Vu la procédure suivante :
M. A...B...a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Marseille, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, d'enjoindre au Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, d'une part, d'assurer son hébergement dans un délai de vingt-quatre heures et sous astreinte de 200 euros par jour de retard à compter de la notification de l'ordonnance à intervenir et, d'autre part, de mettre en oeuvre la prise en charge ordonnée par le juge judiciaire à son bénéfice dans les mêmes conditions de délai et sous la même astreinte. Par une ordonnance n° 1800685 du 5 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a enjoint au département des Bouches-du-Rhône d'assurer l'hébergement et la prise en charge de M. B...dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 février et 2 mars 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, le département des Bouches-du-Rhône demande au juge des référés du Conseil d'Etat, statuant sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par M. B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille.
Il soutient que :
- le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de qualification juridique en considérant que la condition d'urgence était remplie dès lors que M. B..., d'une part, a été placé, dès le 24 novembre 2017, au sein du centre d'accueil d'urgence " Pressensé " dont la gestion a été confiée à l'association départementale ADDAP 13 et, d'autre part, est actuellement scolarisé au sein du collège de Monticelli ;
- le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de qualification juridique en retenant l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit à l'hébergement d'urgence du requérant dès lors qu'il a fait l'objet d'une prise en charge effective par les services départementaux depuis le 24 novembre 2017, compte tenu des moyens dont disposent ceux-ci ;
- tout a été mis en oeuvre pour être en mesure d'assurer l'accueil de M. B... mais qu'en raison du flux exponentiel des demandes, les capacités d'action du département sont très largement dépassées et que, dans ces conditions, l'impossibilité dans laquelle s'est trouvé le département des Bouches-du-Rhône d'assurer l'accueil provisoire de l'intéressé n'était pas constitutive d'une carence caractérisée, seule de nature à constituer une atteinte manifestement grave et illégale aux libertés fondamentales du requérant.
Le 1er mars 2018, M. B...a présenté une demande d'aide juridictionnelle provisoire.
Par un mémoire en défense et des observations complémentaires, enregistrés les 5 et le 6 mars 2018, M. B...conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que la condition d'urgence est remplie et qu'il est porté une atteinte grave et manifestement illégale à son droit à l'hébergement d'urgence.
Vu les autres pièces du dossier :
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ;
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code civil ;
- le code de procédure civile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir convoqué à une audience publique, d'une part, le département des Bouches-du-Rhône et, d'autre part, M. B...;
Vu le procès-verbal de l'audience publique du 7 mars 2018 à 14 heures 30 au cours de laquelle ont été entendus :
- Me Garreau, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat du département des Bouches-du-Rhône ;
- les représentants du département des Bouches-du-Rhône ;
- Me Coudray, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, avocat de M. B... ;
- le représentant de M. B...;
et à l'issue de laquelle les juges des référés a clos l'instruction ;
Considérant ce qui suit :
Sur les conclusions de la requête de M.B... :
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ".
2. Il résulte de l'instruction que M.B..., ressortissant ghanéen, né le 16 mai 2002, est entré sans famille ni ressource en France en juillet 2017. En sa qualité de mineur isolé non accompagné, M. B...a été pris en charge au sein du centre d'accueil d'urgence " Pressensé " dès le 24 novembre 2017. Par une ordonnance de placement provisoire du 12 décembre 2017, le juge des enfants du tribunal de grande instance de Marseille a confié M. B... aux services de l'aide sociale à l'enfance du département des Bouches-du-Rhône. Le département des Bouches-du-Rhône n'ayant pas exécuté cette décision, M. B... a saisi, sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à ce qu'il soit enjoint audit département d'assurer son hébergement et de mettre en oeuvre la prise en charge ordonnée par le juge judicaire. Par une ordonnance du 5 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Marseille a enjoint au département des Bouches-du-Rhône d'assurer l'hébergement et la prise en charge de M. B... dans un délai de huit jours à compter de la notification de la présente ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard. Par la présente requête, le département des Bouches-du-Rhône relève appel de cette ordonnance.
Sur l'urgence :
3. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre. Il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
4. Pour justifier de l'urgence à prononcer la suspension demandée, le requérant fait notamment valoir que son accueil au sein de l'espace collectif d'accueil provisoire situé rue Francis de Pressensé est insuffisant, en ce qu'il pourrait être privé de la possibilité de bénéficier de modalités d'hébergement et de suivi adaptées à la pathologie dont il souffre s'il devait être maintenu dans la situation à laquelle il est aujourd'hui confronté.
5. Il résulte cependant de l'instruction écrite et des débats lors de l'audience publique que le requérant a été placé, dès le 24 novembre 2017, au sein du centre " Pressensé " où il fait l'objet d'une prise en charge par une équipe éducative. Ces éléments n'apparaissent en mesure de justifier l'intervention du juge dans un délai de 48 heures. Il résulte de ce qui précède que la condition d'urgence n'est pas remplie.
Sur l'existence d'une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale :
6. Aux termes de l'article 375 du code civil : " Si la santé, la sécurité ou la moralité d'un mineur non émancipé sont en danger, ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises, des mesures d'assistance éducative peuvent être ordonnées par justice à la requête des père et mère conjointement, ou de l'un d'eux, de la personne ou du service à qui l'enfant a été confié ou du tuteur, du mineur lui-même ou du ministère public (...) ". L'article 375-3 du même code dispose que : " Si la protection de l'enfant l'exige, le juge des enfants peut décider de le confier : / (...) 3° A un service départemental de l'aide sociale à l'enfance (...) ".
7. Aux termes de l'article L. 221-1 du code de l'action sociale et des familles : " Le service de l'aide sociale à l'enfance est un service non personnalisé du département chargé des missions suivantes : / (...) 4° Pourvoir à l'ensemble des besoins des mineurs confiés au service et veiller à leur orientation (...) ". L'article L. 222-5 du même code prévoit que : " Sont pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance sur décision du président du conseil départemental : (...) / 3° Les mineurs confiés au service en application du 3° de l'article 375-3 du code civil (...) ". L'article L. 223-1-1 du même code dispose enfin que : " 1° Il est établi, pour chaque mineur bénéficiant d'une prestation d'aide sociale à l'enfance, hors aides financières, ou d'une mesure de protection judiciaire, un document unique intitulé " projet pour l'enfant ", qui vise à garantir son développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social. Ce document accompagne le mineur tout au long de son parcours au titre de la protection de l'enfance. / (...) 5° Le président du conseil départemental est le garant du projet pour l'enfant, qu'il établit en concertation avec les titulaires de l'autorité parentale et, le cas échéant, avec la personne désignée en tant que tiers digne de confiance ainsi qu'avec toute personne physique ou morale qui s'implique auprès du mineur. Ce dernier est associé à l'établissement du projet pour l'enfant, selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité. Le projet pour l'enfant est remis au mineur et à ses représentants légaux et est communicable à chacune des personnes physiques ou morales qu'il identifie selon les conditions prévues au livre III du code des relations entre le public et l'administration. ".
8. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe aux autorités du département, le cas échéant dans les conditions prévues par la décision du juge des enfants, de prendre en charge l'hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés au service de l'aide sociale à l'enfance. A cet égard, une obligation particulière pèse sur ces autorités lorsqu'un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger. Lorsqu'elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée dans l'accomplissement de cette mission porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Il incombe au juge des référés d'apprécier, dans chaque cas, en tenant compte des moyens dont l'administration départementale dispose ainsi que de la situation du mineur intéressé, quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées sur le fondement de l'article L. 521-2 du code de justice administrative et qui, compte tenu de l'urgence, peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l'atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale, dans l'attente d'un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d'accueil ou une famille d'accueil si celui-ci n'est pas matériellement possible à très bref délai.
9. Pour justifier de l'existence d'une carence caractérisée dans l'action menée par le département des Bouches-du-Rhône, le requérant relève des manquements importants de la part du département. Il soutient notamment avoir été privé de nombreuses prestations et garanties dont il aurait dû profiter au sein des centres d'aide sociale à l'enfance de droit commun et n'avoir pas pu bénéficier d'un projet pour l'enfant, au sens de l'article L. 223-1-1 du code de l'action sociale et des familles. Il soutient également que le département ne lui offre pas un cadre de vie adapté à sa situation, en ce que l'accueil organisé dans les locaux du centre " Pressensé " ne répond pas aux standards fixés par le code de l'action sociale et des familles.
10. Il ressort de l'instruction et des débats lors de l'audience publique que des éducateurs sont présents sur le site pour encadrer le jeune mineur et que M. B... a passé des examens médicaux afin d'évaluer son état de santé, en ayant notamment été suivi, le 14 décembre 2017, par un centre de lutte anti-tuberculose. S'agissant de l'accès à l'instruction, M. B...a bénéficié, à l'instar de tous les jeunes migrants primo-arrivants, de tests effectués par le centre académique pour la scolarisation des nouveaux arrivants et des enfants du voyage (CASNAV), nécessaires à sa scolarisation et il est désormais en attente d'une affectation dans un collège, que seul le directeur académique des services de l'éducation nationale des Bouches-du-Rhône peut décider. S'agissant des locaux du centre " Pressensé ", le centre a été aménagé par l'ajout de couchages supplémentaires et de machines à laver et des démarches ont été accomplies avec un restaurateur local pour permettre d'assurer l'approvisionnement du centre. Ces éléments n'ayant pas été utilement contestés par M. B..., la prise en charge de M. B... par le département des Bouches-du-Rhône ne peut être regardée comme révélant une carence caractérisée, portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Au surplus, le département des Bouches-du-Rhône fait état d'une augmentation substantielle du nombre de mineurs non accompagnés depuis 2015, avec notamment une hausse de 85% en 2017. Ces circonstances matérielles particulières expliquent le recours au centre d'accueil temporaire " Pressensé ".
11. Dès lors, faute d'urgence et faute d'atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, il y a lieu d'annuler l'ordonnance du 5 février 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille enjoignant au département des Bouches-du-Rhône d'assurer l'hébergement et la prise en charge de M. B...dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'ordonnance, sous astreinte de 200 euros par jour de retard.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'une part, d'admettre provisoirement M. B...au bénéfice de l'aide juridictionnelle et, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme demandée par M. B... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
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Article 1er : L'ordonnance n° 1800693 du 5 février 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Marseille est annulée.
Article 2 : La demande d'aide juridictionnelle provisoire et les conclusions présentées par M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions présentées par M. B...devant le juge des référés du tribunal administratif de Marseille sont rejetées.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au département des Bouches-du-Rhône et à M. A... B....