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14/02/2018 | FRANCE | N°412196

France | France, Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 14 février 2018, 412196


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la Seine-Maritime a déféré au tribunal administratif de Rouen le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé à l'encontre de la société Delmas le 4 avril 2007 à la suite de la détérioration, le 4 juillet 2003, par le navire de commerce " Roland Delmas " du portique de manutention de conteneurs n° 725 situé sur le quai de Bougainville du port autonome du Havre. Le préfet a également demandé au tribunal de condamner la société Delmas à verser au port autonome du Havre la somm

e de 3 633 738,10 euros HT, majorée des intérêts au taux légal à compter de la dat...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Le préfet de la Seine-Maritime a déféré au tribunal administratif de Rouen le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé à l'encontre de la société Delmas le 4 avril 2007 à la suite de la détérioration, le 4 juillet 2003, par le navire de commerce " Roland Delmas " du portique de manutention de conteneurs n° 725 situé sur le quai de Bougainville du port autonome du Havre. Le préfet a également demandé au tribunal de condamner la société Delmas à verser au port autonome du Havre la somme de 3 633 738,10 euros HT, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de son déféré.

Par un jugement n° 0702728 du 10 juillet 2008, le tribunal administratif de Rouen a condamné la société Delmas à verser au port autonome du Havre la somme de 3 149 562,15 euros portant intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007 et a rejeté le surplus des conclusions du préfet.

Par un arrêt n°s 08DA01268, 08DA02085 du 17 septembre 2009, la cour administrative d'appel de Douai a annulé ce jugement et a condamné la société Delmas à verser au grand port maritime du Havre, substitué au port autonome du Havre, la somme de 2 972 050 euros portant intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007.

Par une décision n° 333900 du 21 novembre 2011, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'article 4 de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 17 septembre 2009 et renvoyé l'affaire à cette cour.

Par un second arrêt n° 11DA01776 du 12 juillet 2012, la cour administrative d'appel de Douai a condamné la société Delmas à verser au grand port maritime du Havre la somme de 2 619 802,50 euros portant intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007 et la somme de 23 410,40 euros au titre des frais d'expertise portant elle-même intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007 et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Par une décision n° 362766 du 7 décembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 12 juillet 2012 et, réglant l'affaire au fond, a condamné la société CMA CGM, venant aux droits de la société Delmas, à verser au grand port maritime du Havre la somme de 2 418 460 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant le Conseil d'Etat

Par une demande, enregistrée le 10 mai 2017 au secrétariat de la section du rapport et des études du Conseil d'Etat, la société CMA CGM demande au Conseil d'Etat d'enjoindre au grand port maritime du Havre de prendre les mesures qu'implique l'exécution intégrale de la décision n° 362766 du 7 décembre 2015 du Conseil d'Etat statuant au contentieux, avec capitalisation des intérêts à compter du 24 novembre 2011 et à chacune des années ultérieures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code monétaire et financier ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de Mme Karin Ciavaldini, maître des requêtes,

- les conclusions de M. Benoît Bohnert, rapporteur public.

La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Richard, avocat du Grand port maritime du Havre.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 10 juillet 2008, le tribunal administratif de Rouen a condamné la société Delmas à verser au port autonome du Havre la somme de 3 149 562,15 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007. Par un arrêt du 17 septembre 2009, la cour administrative d'appel de Douai a, à l'article 2, annulé ce jugement et, à l'article 4, condamné la société à verser au grand port maritime du Havre, substitué au port autonome du Havre, la somme de 2 972 050 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007. Par une décision n° 333900 du 21 novembre 2011, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'article 4 de cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour. Par un second arrêt du 12 juillet 2012, la cour a condamné la société à verser au grand port maritime du Havre la somme de 2 643 212,90 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007. Par une décision n° 362766 du 7 décembre 2015, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt du 12 juillet 2012 et condamné la société CMA CGM, venant aux droits de la société Delmas, à verser au grand port maritime du Havre la somme de 2 418 460 euros, portant intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007, ainsi que la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

2. Dans le cadre de ce litige, d'une part, la société a versé au grand port maritime du Havre, par cinq paiements effectués entre le 14 décembre 2009 et le 29 avril 2010, la somme de 3 227 345,85 euros, d'autre part, le grand port maritime du Havre a restitué le 6 avril 2016 à la société la somme de 607 785,48 euros. La société estime qu'elle dispose encore d'une créance de restitution sur le grand port maritime du Havre.

Sur les principes applicables :

3. Aux termes de l'article L. 4 du code de justice administrative : " Sauf dispositions législatives spéciales, les requêtes n'ont pas d'effet suspensif s'il n'en est autrement ordonné par la juridiction ". Aux termes de l'article L. 11 du même code : " Les jugements sont exécutoires ".

4. En vertu de l'article 1153 du code civil, dont les dispositions ont été reprises à l'article 1231-6 du même code, les dommages et intérêts dus à raison du retard dans le paiement d'une somme d'argent consistent dans la condamnation aux intérêts au taux légal. Aux termes de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier : " En cas de condamnation pécuniaire par décision de justice, le taux de l'intérêt légal est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter du jour où la décision de justice est devenue exécutoire, fût-ce par provision (...) ".

5. D'une part, il résulte des dispositions de l'article L. 313-3 du code monétaire et financier que tout jugement prononçant une condamnation à une indemnité fait courir les intérêts du jour de son prononcé jusqu'à son exécution, au taux légal puis, en application de ces dispositions, au taux majoré s'il n'est pas exécuté dans les deux mois de sa notification. D'autre part, il résulte des dispositions mentionnées au point 4 que la partie qui doit restituer une somme qu'elle détenait en vertu d'une décision exécutoire du juge administratif n'en doit les intérêts au taux légal qu'à compter de la notification, qui la rend exécutoire, de la décision ouvrant droit à restitution et que ces intérêts courent jusqu'à l'exécution de la décision. Le taux d'intérêt applicable est majoré de cinq points à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification de la décision à la partie débitrice.

6. Aux termes de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier, dans sa rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2015 : " Le taux de l'intérêt légal est, en toute matière, fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. / Il comprend un taux applicable lorsque le créancier est une personne physique n'agissant pas pour des besoins professionnels et un taux applicable dans tous les autres cas (...) ". Dans le cadre du litige entre la société CMA CGM et le grand port maritime du Havre, il y a lieu d'appliquer le second taux de l'intérêt légal mentionné au deuxième alinéa de l'article L. 313-2 du code monétaire et financier.

7. Aux termes de l'article 1254 du code civil, alors applicable : " Le débiteur d'une dette qui porte intérêt ou produit des arrérages ne peut point, sans le consentement du créancier, imputer le paiement qu'il fait sur le capital par préférence aux arrérages ou intérêts : le paiement fait sur le capital et intérêts, mais qui n'est point intégral, s'impute d'abord sur les intérêts ".

Sur l'application au litige :

8. Il résulte de l'instruction que la somme de 3 227 345,85 euros mentionnée au point 2, versée par la société au grand port maritime du Havre, correspond à l'exécution de l'arrêt du 17 septembre 2009 de la cour administrative d'appel de Douai.

9. La décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n° 333900 du 21 novembre 2011 a annulé cet arrêt en tant qu'il avait condamné la société au versement d'une somme au grand port maritime du Havre, mais non en tant qu'il avait annulé le jugement du tribunal administratif de Rouen. Dès lors, à la suite de cette décision du Conseil d'Etat, il n'existait plus aucune condamnation prononcée par le juge administratif mettant à la charge de la société le versement d'une somme au grand port maritime du Havre. L'exécution de cette décision impliquait donc que le grand port maritime du Havre restitue à la société la somme de 3 227 345,85 euros. En l'absence d'une telle restitution, cette créance de la société sur le port a produit des intérêts, à compter de la date de notification de la décision du Conseil d'Etat au grand port maritime du Havre, le 24 novembre 2011, et au taux majoré à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de cette notification.

10. Aux termes de l'article 1289 du code civil, alors en vigueur : " Lorsque deux personnes se trouvent débitrices l'une envers l'autre, il s'opère entre elles une compensation qui éteint les deux dettes, de la manière et dans les cas ci-après exprimés ". Selon l'article 1290 du même code, alors en vigueur : " La compensation s'opère de plein droit par la seule force de la loi, même à l'insu des débiteurs ; les deux dettes s'éteignent réciproquement, à l'instant où elles se trouvent exister à la fois, jusqu'à concurrence de leurs quotités respectives ". Aux termes, enfin, de l'article 1291 du même code : " La compensation n'a lieu qu'entre deux dettes qui ont également pour objet une somme d'argent (...) et qui sont également liquides et exigibles (...) ". Selon une jurisprudence établie de la Cour de cassation, il résulte de ces dispositions que la compensation s'opère de plein droit dès lors qu'elle est invoquée par une personne créancière de son débiteur, lorsque les dettes réciproques sont certaines, liquides et exigibles.

11. L'exécution de l'arrêt du 12 juillet 2012 de la cour administrative d'appel de Douai impliquait le versement par la société au grand port maritime du Havre de la somme de 2 643 212,90 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 18 octobre 2007.

12. La somme de 3 227 345,85 euros versée par la société au grand port maritime du Havre, restée en sa possession, doit être regardée comme participant à l'exécution par la société de l'obligation à nouveau mise à sa charge par l'arrêt du 12 juillet 2012. Contrairement à ce que soutient la société, il n'est pas ainsi fait application, selon elle en les méconnaissant, des règles relatives à la compensation rappelées au point 10, mais seulement tenu compte du fait que le grand port maritime du Havre était déjà, à la date de l'arrêt du 12 juillet 2012, en possession d'une somme versée antérieurement par la société au titre de la même obligation, dans son principe, que celle à nouveau mise à sa charge. Il en résulte nécessairement, contrairement à ce que soutient la société, que la créance de restitution de la société sur le grand port maritime du Havre, d'un montant de 3 227 345,85 euros, n'a produit des intérêts, à compter du 24 novembre 2011, que jusqu'à la date de notification au port, le 20 juillet 2012, de l'arrêt du 12 juillet 2012, soit un montant d'intérêts de 92 589,46 euros. Le montant d'intérêts, calculé sur la période du 18 octobre 2007 au 13 décembre 2009, correspondant à l'exécution de l'arrêt du 12 juillet 2012, s'élève à 217 012,85 euros. En application de l'article 1254 précité du code civil, la somme de 3 227 345,85 euros versée par la société au grand port maritime du Havre s'impute d'abord sur les intérêts dus en exécution de l'arrêt du 12 juillet 2012. Il en résulte qu'à la suite de cet arrêt, la société détenait une créance de restitution sur le grand port maritime du Havre d'un montant de 367 120,10 euros, correspondant à la différence entre la somme de 3 227 345,85 euros et celle de 2 643 212,90 euros mentionnée au point 11 assortie des intérêts au taux légal d'un montant de 217 012,85 euros, soit au total 2 860 225,75 euros. Cette créance de restitution d'un montant de 367 120,10 euros a produit elle-même des intérêts. Contrairement à ce que soutient la société, ces intérêts ne doivent être calculés au taux majoré qu'à l'expiration d'un délai de deux mois à compter de la notification au grand port maritime du Havre de l'arrêt du 12 juillet 2012, dès lors qu'ils se rattachent à une créance de restitution qui trouve son fondement dans cet arrêt.

13. La décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n° 362766 du 7 décembre 2015 a annulé l'arrêt du 12 juillet 2012 et diminué la somme que la société était condamnée à verser au grand port maritime du Havre. Comme il a été dit au point 12, la somme de 3 227 345,85 euros versée par la société, qui était toujours en possession du grand port maritime du Havre, doit être regardée comme participant à l'exécution par la société de l'obligation telle que fixée par cette décision, qui impliquait le versement par la société de la somme de 2 418 460 euros, ainsi que d'un montant d'intérêts, calculé sur la période du 18 octobre 2007 au 13 décembre 2009, de 198 560,20 euros, soit au total 2 617 020, 20 euros.

14. Il découle de ce qui précède, d'une part, qu'à la suite de la décision du Conseil d'Etat du 7 décembre 2015, la société détenait une créance de restitution sur le port d'un montant de 610 325,65 euros, correspondant à la différence entre la somme de 3 227 345,85 euros et celle de 2 617 020,20 euros, qui a produit des intérêts et, d'autre part, que la créance de restitution de la société sur le port d'un montant de 367 120,10 euros, mentionnée au point 12, a produit des intérêts à compter de la date de notification de l'arrêt du 12 juillet 2012 au grand port maritime du Havre et jusqu'à la date à laquelle la décision du 7 décembre 2015 lui a été notifiée, soit un montant d'intérêts de 65 436,69 euros. Enfin, la créance de 610 325,65 euros mentionnée ci-dessus a produit des intérêts, à compter de la notification au grand port maritime du Havre de la décision du 7 décembre 2015 et jusqu'au 5 avril 2016, s'élevant à 4 145,53 euros.

15. Il résulte de tout ce qui précède qu'à la date du 5 avril 2016, la société était titulaire de créances sur le grand port maritime du Havre, au titre du principal, pour la somme de 610 325,65 euros et, au titre des intérêts produits par les différentes créances de restitution, pour un montant total de 162 171,68 euros (92 589,46 + 65 436,69 + 4 145,53 euros), soit une somme globale de 772 497, 33 euros. Le versement de la somme de 607 785,48 euros effectué par le port le 6 avril 2016 a donc laissé subsister une créance de restitution en faveur de la société d'un montant de 164 711,85 euros. Cette somme porte intérêts, au taux de l'intérêt légal majoré, depuis le 6 avril 2016.

16. Sans préjudice de la somme mise à la charge de la société par la décision n° 362766 du 7 décembre 2015 au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, l'exécution de la présente décision implique nécessairement que le grand port maritime du Havre verse à la société CMA CGM la somme de 164 711,85 euros, majorée des intérêts, au taux de l'intérêt légal majoré, depuis le 6 avril 2016. Il y a lieu d'enjoindre au grand port maritime du Havre de verser cette somme à la société CMA CGM, dans le délai maximal d'un mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la société CMA CGM.

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

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Article 1er : La somme restant due, à la date du 6 avril 2016, par le grand port maritime du Havre à la société CMA CGM en exécution de la décision du Conseil d'Etat, statuant au contentieux, n° 362766 du 7 décembre 2015 s'élève à 164 711,85 euros, somme devant être assortie des intérêts, au taux de l'intérêt légal majoré, à compter de la même date.

Article 2 : Il est enjoint au grand port maritime du Havre de verser à la société CMA CGM la somme de 164 711,85 euros, assortie des intérêts au taux de l'intérêt légal majoré à compter du 6 avril 2016, dans le délai maximal d'un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à la société CMA CGM et au grand port maritime du Havre.


Synthèse
Formation : 8ème - 3ème chambres réunies
Numéro d'arrêt : 412196
Date de la décision : 14/02/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Exécution

Publications
Proposition de citation : CE, 14 fév. 2018, n° 412196
Inédit au recueil Lebon

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Mme Karin Ciavaldini
Rapporteur public ?: M. Benoît Bohnert
Avocat(s) : SCP RICHARD

Origine de la décision
Date de l'import : 20/02/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CE:2018:412196.20180214
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