Vu la procédure suivante :
1° Sous le n° 404914, par une requête sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 7 novembre 2016, 7 février et 11 décembre 2017 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Coordination Rurale Union Nationale, la chambre départementale d'agriculture de la Charente et la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir le décret n° 2016-610 du 13 mai 2016 relatif au réseau des chambres d'agriculture ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
2° Sous le n° 408533, par une requête, un mémoire complémentaire et mémoire en réplique, enregistrés les 1er mars, 14 mars 2017 et 11 décembre 2017, au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la Coordination Rurale Union Nationale et la chambre départementale d'agriculture de la Charente demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 28 décembre 2016 fixant les conditions de participation des chambres d'agriculture à la politique d'installation en agriculture ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Vu les autres pièces des dossiers;
Vu :
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 52-1311 du 10 décembre 1952 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jean Sirinelli, maître des requêtes en service extraordinaire,
- les conclusions de M. Olivier Henrard, rapporteur public.
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP de Nervo, Poupet, avocat de la Coordination Rurale Union Nationale, de la chambre départementale d'agriculture de la Charente et de la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne.
1. Considérant que les requêtes visées ci-dessus présentent à juger les mêmes questions ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 510-1 du code rural et de la pêche maritime : " Les établissements qui composent le réseau des chambres d'agriculture ont, dans le respect de leurs compétences respectives, une fonction de représentation des intérêts de l'agriculture auprès des pouvoirs publics et des collectivités territoriales. / (...) / Ces établissements sont des établissements publics placés sous la tutelle de l'Etat et administrés par des élus représentant l'activité agricole, les groupements professionnels agricoles et les propriétaires forestiers " ; qu'aux termes de l'article L. 511-3 du même code, les chambres départementales d'agriculture " remplissent les missions suivantes : - elles assurent l'élaboration de la partie départementale du programme régional de développement agricole et rural ; / -elles contribuent à l'animation et au développement des territoires ruraux ; / - elles participent à la définition du projet agricole élaboré par le représentant de l'Etat dans le département mentionné à l'article L. 313-1 ; / - elles sont associées, en application de l'article L. 132-7 du code de l'urbanisme, à l'élaboration des schémas de cohérence territoriale, des schémas de secteur et des plans locaux d'urbanisme ; - elles peuvent être consultées, dans leur champ de compétences, par les collectivités territoriales, au cours de l'élaboration de leurs projets de développement économique " ; qu'aux termes de l'article L. 511-4 de ce code : " Dans le cadre de sa mission d'animation et de développement des territoires ruraux la chambre départementale d'agriculture : / (...) / 4° Assure une mission de service public liée à la politique d'installation pour le compte de l'Etat, dont les modalités sont définies par décret " ; qu'aux termes de l'article L. 512-1 du même code, les chambres régionales d'agriculture " orientent, structurent et coordonnent les actions des chambres départementales d'agriculture, en définissant une stratégie régionale, dans le respect des orientations nationales, et en adoptant le budget nécessaire à la mise en oeuvre de cette stratégie, et assurent à leur bénéfice, dans des conditions définies par décret, des missions juridiques, administratives et comptables ainsi que des actions de communication " ; qu'aux termes de l'article L. 512-4 du même code : " III. - Par délibération de leurs assemblées, plusieurs établissements du réseau peuvent décider de réaliser des projets communs sur le territoire de plusieurs départements et confier leur réalisation à l'un d'entre eux. / Les établissements du réseau peuvent créer entre eux, notamment pour l'exercice de missions de service public réglementaires, de fonctions de gestion ou d'administration interne, des services communs dont les règles de fonctionnement et de financement sont fixées par décret. / Plusieurs chambres d'agriculture peuvent, par convention, contribuer conjointement à la réalisation d'un ou plusieurs projets communs par la mobilisation de moyens humains, matériels ou financiers donnant lieu à un suivi comptable spécifique pour reddition en fin d'exercice, et confier à l'une d'entre elles la gestion administrative et financière de ces projets. / Les services d'un établissement du réseau peuvent être mis, en totalité ou en partie, à disposition d'un autre établissement du réseau lorsque cette mise à disposition présente un intérêt dans le cadre de la mutualisation des services au sein de la région ou du réseau des chambres d'agriculture. Les modalités de cette mise à disposition sont définies par une convention conclue entre les établissements du réseau concernés " ;
Sur les conclusions dirigées contre le décret du 13 mai 2016 :
3. Considérant, en premier lieu, que le 2° de l'article 1er du décret attaquée, qui procède à une réécriture des quatrième et cinquième alinéas de l'article D. 511-69 du code rural et de la pêche maritime, prévoit, d'une part, que le choix du directeur général de la chambre d'agriculture par le président s'effectue désormais parmi les candidats figurant sur une liste établie par un comité des nominations dont l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture fixe la composition et nomme les membres, et, d'autre part, que le directeur général propose au président les nominations, révocations, promotions et avancements des personnels, tandis que, dans la rédaction antérieure de cet article, le directeur général " établissait les propositions à la demande du président " ; que ces dispositions, qui ne présentent pas un caractère statutaire au sens de la loi du 10 décembre 1952 relative à l'établissement obligatoire d'un statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, des chambres de commerce et des chambres de métiers et ne méconnaissent aucune règle fixée par le statut du personnel administratif des chambres d'agriculture, ne portent pas atteinte au principe d'administration des chambres par les élus et ne sauraient être regardées comme affectant les règles constitutives de la catégorie d'établissements publics à laquelle se rattachent les chambres départementales d'agricultures et comme étant, ainsi, entachées d'incompétence ; qu'elles ne portent pas davantage atteinte au principe d'autonomie des chambres départementales d'agriculture ;
4. Considérant, en deuxième lieu, que le 8° de l'article 1er du décret attaqué modifiant l'article D. 512-5 du code rural et de la pêche maritime autorise les chambres départementales d'agriculture à déléguer aux chambres régionales la gestion de la mission de service public liée à la politique d'installation mentionnée au 4° de l'article L. 511-4 du même code ; que cette mission est l'une des cinq attributions spécifiques composant la mission d'animation et de développement des territoires ruraux prévues par l'article L. 511-4, qui, elle-même, ne constitue que l'une des cinq missions que remplissent les chambres départementales d'agricultures en vertu de l'article L. 511-3 du même code ; que, dès lors, eu égard à la portée limitée de cette délégation, qui ne constitue qu'une simple faculté pour les chambres départementales d'agriculture, ne peuvent qu'être écartés les moyens tirés de ce que les dispositions du 8° de l'article 1er du décret attaqué affecteraient les règles constitutives des chambres départementales d'agriculture et seraient, par suite, entachées d'incompétence, qu'elles porteraient atteinte au principe d'autonomie des chambres départementales d'agriculture et méconnaîtraient les dispositions des articles L. 511-3 et L. 511-4 du code rural et de la pêche maritime ;
5. Considérant, en troisième lieu, que, contrairement à ce que soutiennent la Coordination Rurale Union Nationale, la chambre départementale d'agriculture de la Charente et la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne, le décret attaqué n'a pas pour objet ni pour effet la réalisation de projets communs, la création de services communs ou la mise à disposition d'un service au sens des dispositions de l'article L. 512-4 du code rural et de la pêche maritime au bénéfice des chambres régionales d'agriculture ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le décret attaqué méconnaîtrait les différentes conditions prévues par ces dispositions ne peut qu'être écarté ;
6. Considérant, en quatrième lieu, que la Coordination Rurale Union Nationale, la chambre départementale d'agriculture de la Charente et la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne ne sont pas fondées à soutenir que les dispositions du décret attaqué, qui précisent le fonctionnement du réseau des chambres d'agricultures et rationnalisent son organisation, seraient entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
7. Considérant, en dernier lieu, que le 6° de l'article 1er du décret attaqué insère dans le code rural et de la pêche maritime des articles D. 512-1-2 et D. 512-1-3 qui confient aux chambres régionales le soin d'exercer certaines missions au bénéfice des chambres départementales ; que la Coordination Rurale Union Nationale, la chambre départementale d'agriculture de la Charente et la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne soutiennent que ces articles portent atteinte à l'autonomie des chambres départementales et méconnaissent les dispositions législatives relatives à leurs compétences ;
8. Considérant que l'article D. 512-1-2 et le 5° de l'article D. 512-1-3 du code rural et de la pêche maritime prévoient que la chambre régionale d'agriculture assure diverses missions d'appui juridique, administratif et comptable au bénéfice des chambres départementales de sa circonscription, ainsi que la conception et la mise en oeuvre des actions et outils de communication ; qu'ils se bornent ainsi à préciser les conditions de mise en oeuvre des missions que les chambres régionales d'agriculture exercent sur le fondement des dispositions de l'article L. 512-1 citées au point 2 ; que la compétence donnée à la chambre régionale d'agriculture, par le 3° de l'article R. 512-1-2, pour " assurer la gestion du personnel et la paie " n'est nullement incompatible avec les dispositions de l'article D. 511-69 relatives aux attributions du directeur général de la chambre départementale ; que le moyen tiré de la méconnaissance des principes de clarté et d'intelligibilité de la norme ne peut, dès lors, qu'être écarté ;
9. Considérant, en revanche, que les dispositions des 1°, 2°, 3°, 4° et 6° du nouvel article D. 512-1-3 du code rural et de la pêche maritime confient aux chambres régionales d'agriculture des missions relatives aux politiques publiques, aux marchés agricoles, à l'offre de formation, aux prestations certifiées et à la création et reprise d'entreprises agricoles qu'elles exercent au bénéfice des chambres départementales ; que ces missions ne peuvent être regardées comme des missions juridiques, administratives et comptables au sens des dispositions de l'article L. 512-1 et se rattachent aux compétences des chambres départementales d'agriculture énumérées à l'article L. 511-3 ; que, dès lors, le pouvoir réglementaire ne pouvait, sans méconnaître les dispositions des articles L. 510-1 et L. 511-3, confier aux chambres régionales d'agriculture l'exercice de ces missions ;
10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les dispositions du 6° de l'article 1er du décret attaqué relatives aux 1°, 2°, 3°, 4° et 6° de l'article D. 512-1-3 du code rural et de la pêche maritime, qui sont divisibles des autres dispositions du décret attaqué, doivent être annulées ;
Sur les conclusions dirigées contre l'arrêté du 28 décembre 2016 :
11. Considérant, en premier lieu, que le moyen tiré de ce que l'arrêté du 28 septembre 2016 fixant les conditions de participation des chambres d'agriculture à la politique d'installation en agriculture ne serait pas signé par son auteur manque en fait ;
12. Considérant, en second lieu, que l'illégalité d'un acte administratif réglementaire ne peut être utilement invoquée à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative que si cette dernière a été prise pour son application ou s'il en constitue la base légale ; qu'ainsi, la Coordination Rurale Union Nationale et la chambre départementale d'agriculture de la Charente ne peuvent utilement contester, par la voie de l'exception d'illégalité du décret du 13 mai 2016 relatif au réseau des chambres d'agriculture, que le seul article 1er de l'arrêté du 28 septembre 2016, relatif à la possibilité pour la chambre départementale d'agriculture de déléguer à la chambre régionale la gestion de la mission de service public mentionnée au 4° de l'article L. 511-4 du code rural et de la pêche maritime ; qu'il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le moyen ne peut qu'être écarté ;
13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la Coordination Rurale Union Nationale, la chambre départementale d'agriculture de la Charente et la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne sont seulement fondées à demander l'annulation des dispositions de l'article 1er du décret attaqué relatives aux 1°, 2°, 3°, 4° et 6° de l'article D. 512-1-3 du code rural et de la pêche maritime ;
14. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 à verser à la Coordination Rurale Union Nationale, à la chambre départementale d'agriculture de la Charente et à la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne chacune, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
D E C I D E :
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Article 1er : Les dispositions du 6° de l'article 1er du décret n° 2016-610 du 13 mai 2016 relatif au réseau des chambres d'agriculture sont annulées en tant qu'elles insèrent dans le code rural les 1°, 2°, 3°, 4° et 6° de l'article D. 512-1-3.
Article 2 : L'Etat versera à la Coordination Rurale Union Nationale, à la chambre départementale d'agriculture de la Charente et à la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne une somme de 1 000 chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à la Coordination Rurale Union Nationale, à la chambre départementale d'agriculture de la Charente, à la chambre départementale d'agriculture du Lot-et-Garonne, au Premier ministre et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation.