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13/04/2018 | FRANCE | N°419057

France | France, Conseil d'État, Juge des référés, 13 avril 2018, 419057


Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de suspendre la décision, révélée par le courrier de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) du 26 décembre 2017, par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics lui a refusé l'accès aux données susceptibles de le concerner figurant dans le traitement automatisé de données STARTRAC du service TRACFIN sans pour autant intéresser la sûreté de l'Etat, d'enjoind

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Vu la procédure suivante :

M. B...A...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative de suspendre la décision, révélée par le courrier de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) du 26 décembre 2017, par laquelle le ministre de l'action et des comptes publics lui a refusé l'accès aux données susceptibles de le concerner figurant dans le traitement automatisé de données STARTRAC du service TRACFIN sans pour autant intéresser la sûreté de l'Etat, d'enjoindre au ministre de rectifier, mettre à jour ou effacer les données le concernant au sein de ce fichier et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Par une ordonnance n°1802999 du 3 mars 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu le refus, enjoint au ministre de mettre en oeuvre toutes mesures fin de répondre à la demande d'information de M. A..., mis à la charge de l'Etat le versement à M. A...de la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et rejeté le surplus des conclusions de M.A....

Par un recours, enregistré le 16 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le ministre de l'action et des comptes publics demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'annuler cette ordonnance, de rejeter la demande de M. A...et de mettre à sa charge le versement à l'Etat de la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Paris a estimé que la condition d'urgence était remplie alors la situation dont M. A...se plaint n'est pas nouvelle et n'appelle pas de mesures dans un délai de quarante huit heures ;

- aucune pièce du dossier n'établit une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, contrairement à ce que le juge des référés a estimé et, à supposer que M. A...subisse une atteinte à une liberté fondamentale, celle-ci ne pourrait résulter que de la loi elle-même.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 avril 2018, M. A...conclut au rejet de la requête. Il soutient que ses moyens ne sont pas fondés.

Des observations, enregistrées le 6 avril 2018, ont été produites par la Commission nationale de l'informatique et des libertés.

Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le ministre de l'action des comptes publics, d'autre part, M. A...et la commission nationale de l'informatique et des libertés ;

Vu le procès-verbal de l'audience publique du 9 avril 2018 à 11 heures au cours de laquelle ont été entendus :

- les représentants du ministre de l'action et des comptes publics ;

- Me Gatineau, avocat au conseil et à la cour de cassation, avocat de M. A... ;

- M. A...

- les représentants de M. A...

- les représentants de la Commission nationale de l'informatique et des libertés

Et à l'issue de laquelle le juge des référés a différé la clôture de l'instruction au lundi 9 avril à 18 heures puis au mardi 10 avril à 18 heures ;

Vu les nouvelles pièces, enregistrées le 9 avril 2018, produites par M.A... ;

Vu le nouveau mémoire, enregistré le 10 avril 2018, produit par le ministre de l'action et des comptes publics ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code monétaire et financier ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- le décret n°2007-914 du 15 mai 2007 ;

- le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 ;

- le code de justice administrative ;

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".

2. Aux termes de l'article L. 561-45 du code monétaire et financier : " Lorsque des données à caractère personnel font l'objet d'un traitement aux seules fins de l'application des articles L. 561-5 à L. 561-23 par une personne mentionnée à l'article L. 561-2, le droit d'accès s'exerce auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. / La commission désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la commission. / Les données peuvent être communiquées au demandeur lorsque la commission constate, en accord avec le service mentionné à l'article L. 561-23 et après avis du responsable du traitement, que leur communication n'est susceptible ni de révéler l'existence d'une déclaration prévue à l'article L. 561-15 ou des suites qui lui ont été données, ou l'exercice par le service mentionné à l'article L. 561-23 de son droit de communication prévu à l'article L. 561-26, ni de mettre en cause la finalité de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme lorsque les données sont relatives au demandeur et détenues dans le cadre de la mise en oeuvre des dispositions des articles L. 561-8, L. 561-9 et L. 561-10. / Lorsque la communication des données est susceptible de mettre en cause la finalité du traitement, la Commission nationale de l'informatique et des libertés, saisie par le demandeur, l'informe qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires ". Aux termes de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés : " Par dérogation aux articles 39 et 40, lorsqu'un traitement intéresse la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, le droit d'accès s'exerce dans les conditions prévues par le présent article pour l'ensemble des informations qu'il contient. / La demande est adressée à la commission qui désigne l'un de ses membres appartenant ou ayant appartenu au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation ou à la Cour des comptes pour mener les investigations utiles et faire procéder aux modifications nécessaires. Celui-ci peut se faire assister d'un agent de la commission. Il est notifié au requérant qu'il a été procédé aux vérifications. / Lorsque la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, que la communication des données qui y sont contenues ne met pas en cause ses finalités, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, ces données peuvent être communiquées au requérant. / Lorsque le traitement est susceptible de comprendre des informations dont la communication ne mettrait pas en cause les fins qui lui sont assignées, l'acte réglementaire portant création du fichier peut prévoir que ces informations peuvent être communiquées au requérant par le gestionnaire du fichier directement saisi ". Aux termes de l'article 88 du décret du 20 octobre 2005 pris pour l'application de cette loi : " Aux termes de ses investigations, la commission constate, en accord avec le responsable du traitement, celles des informations susceptibles d'être communiquées au demandeur dès lors que leur communication ne met pas en cause les finalités du traitement, la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique. Elle transmet au demandeur ces informations (...). Lorsque le responsable du traitement s'oppose à la communication au demandeur de tout ou partie des informations le concernant, la commission l'informe qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La commission peut constater en accord avec le responsable du traitement, que les informations concernant le demandeur doivent être rectifiées ou supprimées et qu'il y a lieu de l'en informer. En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. Lorsque le traitement ne contient aucune information concernant le demandeur, la commission informe celui-ci, avec l'accord du responsable du traitement. / En cas d'opposition du responsable du traitement, la commission se borne à informer le demandeur qu'il a été procédé aux vérifications nécessaires. / La réponse de la commission mentionne les voies et délais de recours ouverts au demandeur ".

3. L'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 dispose que : " I. Sont autorisés par arrêté du ou des ministres compétents, pris après avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, les traitements de données à caractère personnel mis en oeuvre pour le compte de l'Etat et : / 1° Qui intéressent la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique ; (...) / L'avis de la commission est publié avec l'arrêté autorisant le traitement. / II. Ceux de ces traitements qui portent sur des données mentionnées au I de l'article 8 sont autorisés par décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la commission ; cet avis est publié avec le décret autorisant le traitement. / III. Certains traitements mentionnés au I et au II peuvent être dispensés, par décret en Conseil d'Etat, de la publication de l'acte réglementaire qui les autorise ; pour ces traitements, est publié, en même temps que le décret autorisant la dispense de publication de l'acte, le sens de l'avis émis par la commission (...) ". Le fichier STARTRAC mis en oeuvre par le service à compétence nationale TRACFIN est au nombre des traitements automatisés de données à caractère personnel intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique qui sont dispensés de publication en application de ces dispositions par l'article 2 du décret du 15 mai 2007 pris pour l'application du I de l'article 30 de la loi n°78-17du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

4. Il résulte de l'instruction que M. A...a saisi, le 4 décembre 2017, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) afin de pouvoir accéder aux données le concernant contenues dans le fichier STARTRAC du service à compétence nationale Tracfin. La CNIL a désigné, en application de l'article 41 de la loi du 6 janvier 1978, un de ses membres, pour mener toutes investigations utiles et faire procéder, le cas échéant, aux modifications nécessaires. Par lettre du 26 décembre 2017, la présidente de la CNIL a informé M. A...qu'il avait été procédé à l'ensemble des vérifications demandées s'agissant de ce fichier et que la procédure était terminée, sans apporter à l'intéressé d'autres informations. M. A... a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, de suspendre l'exécution du refus de lui communiquer les données susceptibles de le concerner figurant dans ce fichier en tant qu'il n'intéresse pas la sûreté de l'Etat et d'enjoindre au ministre de l'action et des comptes publics de rectifier, mettre à jour ou effacer ces données. Le ministre de l'action et des comptes publics relève appel de l'ordonnance n°18-02999 du 3 mars 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution de ce refus, lui a enjoint de mettre en oeuvre toutes mesures afin de répondre à la demande d'information de M. A...et a rejeté le surplus des conclusions.

5. Il appartient au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, lorsqu'il apparaît que le fait d'inscrire ou de maintenir illégalement une personne dans l'un des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique, soit que les données à caractère personnel le concernant qui y figure soient inexactes, incomplètes, équivoques ou périmées, soit que leur collecte ou leur utilisation, leur communication ou leur conservation est interdite, porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et que la condition d'urgence d'y mettre fin dans des délais très brefs est satisfaite, d'enjoindre à l'autorité gestionnaire du fichier de rétablir la légalité en effaçant ou en rectifiant, dans la mesure du nécessaire, les données litigieuses.

6. Si le caractère contradictoire de la procédure fait en principe obstacle à ce qu'une décision juridictionnelle puisse être rendue sur la base de pièces dont une des parties n'aurait pu prendre connaissance, il en va nécessairement autrement, afin d'assurer l'effectivité du droit au recours, lorsque l'acte litigieux n'est pas publié en application de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, sans préjudice de ce que prévoient l'article L. 841-2 du code de la sécurité intérieure ainsi que les articles L. 773-1 et suivants du code de justice administrative pour les données intéressant la sûreté de l'Etat. Si une telle dispense de publication que justifie la préservation des finalités des fichiers intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique fait obstacle à la communication tant de l'acte réglementaire qui en a autorisé la création que des décisions prises pour leur mise en oeuvre aux parties autres que celle qui les détient, dès lors qu'une telle communication priverait d'effet la dispense de publication, elle ne peut, en revanche, empêcher leur communication au juge lorsque celle-ci est la seule voie lui permettant d'apprécier le bien-fondé d'un moyen. Il suit de là que, quand, dans le cadre de l'instruction de conclusions dirigées contre le refus de communiquer des informations relatives à une personne qui allègue être mentionnée dans un fichier intéressant la sûreté de l'Etat, la défense ou la sécurité publique dont l'acte de création a fait l'objet d'une dispense de publication, le ministre refuse la communication de ces informations au motif que celle-ci porterait atteinte aux finalités de ce fichier, il appartient néanmoins au ministre de verser au dossier de l'instruction écrite, à la demande du juge, y compris dans le cadre d'une procédure en référés, ces informations ou tous éléments appropriés sur leur nature et les motifs fondant le refus de les communiquer de façon à permettre au juge saisi de se prononcer en connaissance de cause sur la légalité de ce refus, sans que ces éléments puissent être communiqués aux autres parties, lorsqu'ils révèleraient les finalités du fichier qui ont fondé la non publication du décret l'autorisant.

7. Le ministre de l'action et des comptes publics a, en réponse à sa demande, communiqué au juge des référés du Conseil d'Etat l'acte réglementaire autorisant la création du fichier STARTRAC par le service TRACFIN et a permis au juge des référés d'accéder le 28 mars 2018 à ce fichier afin de voir si et dans quelle mesure M. A...y figure. Dans la mesure où la divulgation à M. A...des éléments ainsi communiqués par le ministre serait de nature à porter atteinte aux finalités du traitement STARTRAC, en méconnaissance des dispositions de l'article L. 561-45 du code monétaire et financier citées au point 1, ces éléments n'ont pas été versés au débat contradictoire. L'examen de ces éléments, dont le contenu ne peut pas davantage être révélé pour les mêmes motifs, n'a révélé aucune atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner si la condition d'urgence est réunie, le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a suspendu l'exécution du refus qu'il avait opposé à la demande de communication à M. A...d'informations susceptibles de le concerner figurant dans le traitement automatisé de données STARTRAC du service TRACFIN en tant qu'elles n'intéressent pas la sûreté de l'Etat et lui a enjoint de mettre en oeuvre toutes mesures afin de répondre à la demande d'information de M.A....

8. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'action et des comptes publics est fondé à demander l'annulation des articles 1, 2, 3 et 5 de l'ordonnance attaquée. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions du ministre de l'action et des comptes publics au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les conclusions présentées à ce titre par M. A...doivent être rejetées.

O R D O N N E :

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Article 1er : Les articles 1, 2, 3 et 5 de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 3 mars 2018 sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête présentées par M. A...devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris et ses conclusions d'appel présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 3 : Les conclusions du ministre de l'action et des comptes publics au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'action et des comptes publics et à M. B...A....

Copie en sera adressée à la Commission nationale de l'informatique et des libertés.


Synthèse
Formation : Juge des référés
Numéro d'arrêt : 419057
Date de la décision : 13/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 13 avr. 2018, n° 419057
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Avocat(s) : SCP GATINEAU, FATTACCINI

Origine de la décision
Date de l'import : 24/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:419057.20180413
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