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30/05/2018 | FRANCE | N°417577

France | France, Conseil d'État, 10ème - 9ème chambres réunies, 30 mai 2018, 417577


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 janvier et 4 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer la " loi du pays " n° 2017-45 LP/APF adoptée le 14 décembre 2017 portant diverses mesures en faveur de l'accessibilité foncière, non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;<

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Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 23 janvier et 4 mai 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata demande au Conseil d'Etat :

1°) de déclarer la " loi du pays " n° 2017-45 LP/APF adoptée le 14 décembre 2017 portant diverses mesures en faveur de l'accessibilité foncière, non conforme au bloc de légalité défini au III de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 74 ;

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- le code civil ;

- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique applicable en Polynésie française ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Isabelle Lemesle, conseiller d'Etat,

- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Potier de la Varde, Buk Lament, Robillot, avocat de l'association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata ;

Considérant ce qui suit :

1. L'association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata défère au Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article 176 de la loi organique du 27 février 2004 portant statut de la Polynésie française, la " loi du pays " portant diverses mesures en faveur de l'accessibilité foncière, adoptée le 14 décembre 2017 par l'assemblée de la Polynésie française, en application des dispositions de l'article 140 de la même loi organique.

Sur la procédure d'adoption :

2. Aux termes de l'article 130 de la loi organique du 27 février 2004 : " Tout représentant à l'assemblée de la Polynésie française a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires qui font l'objet d'un projet ou d'une proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ou d'autres délibérations. / A cette fin, les représentants reçoivent, douze jours au moins avant la séance pour un projet ou une proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" (...) un rapport sur chacune des affaires inscrites à l'ordre du jour ". Aux termes du deuxième alinéa de l'article 142 de cette loi : " Aucun projet ou proposition d'acte prévu à l'article 140 dénommé "loi du pays" ne peut être mis en discussion et aux voix s'il n'a fait au préalable l'objet d'un rapport écrit, conformément à l'article 130, déposé, imprimé et publié dans les conditions fixées par le règlement intérieur ". L'article 32 de ce règlement intérieur prévoit que : " Les rapports, dès qu'ils sont déposés et imprimés, sont mis en distribution. Chaque rapport fait l'objet d'une présentation pouvant se limiter à un complément d'information ou à un commentaire, sans qu'il en soit donné lecture (...). Chaque rapport fait l'objet d'une discussion générale (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que le rapport relatif au projet de " loi du pays " a été distribué le 1er décembre 2017 aux membres de l'assemblée de la Polynésie française. Le projet ayant été examiné lors de la séance du 14 décembre 2017, le moyen tiré de ce que le droit à l'information des représentants à l'assemblée de Polynésie aurait été méconnu doit être écarté.

Sur l'incompétence dont serait entaché l'article LP 4 :

4. Aux termes de l'article 46 de la loi organique du 27 février 2004 : " L'Etat, la Polynésie française et les communes exercent, chacun en ce qui le concerne, leur droit de propriété sur leur domaine public et leur domaine privé ". Si le 10° de l'article 14 de la loi organique du 27 février 2004 prévoit que les autorités de l'Etat sont compétentes en matière de " domaine public communal ", cette matière ne faisant pas partie de celles, mentionnées à l'article 31, dans lesquelles les institutions de la Polynésie française sont habilitées, dans le respect des garanties accordées sur l'ensemble du territoire national pour l'exercice des libertés publiques, sous le contrôle de l'Etat, à participer à l'exercice des compétences qu'il conserve dans le domaine législatif et réglementaire en application de l'article 14, l'article 56 de la même loi dispose que : " Le domaine initial des communes de la Polynésie française est déterminé, après avis du conseil municipal de la commune intéressée et avis conforme de l'assemblée de la Polynésie française, par des arrêtés du haut-commissaire de la République en Polynésie française qui transfèrent à chacune d'entre elles la propriété d'une partie du domaine de la Polynésie française./ Le domaine ainsi constitué peut être étendu par des délibérations de l'assemblée de la Polynésie française, après avis conforme du conseil municipal intéressé ".

5. L'article LP 4 de la " loi du pays " attaquée prévoit l'incorporation, dans le domaine public routier de la collectivité publique propriétaire de la voirie publique de raccordement des nouvelles voies ou des voies existantes ouvertes à la circulation publique pour permettre le désenclavement de terrains. Il précise que lorsque cette voie " a vocation à être incorporée dans le domaine public communal (...), elle ne peut l'être qu'après accord de la commune intéressée. A défaut d'un tel accord, ladite voirie est incorporée dans le domaine public routier de la Polynésie française ". Si l'association requérante soutient que la Polynésie française n'était pas compétente pour fixer une règle relative à la consistance du domaine public des communes, les dispositions précitées de l'article LP 4 se bornent à organiser le transfert des propriétés acquises par la Polynésie française pour éviter des situations d'enclavement. Elles entrent ainsi dans le champ de la compétence fixée par les dispositions, citées au point 4, de l'article 46 de la loi organique du 27 février 2004, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article 56 de la même loi. Le moyen tiré de ce que la Polynésie française aurait méconnu le champ de sa compétence en matière domaniale doit dès lors être écarté.

Sur les articles LP 1 et LP 8 :

6. Aux termes de l'article 140 de la loi organique du 27 février 2004 : " Les actes de l'assemblée de la Polynésie française, dénommés " lois du pays ", sur lesquels le Conseil d'Etat exerce un contrôle juridictionnel spécifique, sont ceux qui, relevant du domaine de la loi, soit ressortissent à la compétence de la Polynésie française en application de l'article 13, soit sont pris au titre de la participation de la Polynésie française à l'exercice des compétences de l'Etat dans les conditions prévues aux articles 31 à 36. / Les actes pris sur le fondement du présent article peuvent être applicables, lorsque l'intérêt général le justifie, aux contrats en cours ".

7. Aux termes de l'article LP 1 de la " loi du pays " attaquée : " L'accès de l'ensemble des administrés à la voirie publique dans les conditions prévues par la présente loi du pays présente un caractère d'intérêt général./ Tout acte, convention ou disposition de toute nature ayant pour objet ou pour effet de faire obstacle à l'accès du propriétaire d'une emprise foncière à la voirie publique, et par là-même de créer une situation d'enclavement, est réputé nul et non avenu. Sont notamment prohibées les renonciations conventionnelles aboutissant à des situations d'enclavement volontaire ". L'article LP 8 prévoit que: " La conformité aux dispositions de l'article LP 1 des actes, conventions ou dispositions de toute nature préexistant est requise dans les douze mois à compter de l'entrée en vigueur de la présente loi du pays (...) ".

8. Ces dispositions font obstacle aux situations d'enclavement, y compris, dans un certain délai, à celles qui ont été déjà librement consenties par les propriétaires des fonds concernés. D'une part, contrairement à ce que soutient l'association requérante, elles n'ont ni pour objet, ni pour effet de mettre fin au régime issu des dispositions de l'article 682 du code civil, applicables en Polynésie française, aux termes desquelles : " Le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner ". D'autre part, en assurant l'accès de l'ensemble des propriétés à la voie publique, ces dispositions tendent à permettre la réalisation des constructions nécessaires à la satisfaction des besoins importants du territoire tant pour l'amélioration des conditions de logement que pour le développement des activités économiques. Elles sont ainsi justifiées par un motif d'intérêt général et ne peuvent, compte tenu des caractéristiques foncières particulières de la Polynésie française, être regardées, même en tant qu'elles s'appliquent aux contrats en cours, comme portant une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle, au principe de sécurité juridique ou au droit de propriété garantis par les articles 2, 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens de 1789.

Sur les articles LP 2 à LP 6 :

9. La circonstance qu'une opération d'expropriation serve un intérêt particulier n'est pas, par elle-même, de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique. Toutefois, elle ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée ou à des intérêts généraux, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs au regard de l'intérêt qu'elle présente.

10. L'article LP 2 de la " loi du pays " attaquée précise à quelles conditions la desserte d'une assiette foncière présente un caractère d'utilité publique et justifie ainsi son acquisition par la Polynésie française. Contrairement à ce que soutient l'association requérante, les conditions tenant tant au projet de développement auquel l'assise foncière doit participer qu'au coût de mise en oeuvre de la desserte sont suffisamment définies par l'article LP 2. Par suite, le moyen tiré de ce que la Polynésie française n'aurait pas, sur ces deux points, épuisé sa compétence doit être écarté.

11. Comme il a été dit au point 9, l'accès de l'ensemble des administrés à la voirie publique répond à un motif d'intérêt général tenant à l'amélioration des conditions de logement et au développement des activités économiques du territoire. La circonstance que la création de dessertes ait aussi pour effet de procurer un avantage direct et certain aux propriétaires privés des emprises foncières ainsi désenclavées n'est pas, par elle-même, de nature à lui retirer son caractère d'utilité publique. Le moyen tiré de ce que l'acquisition par la Polynésie française des dessertes déclarées d'utilité publique porterait atteinte au droit de propriété protégé par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 doit dès lors être écarté.

12. Contrairement à ce qui est soutenu par l'association requérante, il résulte des dispositions de l'article 46 de la loi organique du 27 février 2004, citées au point 4, que les dessertes d'utilité publique acquises par la Polynésie française puis incorporées au domaine public des communes font nécessairement l'objet d'un transfert de propriété vers ces dernières. En outre, ce transfert ne peut intervenir qu'avec l'accord de la commune bénéficiaire. Par suite, le moyen tiré de ce que la " loi du pays " attaquée méconnait le droit de propriété des communes et ne garantit pas la protection de leur domaine public en ce qu'elle les conduit à gérer un domaine qui ne leur appartiendrait pas doit être écarté.

13. Enfin, l'expropriation d'emprises foncières en vue de la création de dessertes d'utilité publique étant poursuivie pour le compte de la Polynésie française, la déclaration d'utilité publique doit être prononcée, conformément aux dispositions de l'article 91 de la loi organique du 27 février 2004 aux termes duquel : " Dans la limite des compétences de la Polynésie française, le conseil des ministres : / (...) 18° prend les arrêtés de déclaration d'utilité publique et de cessibilité lorsque l'expropriation est poursuivie pour le compte de la Polynésie française ; (...) ", et ainsi que le prévoit sans erreur de droit l'article LP 3, par le conseil des ministres, alors même que la propriété des emprises foncières concernées est susceptible d'être par la suite transférée, avec leur accord, aux collectivités publiques propriétaires de la voirie de raccordement.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de l'association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata doit être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par la Polynésie française et l'assemblée de la Polynésie française.

D E C I D E :

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Article 1er : La requête de l'association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata, au président de la Polynésie française, au président de l'assemblée de Polynésie française, au haut-commissaire de la République en Polynésie française et à la ministre des outre-mer.


Synthèse
Formation : 10ème - 9ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417577
Date de la décision : 30/05/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 30 mai. 2018, n° 417577
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Isabelle Lemesle
Rapporteur public ?: M. Edouard Crépey
Avocat(s) : SCP POTIER DE LA VARDE, BUK LAMENT, ROBILLOT

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:417577.20180530
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