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13/04/2018 | FRANCE | N°417447

France | France, Conseil d'État, 5ème et 6ème chambres réunies, 13 avril 2018, 417447


Vu la procédure suivante :

M. B...A..., à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 17 novembre 2016 par lequel le préfet du Nord a refusé de faire droit à ses demandes de renouvellement d'autorisation de détention d'armes de catégorie B, lui a interdit de détenir des armes de catégories B, C ou D, a annulé les autorisations de détention d'armes et les récépissés des déclarations d'acquisition et de détention d'armes dont il bénéficiait et lui a ordonné de se dessaisir de

toutes les armes de catégories B et C en sa possession, a produit un mémoire,...

Vu la procédure suivante :

M. B...A..., à l'appui de sa demande présentée devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de l'arrêté du 17 novembre 2016 par lequel le préfet du Nord a refusé de faire droit à ses demandes de renouvellement d'autorisation de détention d'armes de catégorie B, lui a interdit de détenir des armes de catégories B, C ou D, a annulé les autorisations de détention d'armes et les récépissés des déclarations d'acquisition et de détention d'armes dont il bénéficiait et lui a ordonné de se dessaisir de toutes les armes de catégories B et C en sa possession, a produit un mémoire, enregistré le 22 septembre 2017 au greffe du tribunal administratif, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, par lequel il soulève une question prioritaire de constitutionnalité.

Par une ordonnance n° 1700030 du 16 janvier 2018, enregistrée le 19 janvier 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le président de la 4ème chambre du tribunal administratif de Lille a décidé, par application des dispositions de l'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée, relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure, issu de l'article 23 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016, et de l'article L. 312-16 du même code, dans sa rédaction résultant du même article.

A l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité transmise, M. A...soutient que ces dispositions sont applicables au litige et que :

- l'article L. 312-16 du code de la sécurité intérieure méconnaît le principe de la présomption d'innocence qui découle de l'article 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en prévoyant le recensement automatique, dans le fichier national automatisé nominatif tant des personnes ayant fait l'objet d'une interdiction d'acquisition et de détention d'armes sur le fondement des dispositions de l'article L. 312-3-1 que des personnes dont le bulletin n° 2 du casier judiciaire comporte une mention de condamnation pour l'une des infractions prévues à l'article L. 312-3 ;

- l'article L. 312-16 méconnaît le principe de la liberté individuelle et le droit au respect à la vie privée qui découlent des articles 2 et 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors qu'il implique que les données figurant dans le fichier peuvent être conservées pour une durée indéterminée et sans garantie procédurale ;

- l'article L. 312-3-1, qui permet au préfet, sans garantie procédurale, d'interdire l'acquisition ou la détention d'armes pour une durée indéterminée, porte atteinte à ces mêmes principes ;

- les articles L. 312-3-1 et L. 312-16 méconnaissent les articles 66 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen faute de prévoir un contrôle par l'autorité judiciaire sur la légalité, la réalité et la pertinence des motifs retenus par le préfet ;

- en l'absence de garantie prévue par le législateur afin d'encadrer le pouvoir de sanction du préfet et de limitation de durée, ces articles méconnaissent l'article 34 de la Constitution et le principe de légalité des délits et des peines posé par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;

- pour le même motif, ces dispositions portent une atteinte disproportionnée au droit aux loisirs, garanti par l'article 11 du Préambule de la Constitution de 1946.

Par un mémoire, enregistré le 1er mars 2018, le ministre d'Etat, ministre de l'intérieur soutient que les conditions posées par l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 ne sont pas remplies et, en particulier, que la question de constitutionnalité soulevée ne présente pas de caractère sérieux.

Par un nouveau mémoire, enregistré le 8 mars 2018, M. A...maintient ses précédents moyens.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;

- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 ;

- la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Florian Roussel, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Laurence Marion, rapporteur public.

1. Considérant qu'il résulte des dispositions de l'article 23-4 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que, lorsqu'une juridiction relevant du Conseil d'État lui a transmis, en application de l'article 23-2 de cette même ordonnance, la question de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une disposition législative, le Conseil constitutionnel est saisi de cette question de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure, issu de la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l'efficacité et les garanties de la procédure pénale : " L'autorité administrative peut interdire l'acquisition et la détention des armes des catégories B et C et des armes de catégorie D soumises à enregistrement aux personnes dont le comportement laisse craindre une utilisation de ces armes dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui " ; qu'aux termes de l'article L. 312-16 de ce code, dans sa rédaction résultant de la même loi : " Un fichier national automatisé nominatif recense : / 1° Les personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes en application des articles L. 312-10 et L. 312-13 ; / 2° Les personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes des catégories B et C et des armes de catégorie D soumises à enregistrement en application de l'article L. 312-3 ; / 3° Les personnes interdites d'acquisition et de détention d'armes des catégories B et C et des armes de catégorie D soumises à enregistrement en application de l'article L. 312-3-1. / Les modalités d'application du présent article, y compris la nature des informations enregistrées, la durée de leur conservation ainsi que les autorités et les personnes qui y ont accès, sont déterminées par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés " ;

Sur l'article L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure :

3. Considérant que la mesure d'interdiction d'acquisition et de détention d'armes soumises à autorisation prévue à l'article L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure ne constitue pas une sanction ayant le caractère d'une punition, au sens de l'article 8 de la Déclaration de 1789, mais une mesure de police ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article est inopérant ;

4. Considérant que l'article L. 312-3-1 autorise l'autorité administrative à interdire l'acquisition et la détention d'armes des catégories B et C et de certaines armes de la catégorie D aux personnes dont le comportement laisse craindre une utilisation de ces armes dangereuse pour elles-mêmes ou pour autrui ; que ces dispositions, qui visent à prévenir les atteintes à l'ordre public, en protégeant tant les personnes visées par ces mesures d'interdiction que les tiers, répondent ainsi à un objectif de valeur constitutionnelle ; que si elles ne limitent pas dans le temps les mesures d'interdiction qu'elles prévoient, l'autorité administrative est tenue d'abroger ces mesures, d'office ou à la demande des personnes qui en font l'objet, lorsqu'elle constate que leur comportement ne fait plus craindre une utilisation dangereuse des armes ; qu'au regard de la gravité de la menace pour la sécurité publique que ces interdictions, décidées sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, visent à prévenir, le moyen tiré de ce que le législateur aurait porté, en méconnaissance de l'article 4 de la Déclaration de 1789, une atteinte excessive à la liberté des intéressés ne présente pas un caractère sérieux ; que, pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que les dispositions litigieuses porteraient une atteinte injustifiée aux dispositions de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946, selon lesquelles la Nation " garantit à tous (...) les loisirs ", ne présente pas davantage, en tout état de cause, un caractère sérieux ;

5. Considérant que les dispositions critiquées ne mettent pas en cause la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ; que les mesures prises sur leur fondement étant susceptibles de faire l'objet d'un recours en annulation devant le juge administratif dans les conditions de droit commun, le moyen tiré de la méconnaissance du droit au recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789 ne présente pas davantage un caractère sérieux ;

Sur l'article L. 312-16 du code de la sécurité intérieure :

6. Considérant que, dans sa rédaction antérieure à la loi du 3 juin 2016, l'article L. 312-16 prévoyait le recensement dans un fichier national automatisé nominatif des personnes auxquelles l'acquisition et la détention d'armes sont interdites en application des articles L. 312-10 et L. 312-13, à la suite de décisions préfectorales leur ordonnant de remettre des armes en leur possession aux services de police ou de gendarmerie ou de s'en dessaisir, et celles qui ont été condamnées à une peine d'interdiction de détenir ou de porter une arme soumise à autorisation ou à une peine de confiscation d'une telle arme ; que, depuis l'intervention de la loi du 3 juin 2016, cet article prévoit, en outre, le recensement dans le fichier, d'une part, de l'ensemble des personnes faisant l'objet d'une interdiction d'acquérir et détenir des armes en application de l'article L. 312-2, parce que le bulletin n° 2 de leur casier judiciaire mentionne des condamnations pour certaines infractions, et, d'autre part, des personnes faisant l'objet d'une telle interdiction en application de l'article L. 312-3-1, parce que leur comportement laisse craindre une utilisation des armes dangereuse pour elles mêmes ou pour autrui ; que la circonstance que ces dernières sont recensées dans un fichier où sont également recensées des personnes ayant fait l'objet de condamnations pénales n'emporte à leur égard ni déclaration ni présomption de culpabilité et ne porte donc pas atteinte, contrairement à ce que soutient M.A..., au principe de présomption d'innocence garanti par l'article 9 de la Déclaration de 1789 ;

7. Considérant que le fichier prévu à l'article L. 312-16 vise à permettre à l'autorité administrative d'assurer l'exécution des décisions judiciaires et des mesures administratives relatives à l'interdiction d'acquisition et de détention d'armes et de prévenir ainsi les menaces pour l'ordre public qui résulteraient de la méconnaissance de ces interdictions ; que le législateur a pu renvoyer à un décret en Conseil d'Etat pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés la détermination de la nature des informations enregistrées, de la durée de leur conservation ainsi que des autorités et des personnes qui y ont accès, dans le respect des règles et garanties découlant de la loi du 6 janvier 1978, à laquelle l'article L. 312-16 du code de la sécurité intérieure n'apporte aucune dérogation et qui prévoit en particulier, au 5° de son article 6, que les données " sont conservées sous une forme permettant l'identification des personnes concernées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées " ; que, dans ces conditions, le moyen tiré de ce que le législateur n'aurait pas procédé à une conciliation équilibrée entre le principe de valeur constitutionnelle de respect de la vie privée garanti par l'article 2 de la Déclaration de 1789, d'une part, et l'exigence constitutionnelle de prévention des atteintes à l'ordre public, d'autre part, ne présente pas un caractère sérieux ;

8. Considérant que les dispositions critiquées ne mettent pas en cause la liberté individuelle que l'article 66 de la Constitution place sous la protection de l'autorité judiciaire ; qu'elles ne portent pas davantage atteinte au droit à un recours effectif garanti par l'article 16 de la Déclaration de 1789, les personnes inscrites dans le fichier ayant la possibilité de saisir la juridiction administrative, dans les conditions générales prévues par la loi du 6 janvier 1978, de recours contre les décisions de l'autorité administrative rejetant leurs demandes tendant à ce que les informations les concernant soient complétées, rectifiées, mises à jour ou effacées ;

9. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; que, par suite, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M.A....

Article 2 : La présente décision sera notifiée M. B...A...et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel, au Premier ministre et au tribunal administratif de Lille.


Synthèse
Formation : 5ème et 6ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 417447
Date de la décision : 13/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Autres

Publications
Proposition de citation : CE, 13 avr. 2018, n° 417447
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Florian Roussel
Rapporteur public ?: Mme Laurence Marion

Origine de la décision
Date de l'import : 17/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:417447.20180413
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