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04/04/2018 | FRANCE | N°415471

France | France, Conseil d'État, 3ème - 8ème chambres réunies, 04 avril 2018, 415471


Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 415471, par une requête, enregistrée le 22 septembre 2017, la communauté de communes Eure-Madrie-Seine (CCEMS) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à se retirer au 1er janvier 2018 de la communauté de communes Eure-Madrie-Seine.

Par une ordonnance n° 1702877 du 24 octobr

e 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté cett...

Vu la procédure suivante :

1° Sous le n° 415471, par une requête, enregistrée le 22 septembre 2017, la communauté de communes Eure-Madrie-Seine (CCEMS) a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à se retirer au 1er janvier 2018 de la communauté de communes Eure-Madrie-Seine.

Par une ordonnance n° 1702877 du 24 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 novembre et le 21 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CCEMS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2° Sous le n° 415476, par une requête, enregistrée le 22 septembre 2017, la CCEMS a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Rouen d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'arrêté du 8 septembre 2017 par lequel le préfet de l'Eure a autorisé la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon à adhérer au 1er janvier 2018 à la CASNA.

Par une ordonnance n° 1702879 du 24 octobre 2017, le juge des référés du tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés le 6 novembre et le 21 novembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la CCEMS demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) statuant en référé, de faire droit à sa demande ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

....................................................................................

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. Laurent Cytermann, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Emmanuelle Cortot-Boucher, rapporteur public ;

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la communauté de communes Eure-Madrie-Seine et à la SCP Coutard, Munier-Apaire, avocat de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon et de la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération ;

1. Les pourvois visés ci-dessus présentant à juger les mêmes questions, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision.

2. Il ressort des pièces des dossiers soumis au juge des référés du tribunal administratif de Rouen que, par une délibération du 19 juin 2017, le conseil municipal de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon a demandé le retrait de la commune de la communauté de communes Eure-Madrie-Seine (CCEMS) et son adhésion à la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération (CASNA). Par une délibération du 29 juin 2017, le conseil communautaire de la CASNA a donné son accord à cette adhésion. Par deux arrêtés du 8 septembre 2017 pris sur le fondement de l'article L. 5214-26 du code général des collectivités territoriales, le préfet de l'Eure a simultanément autorisé le retrait de la commune de la CCEMS et son adhésion à la CASNA à compter du 1er janvier 2018. La CCEMS a demandé au tribunal administratif de Rouen l'annulation de ces deux arrêtés et au juge des référés de ce même tribunal la suspension de ces décisions, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative. Par deux ordonnances du 24 octobre 2017, le juge des référés a rejeté ces demandes de suspension. La CCEMS se pourvoit en cassation contre ces deux ordonnances.

Sur l'existence d'un non-lieu à statuer :

3. Le premier alinéa de l'article L. 5214-26 du code général des collectivités territoriales dispose : " Par dérogation à l'article L. 5211-19, une commune peut être autorisée, par le représentant de l'Etat dans le département après avis de la commission départementale de la coopération intercommunale réunie dans la formation prévue au second alinéa de l'article L. 5211-45, à se retirer d'une communauté de communes pour adhérer à un autre établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre dont le conseil communautaire a accepté la demande d'adhésion. L'avis de la commission départementale de la coopération intercommunale est réputé négatif s'il n'a pas été rendu à l'issue d'un délai de deux mois. ". Les décisions prises par le préfet sur le fondement de ces dispositions produisent des effets ininterrompus à compter de la date d'effet du retrait et de l'adhésion qu'elles autorisent. Par suite, il ne peut être soutenu que les décisions attaquées auraient été entièrement exécutées et que les demandes de suspension de ces décisions auraient perdu leur objet.

Sur les pourvois contre les ordonnances du juge des référés du tribunal administratif de Rouen :

4. Le retrait d'une communauté de communes dans le cadre des dispositions de l'article L. 5214-26 du code général des collectivités territoriales ne peut intervenir qu'en vue de l'adhésion de la commune à un autre établissement public de coopération intercommunale. Il en résulte que les arrêtés autorisant le retrait et l'adhésion forment un tout indivisible, de telle sorte qu'une illégalité affectant l'un des deux arrêtés les rend tous deux illégaux.

5. En vertu du premier alinéa de l'article L. 2121-12 du même code : " Dans les communes de 3 500 habitants et plus, une note explicative de synthèse sur les affaires soumises à délibération doit être adressée avec la convocation aux membres du conseil municipal ". Il résulte de ces dispositions, rendues applicable aux conseils communautaires des établissements publics de coopération intercommunale comportant au moins une commune de 3 500 habitants et plus par l'article L. 5211-1 du même code, que le défaut d'envoi avec la convocation de la note explicative de synthèse portant sur chacun des points de l'ordre du jour entache d'irrégularité les délibérations prises, à moins que le maire ou le président de l'établissement public n'ait fait parvenir aux membres du conseil, en même temps que la convocation, les documents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat.

6. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que les membres du conseil communautaire de la CASNA ont été informés de ce que l'adhésion de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon était inscrite à l'ordre du jour de la réunion du 29 juin 2017 et ont reçu par courriel, en même temps que la convocation, un lien permettant de télécharger les documents afférents à cet ordre du jour sur une plateforme sécurisée. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier soumis au juge des référés que les élus auraient eu accès parmi ces documents à la note explicative de synthèse prévue par l'article L. 2121-12 ou à des documents équivalents leur permettant de disposer d'une information adéquate pour exercer utilement leur mandat. Par suite, en estimant que le moyen tiré de ce que les dispositions de l'article L. 2121-12 ont été méconnues n'était pas de nature à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier.

7. Il résulte de ce qui précède que les ordonnances attaquées doivent être annulées. Le moyen accueilli suffisant à entraîner l'annulation totale des deux ordonnances, il n'est pas nécessaire d'examiner les autres moyens du pourvoi.

Sur les demandes de suspension présentées devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen :

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler l'affaire au titre de la procédure de référé engagée devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

9. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision. ".

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le préfet de l'Eure devant le juge des référés du tribunal administratif de Rouen :

10. Contrairement à ce que soutient le préfet, la circonstance que la procédure prévue par l'article L. 5214-26 du code général des collectivités territoriales ne permette pas à la communauté de communes dont une commune souhaite se retirer de faire formellement valoir sa position à l'un quelconque des stades de cette procédure administrative est sans incidence sur l'intérêt à agir de cette communauté contre les décisions autorisant le retrait et l'adhésion. Les décisions attaquées affectant son périmètre et ses ressources, la CCEMS a intérêt à agir contre celles-ci.

En ce qui concerne l'urgence :

11. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.

12. La CCEMS soutient, sans être utilement contredite par les défendeurs, que le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon en vue de son adhésion à la CASNA a pour effet de la priver d'une recette nette de 1,2 millions d'euros par an, représentant un tiers de sa capacité d'autofinancement. Elle fait valoir qu'elle a réalisé, depuis 2002, dix millions d'euros d'investissements sur le territoire de la commune, en vue de l'aménagement de cinq zones d'activité économique. Eu égard aux conséquences financières du retrait pour la CCEMS, notamment au vu du montant des investissements engagés, ainsi qu'aux conséquences sur l'exercice de ses compétences, les décisions attaquées portent une atteinte grave et immédiate à la situation de cet établissement public. La condition d'urgence prévue par l'article L. 521-1 du code de justice administrative doit donc être regardée comme remplie.

En ce qui concerne l'existence d'un moyen de nature à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées :

13. En premier lieu, pour les motifs indiqués aux points 5 et 6 de la présente décision, le moyen tiré de ce que les décisions attaquées sont entachées d'un vice de procédure en ce que les dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales n'ont pas été respectées est propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées.

14. En second lieu, selon le I de l'article L. 5211-18 du code général des collectivités territoriales : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 5215-40, le périmètre de l'établissement public de coopération intercommunale peut être ultérieurement étendu, par arrêté du ou des représentants de l'Etat dans le ou les départements concernés, par adjonction de communes nouvelles : 1° Soit à la demande des conseils municipaux des communes nouvelles. La modification est alors subordonnée à l'accord de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale ; 2° Soit sur l'initiative de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale. La modification est alors subordonnée à l'accord du ou des conseils municipaux dont l'admission est envisagée ; 3° Soit sur l'initiative du représentant de l'Etat. La modification est alors subordonnée à l'accord de l'organe délibérant et des conseils municipaux dont l'admission est envisagée. / Dans les trois cas, à compter de la notification de la délibération de l'organe délibérant de l'établissement public de coopération intercommunale au maire de chacune des communes membres, le conseil municipal de chaque commune membre dispose d'un délai de trois mois pour se prononcer sur l'admission de la nouvelle commune, dans les conditions de majorité qualifiée requises pour la création de l'établissement public de coopération intercommunale. A défaut de délibération dans ce délai, sa décision est réputée favorable. Les mêmes règles s'appliquent pour les conseils municipaux des communes dont l'admission est envisagée. Dans les cas visés aux 1° et 3°, l'organe délibérant dispose d'un délai de trois mois à compter de la réception de la demande. ". Il résulte de ces dispositions, qui sont applicables à l'extension du périmètre d'un établissement public de coopération intercommunale à la suite de l'adhésion d'une commune dans le cadre de l'article L. 5214-26 du même code, que la décision du représentant de l'Etat dans le département ne peut intervenir qu'après qu'ont été recueillis les avis, explicites ou implicites, des conseils municipaux de toutes les communes membres de l'établissement public ainsi que l'accord de l'organe délibérant de l'établissement.

15. Il ressort des pièces du dossier que les arrêtés du préfet du 8 septembre 2017 sont intervenus alors que les communes membres de la CASNA n'avaient pas toutes rendu d'avis explicite et que le délai de trois mois à compter de la notification de la délibération du conseil communautaire de la CASNA sur l'adhésion de Saint-Aubin-sur-Gaillon, au terme duquel naît un avis favorable implicite, n'était pas expiré. La capacité donnée à chaque commune concernée de se prononcer sur l'adhésion constituant une garantie pour la commune, le moyen tiré de ce que le délai de trois mois prévu par l'article L. 5211-18 n'était pas expiré, alors même qu'une majorité qualifiée d'avis favorables aurait déjà été recueillie, est propre à créer un doute sérieux sur la légalité des décisions attaquées.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la CCEMS est fondée à demander la suspension de l'exécution des arrêtés du 8 septembre 2017 du préfet de l'Eure autorisant le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS et son adhésion à la CASNA. Cette suspension implique que la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon réintègre le périmètre de la CCEMS et quitte celui de la CASNA, à titre conservatoire, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur les recours dirigés par la CCEMS contre ces arrêtés.

Sur les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du ministre de l'intérieur d'une part, de la CASNA et de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon d'autre part, la somme de 2 000 euros chacun à verser à la CCEMS, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative pour l'ensemble de la procédure. Les mêmes dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de la CCEMS qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

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Article 1er : Les ordonnances du 24 octobre 2017 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen sont annulées.

Article 2 : L'exécution des arrêtés du 8 septembre 2017 du préfet de l'Eure autorisant le retrait de la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon de la CCEMS et son adhésion à la CASNA est suspendue.

Article 3 : Le ministre de l'intérieur d'une part, et la CASNA et la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon d'autre part, verseront chacun à la CCEMS une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la CASNA présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à la communauté de communes Eure-Madrie-Seine, au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à la communauté d'agglomération Seine Normandie Agglomération et à la commune de Saint-Aubin-sur-Gaillon.


Synthèse
Formation : 3ème - 8ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 415471
Date de la décision : 04/04/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Publications
Proposition de citation : CE, 04 avr. 2018, n° 415471
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Laurent Cytermann
Rapporteur public ?: Mme Emmanuelle Cortot-Boucher
Avocat(s) : SCP LYON-CAEN, THIRIEZ ; SCP COUTARD, MUNIER-APAIRE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/04/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:415471.20180404
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