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04/04/2018 | FRANCE | N°416577

France | France, Conseil d'État, 7ème - 2ème chambres réunies, 04 avril 2018, 416577


Vu la procédure suivante :

La société Archimed a demandé au juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler, d'une part, la procédure de passation du marché public portant sur la création et la maintenance d'un système de gestion des bibliothèques numériques, de gestion des connaissances et de capitalisation documentaire au profit de l'ensemble des organismes du ministère de la défense et, d'autre part, la décision du 26 octobre 2017 rejetant son offre.

Par un

e ordonnance n° 1716842 du 30 novembre 2017, le juge des référés précontract...

Vu la procédure suivante :

La société Archimed a demandé au juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler, d'une part, la procédure de passation du marché public portant sur la création et la maintenance d'un système de gestion des bibliothèques numériques, de gestion des connaissances et de capitalisation documentaire au profit de l'ensemble des organismes du ministère de la défense et, d'autre part, la décision du 26 octobre 2017 rejetant son offre.

Par une ordonnance n° 1716842 du 30 novembre 2017, le juge des référés précontractuels du tribunal administratif de Paris a annulé la procédure de passation de ce marché et la décision du 26 octobre 2017.

Par un pourvoi et un mémoire en réplique, enregistrés les 15 décembre 2017 et 9 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la ministre des armées demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de rejeter la demande présentée par la société Archimed ;

3°) de mettre à la charge de la société Archimed la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- l'ordonnance n° 2015-899 du 23 juillet 2015 ;

- le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Thomas Pez-Lavergne, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Gilles Pellissier, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Piwnica, Molinié, avocat de la société Archimed.

1. Considérant qu'aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public (...) " ; qu'aux termes du I de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations (...) " ;

2. Considérant qu'il ressort des pièces soumises au juge des référés du tribunal administratif de Paris que, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 24 mai 2017, le ministère de la défense a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande portant sur la création et la maintenance d'un système de gestion des bibliothèques numériques, de gestion des connaissances et de capitalisation documentaire au profit de l'ensemble des organismes du ministère de la défense, système dénommé " CLADE BN " ; que le pouvoir adjudicateur a retenu deux offres recevables, celle de la société Archimed et celle de la société Ausy ; que, par une décision du 26 octobre 2017, il a rejeté l'offre de la société Archimed, classée en seconde position, et attribué le marché à la société Ausy ; que par l'ordonnance attaquée, contre laquelle la ministre des armées se pourvoit en cassation, le juge des référés a annulé la procédure de passation de ce marché et la décision rejetant l'offre de la société Archimed ;

3. Considérant que, pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats ; que, dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères ; qu'il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection ;

4. Considérant que, pour annuler la procédure de passation du marché ainsi que la décision du 26 octobre 2017 rejetant l'offre de la société Archimed, le juge des référés du tribunal administratif de Paris a retenu que les candidats n'avaient pas été informés par les documents de la consultation que l'un des sous-critères d'appréciation du critère technique serait apprécié à partir d'éléments devant eux-mêmes être regardés comme des critères d'attribution du marché ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le règlement de consultation du marché énonce, dans son chapitre VI, que les offres seront évaluées à partir de deux critères, un critère technique et un critère financier, pondérés à hauteur respectivement de 70 % et de 30 % ; que le critère technique est lui-même décomposé en cinq sous-critères affectés de pondérations différentes, parmi lesquels un sous-critère SC2 " Présentation de la solution " doté d'une note de 30 points sur 100 ; qu'il résulte tant du rapport d'analyse technique des offres que d'une lettre adressée le 13 novembre 2017 par le pouvoir adjudicateur à la société Archimed que la notation du sous-critère SC2 a été réalisée à partir de deux éléments, d'une part, la " présentation de la solution hors robustesse " et, d'autre part, la " présentation de la solution - partie robustesse ", auxquels a été attribuée une même pondération ; qu'en estimant qu'il s'agissait de critères qui auraient dû être communiqués aux candidats, alors que ces mentions constituaient seulement des éléments d'appréciation, définis par le pouvoir adjudicateur pour préciser ses attentes au regard de chaque critère, lesquels n'étaient pas susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres, la pondération identique de ces deux éléments manifestant l'intention du pouvoir adjudicateur de ne pas accorder à l'un d'entre eux une importance particulière, le juge des référés a commis une erreur de qualification juridique ; que, par suite et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, la ministre des armées est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée ;

6. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée ;

7. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes du II de l'article 99 du décret du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics : " Pour les marchés publics passés selon une procédure formalisée, l'acheteur, dès qu'il décide de rejeter une candidature ou une offre, notifie à chaque candidat ou soumissionnaire concerné le rejet de sa candidature ou de son offre en lui indiquant les motifs de ce rejet. / Lorsque cette notification intervient après l'attribution du marché public, elle précise, en outre, le nom de l'attributaire et les motifs qui ont conduit au choix de son offre (...). A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : / 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; / 2° Lorsque le marché public a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue " ;

8. Considérant que par les deux courriers en date des 26 octobre et 13 novembre 2017, le pouvoir adjudicateur a informé la société Archimed que son offre, classée en seconde position pour le critère technique et pour le critère financier, n'avait pas été retenue, lui a précisé les notes attribuées pour chacun des critères ainsi que la note globale, et lui a indiqué les caractéristiques et les avantages de l'offre de la société attributaire ; que, par suite, la société Archimed n'est pas fondée à soutenir que le pourvoir adjudicateur aurait méconnu l'obligation de motiver le rejet des offres qui résulte de l'article 99 du décret précité ;

9. Considérant, en deuxième lieu, que la société Archimed soutient que le pouvoir adjudicateur aurait, pour mettre en oeuvre le critère d'appréciation des offres relatif à la valeur technique, méconnu le principe de transparence en n'informant pas les candidats d'éléments d'appréciation qui constituaient en réalité eux-mêmes des critères d'appréciation de l'offre et qui, étant relatifs à l'examen des candidatures ou à la conformité de l'offre, n'étaient pas liés à l'objet du marché ni justifiés par celui-ci ;

10. Considérant, d'une part, s'agissant du sous-critère SC2 " présentation de la solution ", ainsi qu'il a été dit au point 5, la " présentation de la solution hors robustesse " et la " Présentation de la solution - partie robustesse " constituent des éléments d'appréciation pour la notation du sous-critère, et non des critères d'attribution du marché ; que les prescriptions relatives " à la présentation des offres " détaillées au chapitre IV du règlement de la consultation relatives à l'ancienneté de l'architecture logicielle déployée et à l'expérience des candidats ou à leurs références auprès d'autres acheteurs ne constituent pas davantage des critères d'attribution du marché ;

11. Considérant, d'autre part, s'agissant du sous-critère SC5 " démonstration ", que la circonstance que le chapitre IV du règlement de la consultation précise les exigences à respecter lors du déroulement de la démonstration n'est pas non plus de nature à en faire des critères d'attribution du marché ;

12. Considérant, en dernier lieu, que le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en oeuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics ; que, toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en oeuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie ;

13. Considérant que, s'agissant du critère financier, le jugement de la valeur financière des offres doit se faire sur la base de l'offre financière globale du candidat résultant du total des points obtenus à chacun des " scénarii financiers de consommation ", A, B, C et D, détaillés en annexe du règlement et affectés de coefficients différents ; que la société Archimed soutient que le pouvoir adjudicateur a attribué aux différents scénarii des valeurs de pondération déconnectées de leur importance économique, en dévalorisant substantiellement le scénario A alors qu'il constitue le coeur même du contrat, et qu'à l'intérieur de chacun des scénarii l'évaluation financière est faussée ; que, cependant, les coefficients retenus traduisent la volonté du pouvoir adjudicateur de valoriser particulièrement les efforts réalisés par les candidats quant aux prestations fournies en sus des prestations minimales exigées par le marché ainsi que l'appréciation portée par l'administration sur l'importance respective des différents postes de dépenses ; qu'une telle méthode de notation n'est par elle-même pas de nature à conduire à ce que, pour la mise en oeuvre du critère financier, la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre ni à ce que, au regard de l'ensemble des critères pondérés, l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Archimed n'est fondée à demander l'annulation ni de la procédure de passation du marché public portant sur la création et la maintenance d'un système de gestion des bibliothèques numériques, de gestion des connaissances et de capitalisation documentaire au profit de l'ensemble des organismes du ministère de la défense, ni de la décision du 26 octobre 2017 rejetant son offre ;

15. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Archimed la somme que demande l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

D E C I D E :

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Article 1er : L'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Paris du 30 novembre 2017 est annulée.

Article 2 : La demande présentée par la société Archimed devant le juge des référés du tribunal administratif de Paris est rejetée.

Article 3 : Le surplus des conclusions du pourvoi est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la ministre des armées et à la société Archimed. Copie en sera adressée à la société Ausy.


Synthèse
Formation : 7ème - 2ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 416577
Date de la décision : 04/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Publications
Proposition de citation : CE, 04 avr. 2018, n° 416577
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Thomas Pez-Lavergne
Rapporteur public ?: M. Gilles Pellissier
Avocat(s) : SCP PIWNICA, MOLINIE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:416577.20180404
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