitution : " La langue de la République est le français. (...) ". Si, en vertu de ces dispositions, et ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel, l'usage du français s'impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l'exercice d'une mission de service public ainsi que dans les relations entre les particuliers et les administrations et services publics, il ne s'en déduit en revanche pas d'obligation d'usage du français dans les relations de droit privé. L'article 5 de la loi du 4 août 1994 relative à l'emploi de la langue française n'impose l'usage du français que pour les " contrats auxquels une personne morale de droit public ou une personne privée exécutant une mission de service public sont parties ". Ni l'article 1er de cette loi ni l'article 111 de l'ordonnance du 25 août 1539 sur le fait de la justice, dite ordonnance de Villers-Cotterêts, n'ont pour effet d'imposer l'usage du français dans les relations de droit privé. Par suite, l'article 1146 du code de procédure civile issu du décret attaqué ne méconnaît pas ces dispositions en n'imposant la traduction en français de la convention de divorce et de ses annexes que pour sa transmission aux fins de dépôt au rang des minutes du notaire et non dès sa signature par les époux et par leurs avocats, dont l'activité de conseil dans le cadre de cette procédure n'a, en tout état de cause, pas le caractère d'une mission de service public.

En ce qui concerne les articles 26 et 27 :

5. Aux termes de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " L'aide juridictionnelle (...) peut être accordée en matière de divorce par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire. ". Aux termes de l'article 27 de cette loi : " L'avocat qui prête son concours au bénéficiaire de l'aide juridictionnelle perçoit une rétribution. ". Aux termes de son article 39-1, créé par la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle : " Dans le cas où le bénéficiaire de l'aide juridictionnelle renonce à divorcer par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire, il est tenu compte de l'état d'avancement de la procédure. / Lorsque l'aide a été accordée pour divorcer par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire, et que les époux reviennent sur leur engagement, le versement de la rétribution due à l'avocat, dont le montant est fixé par décret en Conseil d'Etat, est subordonné à la justification, avant l'expiration du délai de six mois à compter de la décision d'admission, de l'importance et du sérieux des diligences accomplies par cet avocat. / Lorsqu'une instance est engagée après l'échec de la procédure de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire, la rétribution versée à l'avocat à raison des diligences accomplies durant ladite procédure s'impute, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat, sur celle qui lui est due pour l'instance. ".

6. Aux termes de l'article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques : " En toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l'avocat et ses confrères à l'exception pour ces dernières de celles portant la mention " officielle ", les notes d'entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel. ".

7. L'article 26 du décret attaqué modifie l'article 118-2 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique pour prévoir que l'avocat mentionne, dans la lettre par laquelle il informe la partie adverse et son avocat qu'il a été désigné au titre de l'aide juridictionnelle, que les correspondances portant la mention "Officiel" échangées au cours de la procédure de divorce par consentement mutuel prévue à l'article 229-1 du code civil pourront être communiquées au président du bureau d'aide juridictionnelle et, le cas échéant, au président de la juridiction et à eux seuls, lors de l'examen de sa demande de paiement de la contribution qui lui est due par l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle. Son article 27 modifie l'article 118-3 du même décret pour prévoir qu'en cas de non-aboutissement de cette procédure, l'avocat communique au président du bureau d'aide juridictionnelle les correspondances portant la mention "Officiel" échangées au cours de la procédure et une attestation récapitulant les diligences accomplies, de nature à établir leur importance et leur sérieux. Ces dispositions ne méconnaissent pas les règles applicables au secret professionnel de l'avocat prévues par l'article 66-5 précité de la loi du 31 décembre 1971, qui excluent du champ de ce secret les correspondances entre l'avocat et ses confrères portant la mention "Officiel". Les moyens tirés de ce que le décret attaqué serait, pour ce motif, entaché d'incompétence et porterait atteinte au respect de la vie privée et des correspondances, protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent donc être écartés.

En ce qui concerne l'article 29 :

8. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article 27 de la loi du 10 juillet 1991 mentionnée ci-dessus que la contribution versée aux avocats prêtant leur concours aux bénéficiaires de l'aide juridictionnelle n'implique pas que cette contribution, dont l'unité de valeur est déterminée annuellement par la loi de finances, couvre l'intégralité des frais et honoraires correspondants et que le législateur a ainsi entendu laisser à la charge des auxiliaires de justice une part du financement de l'aide juridictionnelle. Afin de garantir l'objectif d'intérêt général d'accès à la justice des plus démunis, le législateur a prévu un mécanisme de rétribution forfaitaire, qui laisse à la charge des avocats une partie des coûts liés à la mise en oeuvre de l'aide juridictionnelle. Cette participation des avocats à la prise en charge de l'aide juridictionnelle trouve sa contrepartie dans le régime de représentation dont ils disposent devant les tribunaux, qui, sauf exceptions définies par la loi, leur confère un monopole de représentation.

9. En deuxième lieu, le principe d'égalité ne s'oppose pas à ce que l'autorité investie du pouvoir réglementaire règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier.

10. L'article 118-6 du décret du 19 décembre 1991 précité prévoit qu'en cas d'échec des pourparlers transactionnels prévus à l'article 2044 du code civil ou lorsque la procédure participative prévue à l'article 2062 du même code n'a pas abouti à un accord total, la contribution due est égale à la moitié du montant prévu lorsqu'une transaction est intervenue ou qu'un accord a été conclu, et que le président du bureau d'aide juridictionnelle peut, à titre exceptionnel, augmenter cette contribution, sans qu'elle puisse excéder les trois quarts de ce montant. L'article 29 du décret attaqué complète cet article pour prévoir que : " En cas de non-aboutissement de la procédure de divorce prévue à l'article 229-1 du code civil, la contribution due est égale au quart du montant mentionné au premier alinéa. Le président du bureau d'aide juridictionnelle peut augmenter cette contribution, sans qu'elle puisse excéder les trois quarts de ce montant, sur justification par l'avocat de l'importance et du sérieux des diligences qu'il a accomplies. ". Si les requérants soutiennent que ces dispositions méconnaîtraient le principe d'égalité entre avocats en ce qu'elle prévoient une contribution réduite respectivement à la moitié et à un quart pour les avocats prenant en charge des pourparlers transactionnels ou des procédures participatives et pour ceux qui prennent en charge des procédures de divorce par consentement mutuel prévues à l'article 229-1 du code civil en cas d'échec de la procédure, les modalités de rétribution des avocats ainsi fixées correspondent à des procédures distinctes portant sur des matières différentes, les secondes étant spécifiques au divorce par consentement mutuel. Les avocats prenant en charge ces différentes procédures sont donc placés, au regard de l'objet du décret, dans des situations différentes en considération desquelles la différence de traitement n'apparaît pas manifestement disproportionnée. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité et du principe d'égalité devant les charges publiques doit, par suite, être écarté.

11. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le niveau de la contribution fixé en cas de non-aboutissement de la procédure de divorce prévue à l'article 229-1 du code civil serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation, les dispositions contestées prévoyant, au demeurant, que cette contribution peut être augmentée par le président du bureau d'aide juridictionnelle sur justification, par l'avocat, de l'importance et du sérieux des diligences accomplies. Cette dernière faculté n'a par ailleurs nullement pour effet de porter atteinte à l'indépendance de l'avocat ainsi rétribué. Les moyens tirés de ce que ces dispositions seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation et d'une méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent donc être écartés.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article 51 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union (...). ". Le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 47 de la charte est inopérant, dès lors que les dispositions critiquées ne mettent pas en oeuvre le droit de l'Union.

En ce qui concerne l'article 30 :

13. L'article 39-1 de la loi du 10 juillet 1991 cité au point 6 pose le principe d'une imputation de la rétribution versée à l'avocat à raison des diligences accomplies dans le cadre la procédure de divorce prévue à l'article 229-1 du code civil sur la rétribution qui lui est due pour l'instance de divorce judiciaire lorsque celle-ci est engagée après l'échec de cette procédure. Ce même article renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer les conditions de cette imputation. Les requérants ne sont, par suite, pas fondés à soutenir que l'article 30 du décret attaqué aurait méconnu ces dispositions en ce qu'il modifie l'article 118-8 du décret du 19 décembre 1991 précité pour prévoir que " la rétribution accordée à l'avocat au titre de l'aide juridictionnelle pour une procédure de divorce par consentement mutuel prévue à l'article 229-1 du code civil qui n'a pas abouti est déduite de celle qui lui est allouée à ce titre lorsqu'il apporte son concours dans le cadre d'une procédure de divorce par consentement mutuel judiciaire diligentée par les mêmes parties lorsque celle-ci leur est ouverte " ni qu'il serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne l'applicabilité du décret en Polynésie française :

14. Aux termes de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française : " Dans les matières qui relèvent de la compétence de l'Etat, sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin. / Par dérogation au premier alinéa, sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives : / (...) / 4° A la nationalité, à l'état et la capacité des personnes ; (...). ". Aux termes de son article 13 : " Les autorités de la Polynésie française sont compétentes dans toutes les matières qui ne sont pas dévolues à l'Etat par l'article 14 et celles qui ne sont pas dévolues aux communes en vertu des lois et règlements applicables en Polynésie française. ". Aux termes de son article 14 : " Les autorités de l'Etat sont compétentes dans les seules matières suivantes : / 1° Nationalité ; droits civiques ; droit électoral ; droits civils, état et capacité des personnes, notamment actes de l'état civil, absence, mariage, divorce, filiation ; autorité parentale ; régimes matrimoniaux, successions et libéralités ; / 2° Garantie des libertés publiques ; justice : organisation judiciaire, aide juridictionnelle, organisation de la profession d'avocat, à l'exclusion de toute autre profession juridique ou judiciaire, droit pénal, procédure pénale, commissions d'office, service public pénitentiaire, services et établissements d'accueil des mineurs délinquants sur décision judiciaire, procédure administrative contentieuse, frais de justice pénale et administrative ; (...). ". Aux termes de son article 10 : " Le gouvernement de la Polynésie française est consulté sur les projets de décret à caractère réglementaire introduisant, modifiant ou supprimant des dispositions particulières à la Polynésie française. ". Il résulte de ces dispositions, éclairées par leurs travaux préparatoires, que les autorités de la Polynésie française sont compétentes pour édicter les règles qui gouvernent la procédure devant les juridictions civiles. Il n'en va différemment que lorsque ces règles sont indissociables du fond du droit dont elles ont pour objet de garantir l'effectivité et que ce droit relève lui-même de la compétence des autorités de l'Etat. Il en va ainsi, notamment, en matière d'état des personnes, de régimes matrimoniaux et de succession.

15. Le VI de l'article 41 du décret attaqué dispose que : " Sont applicables en Polynésie française, outre les articles 3 à 7 qui le sont de plein droit, les articles 18 à 33, 39 et 40. ".

16. L'article 3 du décret attaqué a pour seul objet de modifier les intitulés d'une section et de deux sous-sections du chapitre V du titre Ier du livre III du code de procédure civile relatives au divorce. Son applicabilité de plein droit en Polynésie française dépend donc, en tout état de cause, de l'applicabilité de plein droit des articles contenus dans ces section et sous-sections.

17. L'article 4 du décret attaqué crée les articles 1444 à 1148-2 du code de procédure civile, qui organisent la procédure de divorce par consentement mutuel par acte sous signature privée contresigné par avocats, déposé au rang des minutes d'un notaire. Ces dispositions régissent le déroulement des opérations extrajudiciaires de divorce, qui relèvent du droit relatif à l'état des personnes, et non de la procédure devant les juridictions civiles. Elles sont, par suite, en vertu de l'article 7 de la loi organique du 27 février 2004, applicables de plein droit en Polynésie française.

18. L'article 5 du décret attaqué modifie l'article 1077 du code de procédure civile. Cet article prévoit, dans sa rédaction antérieure à cette modification, que la demande de divorce ne peut être fondée que sur un seul des cas prévus à l'article 229 du code civil, que toute demande formée à titre subsidiaire sur un autre cas est irrecevable et que, hormis les cas prévus aux articles 247 à 247-2 du même code, il ne peut, en cours d'instance, être substitué à une demande fondée sur un des cas de divorce définis à l'article 229 une demande fondée sur un autre cas. Il relève donc des règles de procédure devant les juridictions civiles et n'est pas indissociable des règles qui régissent l'état des personnes dont il assure la mise en oeuvre judiciaire. Sa modification de coordination, par l'article 5 du décret attaqué, n'est dès lors pas applicable de plein droit en Polynésie française. Par suite, la Polynésie française est fondée à soutenir que le VI de l'article 41 du décret attaqué, en tant qu'il déclare applicable de plein droit son article 5 sur son territoire, méconnait les règles de répartition des compétences prévues par les articles 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004, en vertu desquels la procédure civile n'est pas au nombre des compétences reconnues à l'Etat.

19. Les articles 6 et 7 du décret attaqué modifient respectivement les articles 1091 et 1092 du code de procédure civile, relatifs au divorce judiciaire par consentement mutuel. L'article 1091 de ce code fixe, avec l'article 1090, le contenu de la requête, à peine d'irrecevabilité, et l'article 6 du décret attaqué le modifie pour prévoir que la requête comprend, le cas échéant, le formulaire d'information de l'enfant mineur demandant à être entendu, daté et signé par ce dernier. L'article 1092 du code de procédure civile prévoit les modalités de saisine du juge aux affaires familiales et de convocation des époux par ce dernier. L'article 7 du décret attaqué le modifie pour fixer les modalités d'audition de l'enfant mineur par ce juge. Ces dispositions relèvent également des règles de procédure devant les juridictions civiles et ne sont pas indissociables des règles qui régissent l'état des personnes. Par suite, la Polynésie française est fondée à soutenir que le VI de l'article 41 du décret attaqué, en tant qu'il déclare applicables de plein droit ses articles 6 et 7 sur son territoire, méconnait les règles de répartition des compétences prévues par les articles 13 et 14 de la loi organique du 27 février 2004, en vertu desquels la procédure civile n'est pas au nombre des compétences reconnues à l'Etat.

20. L'article 39 du décret attaqué crée les articles 1378-1 et 1378-2 du code de procédure civile relatifs à l'envoi en possession du légataire universel. Ces dispositions, qui portent sur le déroulement des opérations de succession, ne relèvent pas de la procédure devant les juridictions civiles, mais du droit civil. Elles ressortissent, en application de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004, à la compétence de l'Etat en matière de régimes de succession. Le VI de l'article 41 du décret attaqué n'a donc pas méconnu les règles de répartition des compétences entre l'Etat et la Polynésie française en prévoyant que son article 39 est applicable dans cette collectivité.

21. Enfin, les articles 3, 4 et 39 n'ont ni pour objet ni pour effet de modifier le code de procédure civile de la Polynésie française. Le moyen tiré de ce que le décret attaqué aurait dû être précédé, pour ce motif, d'une consultation du gouvernement de la Polynésie française en application de l'article 10 précité de la loi organique du 27 février 2004 ne peut donc qu'être écarté. Il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que les moyens tirés de la méconnaissance, par l'article 41 du décret attaqué, de l'objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d'intelligibilité de la norme et des règles de répartition des compétences prévues par les articles 13 et 14 de la même loi organique ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés. Enfin, la Polynésie française ne soulève aucun moyen relatif à l'applicabilité de l'article 40 sur son territoire.

22. Il résulte de tout qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée à M. A...par le garde des sceaux, ministre de la justice, que les requérants ne sont fondés à demander l'annulation que du VI de l'article 41 du décret attaqué en tant qu'il rend applicables en Polynésie française ses articles 5, 6 et 7.

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans les instances introduites par l'ordre des avocats au barreau de Paris et la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer.

D E C I D E :

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Article 1er : Le VI de l'article 41 du décret n° 2016-1907 du 28 décembre 2016 relatif au divorce prévu à l'article 229-1 du code civil et à diverses dispositions en matière successorale est annulé en tant qu'il rend applicables en Polynésie française ses articles 5, 6 et 7.

Article 2 : Le surplus de la requête de la Polynésie française et les requêtes de M.A..., de l'ordre des avocats au barreau de Paris et de la conférence des bâtonniers de France sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. B...A..., à l'ordre des avocats au barreau de Paris, à la conférence des bâtonniers de France et d'outre-mer, au président de la Polynésie française et à la garde des sceaux, ministre de la justice.

Copie en sera adressée au Premier ministre et à la ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 6ème - 5ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 408261
Date de la décision : 14/06/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

OUTRE-MER - DROIT APPLICABLE - GÉNÉRALITÉS - POLYNÉSIE FRANÇAISE - RÈGLES GOUVERNANT LA PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS CIVILES - PRINCIPE - COMPÉTENCE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - EXCEPTION - RÈGLES INDISSOCIABLES DU FOND DU DROIT - RELEVANT LUI-MÊME DE LA COMPÉTENCE DES AUTORITÉS DE L'ETAT.

46-01-01-005 Il résulte des articles 7, 10, 13 et 14, de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, éclairés par leurs travaux préparatoires, que les autorités de la Polynésie française sont compétentes pour édicter les règles qui gouvernent la procédure devant les juridictions civiles. Il n'en va différemment que lorsque ces règles sont indissociables du fond du droit dont elles ont pour objet de garantir l'effectivité et que ce droit relève lui-même de la compétence des autorités de l'Etat. Il en va ainsi, notamment, en matière d'état des personnes, de régimes matrimoniaux et de succession.

OUTRE-MER - DROIT APPLICABLE - STATUTS - POLYNÉSIE FRANÇAISE - RÉPARTITION DES COMPÉTENCES ENTRE L'ETAT ET LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - RÈGLES GOUVERNANT LA PROCÉDURE DEVANT LES JURIDICTIONS CIVILES - PRINCIPE - COMPÉTENCE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE - EXCEPTION - RÈGLES INDISSOCIABLES DU FOND DU DROIT - RELEVANT LUI-MÊME DE LA COMPÉTENCE DES AUTORITÉS DE L'ETAT.

46-01-02-02 Il résulte des articles 7, 10, 13 et 14, de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, éclairés par leurs travaux préparatoires, que les autorités de la Polynésie française sont compétentes pour édicter les règles qui gouvernent la procédure devant les juridictions civiles. Il n'en va différemment que lorsque ces règles sont indissociables du fond du droit dont elles ont pour objet de garantir l'effectivité et que ce droit relève lui-même de la compétence des autorités de l'Etat. Il en va ainsi, notamment, en matière d'état des personnes, de régimes matrimoniaux et de succession.


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Proposition de citation : CE, 14 jui. 2018, n° 408261
Mentionné aux tables du recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Cyrille Beaufils
Rapporteur public ?: M. Louis Dutheillet de Lamothe

Origine de la décision
Date de l'import : 24/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:408261.20180614
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