Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 397627, par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 4 mars 2016 et 11 septembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Mouvement interassociatif pour les besoins de l'environnement en Lorraine - Lorraine nature environnement, l'association Bure Stop 55, l'association " Réseau sortir du nucléaire " et l'association France Nature Environnement demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté rectifié du 15 janvier 2016 du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer relatif au coût afférent à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 398029, par une requête enregistrée le 16 mars 2016, l'association " Les Amis de la Terre France " demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 15 janvier 2016 du ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer relatif au coût afférent à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue et l'arrêté rectificatif du même jour ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la directive 2011/70/Euratom du Conseil du 19 juillet 2011 ;
- le code de l'environnement ;
- le décret n° 2007-243 du 23 février 2007 ;
- le décret n° 2013-1304 du 27 décembre 2013 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Mireille Le Corre, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Julie Burguburu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. En vertu du troisième alinéa de l'article L. 542-1 du code de l'environnement dans sa version alors en vigueur : " Les producteurs de combustibles usés et de déchets radioactifs sont responsables de ces substances, sans préjudice de la responsabilité de leurs détenteurs en tant que responsables d'activités nucléaires. " L'article L. 542-12 du même code confie à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, établissement public industriel et commercial, la charge des opérations de gestion à long terme des déchets radioactifs, et notamment " 5° De concevoir, d'implanter, de réaliser et d'assurer la gestion de centres d'entreposage ou des centres de stockage de déchets radioactifs compte tenu des perspectives à long terme de production et de gestion de ces déchets ainsi que d'effectuer à ces fins toutes les études nécessaires ; ". L'article L. 542-10-1 du même code soumet le centre de stockage en couche géologique profonde de déchets radioactifs au régime des installations nucléaires de base et soumet son autorisation à des dispositions particulières. Ces dernières comportent notamment, outre l'enquête publique préalable à sa délivrance, l'organisation d'un débat public au sens de l'article L. 121-1 du même code devant précéder le dépôt de la demande d'autorisation de création du centre, divers rapports et avis, dont ceux de l'Autorité de sûreté nucléaire, des collectivités territoriales intéressées et de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. L'article L. 542-12-2 du même code prévoit la constitution, au sein de l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, d'un fonds " destiné au financement de la construction, de l'exploitation, de la fermeture, de l'entretien et de la surveillance des installations d'entreposage ou de stockage des déchets de haute ou de moyenne activité à vie longue construites ou exploitées par l'agence ", ayant " pour ressources les contributions des exploitants d'installations nucléaires de base définies par des conventions ". Enfin, en vertu de l'avant-dernier alinéa de l'article L. 542-12 du même code, l'agence " (...) propose au ministre chargé de l'énergie une évaluation des coûts afférents à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue selon leur nature. Après avoir recueilli les observations des redevables des taxes additionnelles mentionnées au V de l'article 43 de la loi de finances pour 2000 (n° 99-1172 du 30 décembre 1999) et l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, le ministre chargé de l'énergie arrête l'évaluation de ces coûts et la rend publique. ".
2. L'arrêté ainsi prévu a été pris par le ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer le 15 janvier 2016. Son article 1er dispose que " Le coût afférent à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité à vie longue est évalué sur une période de 140 ans à partir de 2016. / Ce coût est fixé à 25 milliards d'euros aux conditions économiques du 31 décembre 2011, année du démarrage des travaux d'évaluation des coûts. " Son article 2 prévoit que " Le coût fixé à l'article 1er est mis à jour régulièrement et a minima aux étapes clés du développement du projet (autorisation de création, mise en service, fin de la "phase industrielle pilote", réexamens de sûreté), conformément à l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire ".
3. Par deux requêtes qu'il y a lieu de joindre, l'association Mouvement interassociatif pour les besoins de l'environnement en Lorraine - Lorraine nature environnement et autres et l'association Les amis de la Terre France en demandent l'annulation pour excès de pouvoir.
Sur la fin de non-recevoir :
4. En vertu de l'article L. 594-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué : " Les exploitants d'installation nucléaire de base évaluent, de manière prudente, les charges de démantèlement de leurs installations ou, pour leurs installations de stockage de déchets radioactifs, leurs charges d'arrêt définitif, d'entretien et de surveillance. Ils évaluent, de la même manière, en prenant notamment en compte l'évaluation fixée en application de l'article L. 542-12, les charges de gestion de leurs combustibles usés et déchets radioactifs. " L'article L. 594-2 du même code impose aux exploitants de constituer les provisions correspondant aux charges définies à l'article L. 594-1 et d'affecter les actifs nécessaires à leur couverture. Les dispositions de l'arrêté attaqué emportent ainsi des conséquences sur l'évaluation des charges supportées par les exploitants d'installation nucléaire de base pour la gestion des déchets qu'il produisent, dont se déduisent les obligations comptables et financières qui en résultent pour eux. L'arrêté attaqué doit ainsi être regardé comme constituant un acte faisant grief. Le ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire n'est dès lors pas fondé à soutenir que les requêtes seraient irrecevables comme étant dirigées contre un acte insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
Sur la légalité externe :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 7 de la Charte de l'environnement : " Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. ". Le I de l'article L. 120-1 du code de l'environnement, dans sa rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué, dispose que cet article " définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public, prévu à l'article 7 de la Charte de l'environnement, est applicable aux décisions, autres que les décisions individuelles, des autorités publiques ayant une incidence sur l'environnement lorsque celles-ci ne sont pas soumises, par les dispositions législatives qui leur sont applicables, à une procédure particulière organisant la participation du public à leur élaboration. ".
6. L'arrêté attaqué a pour seul objet d'établir une évaluation du coût afférent à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute activité et de moyenne activité sur une période de 140 ans ainsi que les modalités de sa mise à jour aux étapes du développement du projet. Eu égard à son objet et à sa portée, cet arrêté ne constitue pas, par lui-même, une décision ayant une incidence directe et significative sur l'environnement nécessitant ainsi une participation du public en application des dispositions précitées. Il en résulte que les associations requérantes ne peuvent utilement soutenir qu'il a été adopté aux termes d'une procédure irrégulière en méconnaissance de l'article 7 de la Charte de l'environnement et de l'article L. 120-1 du code de l'environnement.
7. En second lieu, aux termes du point 2 de l'article 10 de la directive 2011/70/EURATOM établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs : " Les Etats membres veillent à ce que le public ait la possibilité, comme il convient, de participer de manière effective au processus de prise de décision relatif à la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs, conformément à la législation nationale et aux obligations internationales ", celle-ci comportant notamment, conformément aux objectifs fixés au point 1 de l'article 12 de la même directive, des programmes nationaux incluant notamment " h) une estimation du coût du programme national et la base et les hypothèses utilisées pour formuler cette estimation, qui doit être assortie d'un calendrier ". L'arrêté attaqué, qui porte sur l'évaluation du coût du projet, n'a pour objet ni de régir le processus de prise de décision relatif à la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs mentionné à l'article 10 de la directive cité ci-dessus, ni de définir le programme national prévu à l'article 12 précité de cette même directive. Dès lors, il ne peut, en tout état de cause, être utilement soutenu que l'arrêté attaqué méconnaît des dispositions de la directive 2011/70/EURATOM.
Sur la légalité interne :
8. En premier lieu, aux termes de l'article 9 de la directive 2011/70/ EURATOM : " Les États membres veillent à ce que le cadre national impose que les ressources financières suffisantes soient disponibles, le moment venu, pour la mise en oeuvre des programmes nationaux visés à l'article 11, en particulier pour la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs, en tenant dûment compte de la responsabilité des producteurs de combustible usé et de déchets radioactifs. " La transposition de cet article a été réalisée par les articles L. 594-1 et suivants du code de l'environnement, le décret du 23 février 2007 relatif à la sécurisation du financement des charges nucléaires et l'arrêté du 21 mars 2007 relatif à la sécurisation du financement des charges nucléaires. Si les requérantes soutiennent que ces dispositions ne permettent pas une transposition complète des objectifs fixés par l'article 9 de la directive en ce qui concerne les modalités de constitution par les exploitants d'installations nucléaires de base des provisions correspondant aux charges définies à l'article L. 594-1 et d'affectation d'actifs pour la couverture de ces provisions, cette critique est, en tout état de cause, sans influence sur la légalité de l'arrêté attaqué dont l'objet est uniquement de fixer une évaluation des coûts prise en compte pour l'évaluation des charges en cause.
9. En deuxième lieu, l'arrêté attaqué, qui porte sur l'évaluation du coût afférent à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs de haute et de moyenne activité à vie longue, n'a pour objet, ainsi qu'il a été dit au point 6, ni de régir le processus de prise de décision relatif à la gestion du combustible usé et des déchets radioactifs mentionné à l'article 10 de la directive 2011/70/EURATOM cité ci-dessus, ni de définir le programme national prévu à l'article 12 de cette même directive également cité ci-dessus. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de ces dispositions ne peuvent, en tout état de cause, qu'être écartés.
10. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs a produit une évaluation dite " brute " des coûts afférents à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme des déchets radioactifs ici en cause, d'un montant de 32,8 milliards d'euros, soumise aux producteurs des déchets qui, au regard des évolutions scientifiques et économiques susceptibles d'avoir un impact sur le projet durant sa phase de création et sa phase d'exploitation qui s'échelonne sur plus de 100 ans, ont effectué une évaluation à hauteur de 20 milliards d'euros. L'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs a ensuite, dans une note de synthèse, proposé au ministre une évaluation comprise entre 20 et 30 milliards d'euros. Comme indiqué au point 2, le ministre a fixé l'évaluation en cause à un montant de 25 milliards d'euros aux conditions économiques du 31 décembre 2011.
11. Si l'article L. 542-12 du code de l'environnement prévoit que l'agence propose au ministre chargé de l'énergie une évaluation des coûts afférents à la mise en oeuvre des solutions de gestion à long terme pour la gestion des déchets radioactifs ici en cause, ces dispositions n'interdisent pas à celle-ci de présenter une estimation comprise entre deux montants, dès lors qu'elle met le ministre en mesure d'arrêter l'évaluation exigée par ces dispositions. Par ailleurs, cette méthode d'évaluation par l'agence est sans incidence sur les obligations pesant ensuite sur les exploitants d'installations nucléaires de base en vertu de l'article L. 594-1 du même code, dès lors qu'en application de cet article, ceux-ci déterminent leurs évaluations en tenant compte de l'estimation arrêtée par le ministre et non de la proposition de l'agence. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 542-12 et L. 594-1 du code de l'environnement peut être écarté.
12. Les associations requérantes soutiennent enfin que l'évaluation fixée à 25 milliards d'euros serait insuffisante pour couvrir les coûts sur 140 ans de gestion des déchets concernés. Il ressort cependant des pièces du dossier que, malgré la difficulté de fixer des coûts sur la durée en cause et les doutes exprimés sur certaines hypothèses, notamment par l'Autorité de sûreté nucléaire dans son avis du 10 février 2015, l'évaluation retenue pour la première tranche, qualifiée de phase industrielle pilote, d'une durée de vingt-deux ans, est fondée sur des analyses convergentes, ayant conduit la Commission nationale chargée de l'évaluation de l'état d'avancement des recherches et études relatives à la gestion des matières et des déchets radioactifs, prévue par l'article L. 542-3 du code de l'environnement, à relever dans son avis du 16 février 2015 que ces estimations étaient " relativement fiables et consensuelles ". L'évaluation pour cette première période ne peut, dans ces conditions, être regardée comme entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Et si l'incertitude est nécessairement plus importante pour les phases ultérieures, il ne ressort pas plus des pièces du dossier, en l'état des données scientifiques disponibles, que l'évaluation fixée par le ministre pour ces phases, dont l'arrêté attaqué prévoit qu'elle doit être mis à jour régulièrement et a minima aux étapes du développement du projet, conformément à l'avis de l'Autorité de sûreté nucléaire, serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la recevabilité des requêtes, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation de l'arrêté qu'elles attaquent. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D E C I D E :
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Article 1er : Les requêtes de l'association Mouvement interassociatif pour les besoins de l'environnement en Lorraine - Lorraine nature environnement et autres et de l'association Les amis de la Terre France sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Mouvement interassociatif pour les besoins de l'environnement en Lorraine - Lorraine nature environnement, premier dénommé pour l'ensemble des requérants de la requête n° 397627, à l'association Les amis de la Terre France et au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire.