Vu la procédure suivante :
La société Mandataires Judiciaires Associés (MJA), en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Coopérative d'exportation du livre français (CELF), a demandé au tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à l'indemniser des préjudices causés à la société CELF par la mise en oeuvre, puis la récupération d'une aide d'Etat. Par un jugement n° 1221941 du 10 avril 2014, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Par un arrêt n° 14PA02611 du 14 juin 2016, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé contre ce jugement par la société MJA.
Par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 5 août et 21 octobre 2016 et le 2 mars 2017, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société MJA demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
- le règlement (CE) n° 659/1999 du Conseil du 22 mars 1999 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Stéphane Hoynck, maître des requêtes,
- les conclusions de M. Edouard Crépey, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Nicolaÿ, de Lanouvelle, Hannotin, avocat de la Société Mandataires Judiciaires Associés en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Coopérative d'exportation du livre français (CELF) et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la ministre de la culture ;
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 14 décembre 2010 devenue définitive, la Commission européenne a déclaré que l'aide accordée par la France à la Coopérative d'exportation du livre français (CELF) pour les petites commandes de livres à l'exportation était illégale, car non notifiée, et incompatible avec le marché intérieur, et a fixé une obligation de récupération des aides de 1982 à 2001, avec des intérêts de la date à laquelle elles ont été mises à disposition du bénéficiaire jusqu'au 25 février 2009, date du jugement du tribunal de commerce de Paris ouvrant la procédure de sauvegarde du CELF. Par un arrêt n° 274923 du 30 décembre 2011, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a confirmé cette obligation. La société Mandataires Judiciaires Associés (MJA), mandataire liquidateur de la société CELF, se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 14 juin 2016 de la cour administrative d'appel de Paris rejetant son appel contre le jugement du 10 avril 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices résultant des diverses fautes commises par l'Etat à l'occasion du versement puis de la récupération de cette aide.
2. Aux termes de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. Sauf dérogations prévues par les traités, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre Etats membres, les aides accordées par les Etats ou au moyen de ressources d'Etat sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. (...) ". Selon le paragraphe 3 de l'article 108 du même traité : " La Commission est informée, en temps utile pour présenter ses observations, des projets tendant à instituer ou à modifier des aides. Si elle estime qu'un projet n'est pas compatible avec le marché intérieur, aux termes de l'article 107, elle ouvre sans délai la procédure prévue au paragraphe précédent. L'Etat membre intéressé ne peut mettre à exécution les mesures projetées, avant que cette procédure ait abouti à une décision finale. ". Aux termes de l'article 14 du règlement n° 659/1999/CE du 22 mars 1999 portant modalités d'applications de l'article 93 du traité CE, alors applicable : " 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'Etat membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée " décision de récupération "). La Commission n'exige pas la récupération de l'aide si, ce faisant, elle allait à l'encontre d'un principe général du droit communautaire. / 2. L'aide à récupérer en vertu d'une décision de récupération comprend des intérêts qui sont calculés sur la base d'un taux approprié fixé par la Commission. Ces intérêts courent à compter de la date à laquelle l'aide illégale a été mise à la disposition du bénéficiaire jusqu'à celle de sa récupération. / 3. (...) la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'Etat membre concerné, pour autant que ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. A cette fin et en cas de procédure devant les tribunaux nationaux, les Etats membres concernés prennent toutes les mesures prévues par leurs systèmes juridiques respectifs, y compris les mesures provisoires, sans préjudice du droit communautaire ". Il résulte de ces dispositions que lorsque la Commission européenne a adopté une décision devenue définitive constatant l'incompatibilité d'une aide d'Etat avec le marché intérieur, les autorités nationales sont tenues de procéder à la récupération des sommes versées et, aux fins de garantir l'effet utile du régime des aides d'Etat en compensant l'avantage financier et concurrentiel procuré par l'aide illégale entre l'octroi de celle-ci et sa récupération, de mettre à la charge du bénéficiaire les intérêts communautaires correspondants.
3. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société MJA a demandé que l'Etat l'indemnise notamment des préjudices liés à l'obligation de rembourser l'aide illégalement attribuée à la société CELF et de payer les intérêts afférents et aux conséquences de cette obligation tenant à l'insuffisance d'actif net ayant conduit au placement en liquidation judiciaire du CELF, à la perte de chance pour ce dernier de poursuivre une activité concurrentielle rentable et au coût de la mise en oeuvre des procédures de licenciement induites par la liquidation. La cour a jugé, sans qu'ait d'incidence le fait qu'elle aurait mal interprété les écritures sur le montant de l'insuffisance d'actif invoquée, que ni la dette constituée par cette obligation de paiement ni la perte de l'aide n'étaient des préjudices indemnisables, qu'il n'était pas établi que les autres dettes du CELF étaient directement liées aux fautes commises par l'Etat, à les supposer établies, que ni l'existence, ni le lien direct avec ces fautes, de la perte de chance de poursuivre une activité rentable n'étaient établis et qu'enfin le coût de la mise en oeuvre des procédures de licenciement n'était pas en lien direct avec la faute commise par l'Etat à raison de la méconnaissance du droit de l'Union européenne. Ce faisant et dans la mesure où l'ensemble de ces préjudices n'entretenait de lien direct qu'avec la décision de récupération des sommes versées et des intérêts communautaires afférents, qui, comme il a été plus haut, n'est pas fautive et non avec la faute ayant consisté à verser une aide incompatible et illégale, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, ne l'a pas entaché d'erreur de droit, ni d'inexacte qualification juridique ou de dénaturation des faits.
4. La société MJA a fait également valoir devant la cour que le CELF aurait exercé une mission de service public dont les coûts devaient être compensés et que la restitution des aides perçues, dont une partie compensait ces missions, lui causait un préjudice indemnisable. Alors même que la ministre de la culture en défense l'y invitait, elle n'a toutefois apporté devant la cour aucun élément de nature à justifier de la réalité et de l'étendue de ce préjudice dont l'existence même avait été remise en cause par l'arrêt du 15 avril 2008 devenu définitif du Tribunal de première instance des Communautés européennes et par la décision du 14 décembre 2010 de la Commission européenne, citée au point 1, qui considéraient que les éléments disponibles conduisaient au constat du caractère rentable de l'activité de traitement des petites commandes confiée au CELF. Dès lors, la cour, qui n'avait pas à rechercher si ce préjudice ne trouvait pas son fait générateur dans une autre décision de l'Etat que celle tendant à la récupération des sommes indument versées, a pu juger sans erreur de droit ni dénaturation des pièces qui lui étaient soumises qu'il n'était pas établi que le CELF aurait supporté un coût lié à ses obligations de service public et resté indument à sa charge.
5. Il résulte de tout ce qui précède que la société MJA n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt qu'elle attaque.
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société MJA une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme demandée par cette société au même titre.
D E C I D E :
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Article 1er : Le pourvoi de la société MJA est rejeté.
Article 2 : La société MJA versera à l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Mandataires Judiciaires Associés et à la ministre de la culture.